Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, madame la rapporteure, jusqu'ici les conditions de suivi des demandeurs d'emploi étaient régies par décret, dans la juste répartition fixée par la Constitution entre la loi et le règlement. Alors que, constamment, le Gouvernement tient un discours sur la nécessité de simplifier le code du travail et que, il n'y a pas six mois, la recodification du code du travail a entraîné le déclassement de très nombreux articles de la partie législative dans la partie réglementaire, aujourd'hui vous demandez à l'Assemblée de procéder exactement en sens inverse. Ce n'est pas un hasard car votre objectif n'est surtout pas de renforcer l'accompagnement des chômeurs. Si tel avait été le cas, ce texte aurait comporté toute une partie sur la formation, d'autant que seulement 5 % des chômeurs ont eu accès à des formations en 2007 et que la moitié des crédits formation de l'UNEDIC n'a pas été consommée.
Ce renforcement de l'accompagnement supposerait aussi que les agents du service public de l'emploi aient plus de dix-neuf minutes à consacrer à chaque demandeur d'emploi.
Mais si le texte est très clair sur les obligations des chômeurs, pour ce qui est des droits, on attend toujours !
Il est à ce titre significatif que le secrétaire d'État ait constamment gardé le silence sur la question de la nature des engagements futurs du service public de l'emploi, tandis que Mme la rapporteure a régulièrement répété que le projet personnalisé d'accès à l'emploi – PPAE – n'avait pas de valeur contractuelle. Ainsi, les obligations du chômeur lui seront opposables. En revanche, il n'en sera pas de même pour ses droits. Comment, dans ces conditions, parler d'équilibre ?
Le fait de refuser de reconnaître qu'il y a contrat n'est pas anodin car cela permettra de modifier à tout moment les termes de l'engagement, et ce au détriment du demandeur d'emploi, qui ne pourra refuser. Bien que ne signant pas un contrat, les termes de ce non-contrat lui seront quand même opposables ! De fait, vous êtes obligé de transférer le projet personnalisé d'accès à l'emploi, qui existait déjà, de la partie réglementaire à la partie législative pour asseoir les nouvelles sanctions pour refus de PPAE et refus d'offres d'emploi raisonnables.
Mme Lagarde, ministre de l'économie, justifie cette nouvelle loi de la façon suivante : « La définition actuelle de l'offre raisonnable d'emploi est floue ; les critères ne sont ni définis ni adaptables à la situation de la personne. Cela laisse la place à des interprétations variables, donc à l'arbitraire. C'est la raison pour laquelle nous souhaitons mettre en place des critères précis. » Après une telle déclaration, on pouvait s'attendre à un texte précis. Or rien de tel. L'alinéa 2 de l'article 1er rend obligatoire le PPAE et le fait d'accepter les offres raisonnables d'emploi. Mais l'offre raisonnable d'emploi n'est ensuite définie que par le contenu du PPAE. Or, à aucun moment du débat, nous n'avons pu obtenir de réponse précise en ce qui concerne des situations qui sont pourtant facilement envisageables : que se passera-t-il en cas de désaccord sur le contenu du PPAE ? Le réfèrent du service public de l'emploi pourra-t-il imposer ses décisions contre les souhaits du demandeur d'emploi ?
Par ailleurs, qu'en est-il de l'élaboration concrète du PPAE et surtout de son évolution à partir du quatrième mois ? Le projet de loi prévoit juste, à la forme passive : « Le PPAE est actualisé périodiquement » – sans qu'on ait pu obtenir des informations plus précises.
Les sanctions, quant à elles, deviennent automatiques. C'est une première puisque notre droit constant a toujours réaffirmé la non-automaticité des peines. Même si vous avez commencé à écorner ce principe avec l'introduction des peines planchers, celles-ci ne valent qu'en cas de récidive. Les chômeurs seront donc les premiers à inaugurer la peine automatique : deux mois de suspension d'allocations en cas de refus d'une offre d'emploi considérée par le service public de l'emploi comme raisonnable. Il est indéniable que, selon les souhaits de Mme la ministre, on ne risque plus les interprétations variables : la peine sera la même pour tous ! Nous sommes en plein arbitraire de masse.
Finalement, la seule précision consacrée par cette loi comme définition d'une offre raisonnable d'emploi porte sur les déplacements entre le domicile et le travail. Ainsi, toute distance à parcourir au plus égale à soixante kilomètres ou tout temps de transport en commun au plus égal à deux heures aller et retour impose l'acceptation d'une offre d'emploi. Ces données incluent-elles les temps d'embouteillages, malheureusement fort fréquents dans un grand nombre de nos agglomérations ? Que se passera-t-il pour les demandeurs d'emploi ne possédant pas de véhicule personnel qui n'ont pas accès aux transports en commun ? Et que se passera-t-il également si ces transports terminent leur service avant la fin de la journée de travail du salarié concerné ? Ce ne sont pas des questions anodines au moment où sont constamment annoncées des ouvertures plus tardives en soirée dans le secteur du commerce et où certaines entreprises veulent imposer les semaines en quatre-huit. Comment feront les parents et surtout les femmes des foyers monoparentaux pour organiser la garde de leurs enfants en bas âge ou l'accueil de leurs enfants à la sortie des classes ? Ces deux points, transports et garde d'enfants, pourtant reconnus comme les obstacles principaux à la reprise d'emploi, ne sont même pas traités dans ce texte.
Comme d'habitude, vous êtes en retard d'un baril de pétrole en matière de déplacements ! Alors que le prix des carburants explose et que nombre de salariés et de professions indépendantes, notamment les infirmières, voient leur facture de déplacement s'alourdir et mettre en péril l'équilibre de leur budget familial, c'est le moment que vous choisissez pour inscrire dans la loi cette obligation. Vraiment, il faut, une fois de plus, ne rien comprendre à la crise écologique et refuser toute anticipation pour continuer comme si de rien n'était !
L'autre conséquence de votre projet de loi sera la pression à la baisse des salaires.
Le demandeur d'emploi étant sommé de définir un projet personnalisé d'accès à l'emploi, on pourrait penser que ce projet lui permettra de se projeter dans sa recherche d'emploi avec le plus d'atouts possible. Or le texte ne donne même pas trois mois au chômeur pour trouver un emploi correspondant à son projet. Au delà, il sera obligé d'accepter une baisse de salaire. Qu'est-ce que trois mois ? Combien de plans de reconversion pour licenciements économiques massifs n'ont pas été en mesure de reclasser tous les salariés licenciés en un an, voire plus ? Et ce à quoi ces plans, avec les moyens en conséquence, n'ont pas été capables de parvenir, le chômeur individuel devrait le réaliser ! Le temps d'obtenir le rendez-vous pour définir le PPAE, d'envoyer des candidatures et d'espérer recevoir des réponses, les trois mois sont vite passés. Au bout de six mois, le chômeur devra accepter un emploi rémunéré à moins de 85 % de son ancien salaire. Enfin, au bout d'un an, le salaire exigible ne pourra plus être qu'au niveau du revenu de remplacement. Gare aux chômeurs qui auront déclaré être prêts à reprendre n'importe quel emploi car ils pourront se voir obligés d'accepter un emploi à temps partiel ou de durée très courte, puisque la précision sur le temps partiel ne vaut que si, dès l'origine, ils ont annoncé refuser un tel emploi !
Chacun sait que le niveau de l'emploi est directement lié à l'activité économique. Or vous faites le choix de rendre responsables les chômeurs de leurs difficultés à retrouver un emploi. On ne peut pourtant pas soutenir que les sanctions n'existent pas à l'heure actuelle. Elles ont d'ailleurs pratiquement doublé entre 2004 et 2007. Dans le même temps, les radiations ont augmenté de 40 %, dont certaines, du reste, ont été abusives, comme le démontrent régulièrement les associations de chômeurs et comme l'a également démontré le dernier rapport du médiateur, et ce alors même que la relation avec l'ANPE et les ASSEDIC est de plus en plus déshumanisée, réduite aux touches d'un téléphone pour des personnes qui sont déjà dans l'angoisse du lendemain.
De plus, la sanction est d'application immédiate ; elle laisse brutalement le demandeur d'emploi dépourvu de revenus et courant le risque d'être entraîné dans la spirale de l'exclusion. Vous êtes toujours prompts à tenter de débusquer les abus infimes des chômeurs, mais vous l'êtes beaucoup moins quand il s'agit des abus des spéculateurs de toutes sortes ou des patrons qui empochent des millions après avoir fait plonger leur entreprise.