Puisqu'on a beaucoup dit que le projet de loi était la transcription d'un ANI, je tiens à rappeler que personne n'a réclamé un tel geste. En effet, les partenaires sociaux ont indiqué qu'ils n'avaient pas à se prononcer sur les questions relatives à la gouvernance, tout en reconnaissant la pertinence de l'échelon régional pour l'organisation de la formation professionnelle. La compétence des régions en la matière est un acquis issu du mouvement de décentralisation et elle correspond à une réalité.
En effet, si la loi doit fixer un cadre national – plutôt que d'entrer dans le détail, comme le fait le projet de loi, en cherchant à réglementer divers sujets –, la déclinaison et la mise en oeuvre de celui-ci doivent relever des régions, pour qu'il soit efficace et bénéfique aux salariés ainsi qu'aux demandeurs d'emploi. Or, force est de constater que, s'il existe un fil rouge dans le patchwork que forme ce texte, c'est le retour de l'État ; je serais tenté d'ajouter : avec l'argent des autres, partenaires sociaux ou régions – même si les recettes de ces dernières proviennent en partie de l'État.
Pourquoi remettre en cause la compétence des conseils régionaux en matière de formation professionnelle ? L'absence de réponse à cette question fait naître une forme de soupçon. Depuis un an, toute une argumentation – une sorte de tapis de bombes – a été développée, en premier lieu par le Président de la République, expliquant que la formation professionnelle fonctionne mal, qu'elle est à l'origine d'une gabegie. Or, ajoute-t-on, ce sont les régions qui sont compétentes dans ce domaine. Je précise, d'ailleurs, que n'est pas tout à fait vrai. Les régions ont, en effet, une compétence générale en tant que chef de file en matière de formation, mais elles n'exercent une compétence directe que sur la formation des jeunes, depuis 1993, et sur celle des demandeurs d'emploi, depuis 2004. Vous procédez donc par amalgame, même s'il est vrai que cette idée est passée dans l'opinion. Nos concitoyens, du moins ceux que l'on rencontre dans nos permanences, où l'on est souvent amené à évoquer des problèmes d'emploi et de formation, ont clairement fait le lien entre le conseil régional et la formation professionnelle, ce qui constitue une avancée notoire. L'inconvénient, c'est que les reproches se dirigent désormais vers la région à chaque fois que l'on estime que la formation professionnelle ne fonctionne pas de manière satisfaisante – ce qui revêt une certaine importance à quelques mois d'une échéance importante.
Je rappelle que les difficultés relatives à la formation professionnelle ne sont pas toutes imputables aux régions. Nous avons débattu hier de différentes questions, notamment celle des OPCA ou de la transparence, où les régions n'ont aucune part de responsabilité – tout au plus ont-elles commencé à travailler avec les OPCA. Le contrôle de la formation professionnelle relève du domaine de compétence de l'État, plus précisément du ministère de l'emploi. Les régions ont, elles, à évaluer les programmes qu'elles mettent en place. Il me paraissait nécessaire d'insister sur ce point, car les régions sont trop souvent mises en cause sur des questions qui ne relèvent pas de leur responsabilité.
Les régions ont compétence directe sur les demandeurs d'emploi. C'est votre majorité qui, avec la loi Borloo, a organisé les choses de cette manière. Cette loi est d'ailleurs allée assez loin en affirmant qu'il n'y aurait plus une seule formation financée par l'État qui ne serait pas adossée à un contrat de travail. Cette approche pouvait être intéressante dans l'optique d'une reprise forte de la croissance et de l'emploi, quoique un peu radicale – ce qui peut être dû au fait que M. Borloo était alors au parti radical. Aujourd'hui, face à la montée du chômage, vous devez recourir à des stratagèmes permettant le contournement de la loi de 2004 – en vous appuyant pour cela sur les partenaires sociaux et sur le POE qui va être géré par Pôle emploi – pour remettre en place toute une série de mesures de formation pour les demandeurs d'emploi.
On assiste à un désengagement très fort de l'État avec le transfert aux régions de la pleine compétence sur les demandeurs d'emploi, qui a donné lieu au développement du plan régional de développement des formations professionnelles, le PRDF, succédant au plan régional de la formation pour les jeunes. La compétence de la région s'est ainsi élargie à l'ensemble des publics. Les préfets vont devoir s'impliquer sur ce point davantage qu'ils ne l'ont fait jusqu'à présent : c'est le retour de l'État. Quand les instances régionales seront élues, elles auront trois mois pour mettre le plan en place, pour une durée de six ans. J'y vois une erreur eu égard à la nature profonde du PRDF : celui-ci doit être conçu non pas comme une programmation ou une planification – si c'était le cas, les problèmes seraient résolus depuis longtemps –, mais plutôt comme un processus de négociation. C'est, en quelque sorte, une démarche participative – même si cette idée ne va pas plaire à tout le monde – associant l'ensemble des acteurs, qu'il s'agisse des syndicats, des syndicats d'employeurs, du monde associatif, du monde de l'éducation. Plus il est participatif, mieux c'est. Tel que je l'ai observé dans certaines régions, c'est une sorte de mouvement perpétuel de négociation qui, à terme, s'incarne dans un document adopté par une assemblée démocratique. Ce serait une grave erreur que de le résumer à ce document final, vu comme une programmation cosignée par l'État et le recteur.
Le plan comprend, par exemple, le schéma directeur des formations sanitaires et sociales. Quand il a été procédé au transfert, personne n'a pensé que les régions pourraient assumer cette fonction. Elles y sont pourtant assez bien parvenues, un peu comme elles l'avaient fait pour les lycées – alors que c'était plus compliqué, car en l'occurrence on transférait aux régions la responsabilité de ce qui se passe dans les écoles sans avoir procédé au transfert des bâtiments. Les formations sanitaires et sociales se sont largement améliorées par rapport à ce qu'elles étaient avant le transfert. Il y a quelques années, ce secteur de formation était en effet en pleine crise, et l'on faisait venir de toute l'Europe les infirmières dont on manquait en France. Les infirmières se forment non pas en trois mois, mais en trois ans. Les régions ont su prendre ce problème en charge au moment le plus difficile et ont considérablement avancé sur la voie de sa résolution. Le travail des régions est donc plus positif que ce que l'on entend parfois dire un peu légèrement.
Le PRDF est un travail continu se concluant par un moment important, celui de sa validation par l'assemblée régionale. Il faut se féliciter du caractère démocratique du dispositif, qui permet à nos concitoyens de sanctionner, d'une manière ou d'une autre, le travail accompli et assumé par l'équipe qui dirige la région. Je vois là toutes les avancées de la décentralisation.
Toutefois, la vraie question consiste à savoir comment mieux articuler la formation professionnelle et l'emploi. Même si cela peut paraître paradoxal dans la période actuelle, il me semble, monsieur le secrétaire d'État, que vous commettez une erreur en réduisant la formation professionnelle à un outil destiné à lutter contre le chômage. Certes, votre ministère est celui de l'emploi – donc un peu celui du chômage, en ce moment –, mais la formation professionnelle ne doit pas, à mon sens, concerner uniquement les 3 millions de demandeurs d'emploi : elle doit concerner l'ensemble des salariés. Les mesures de formation professionnelle doivent évidemment aller dans le sens de la résolution des problèmes d'inadéquation que nous connaissons en formant les demandeurs d'emploi pour qu'ils puissent retrouver un poste. Mais il ne faut pas pour autant négliger les salariés qui ont un emploi et qui doivent tout de même bénéficier d'une formation dans le cadre de la formation continue, de l'éducation permanente. C'est non seulement une forme de promotion sociale, mais aussi un moyen de préparer l'avenir économiquement. Concevoir la formation professionnelle uniquement en fonction de la situation du chômage – une situation éminemment préoccupante, j'en conviens – constitue, à mon sens, une erreur stratégique. Je vois, dans le rôle donné aux préfets, la volonté de répondre à l'urgence du problème du chômage, mais cela ne me paraît pas une bonne idée – il devrait d'ailleurs y avoir, au sujet des demandeurs d'emploi, une convention chaque année.
En ce qui concerne la coordination à rechercher afin d'obtenir une meilleure articulation entre la formation et l'emploi, nous avons fait une proposition, qui n'a pas été retenue, consistant, non pas à faire cosigner le plan par le préfet, mais à instaurer un véritable lieu de coordination. Je ne sais pas combien de fois je vais devoir le répéter, mais il existe actuellement dans chaque région, d'une part, un conseil régional de l'emploi, présidé par le préfet et dédié à l'emploi, d'autre part, un comité de coordination régional de l'emploi et de la formation professionnelle – CCERFP –, coprésidé par le préfet et le président de région et dédié à la formation. Comment voulez-vous que la coordination s'effectue correctement avec deux lieux de coordination placés au même niveau ? Je ne comprends pas pourquoi personne ne veut régler cette question que nous avons été plusieurs à soulever. Pour notre part, nous proposions de choisir le CCERFP, qui est coprésidé, ce qui devrait vous satisfaire, monsieur le secrétaire d'État, et qui est d'une nature plus institutionnelle que le PRDF.
Il faut que vous nous expliquiez pourquoi, alors que les PRDF sont en plein développement, vous décidez tout à coup de faire à nouveau intervenir le préfet et le recteur dans leur fonctionnement – alors que nous sommes nombreux à avoir constaté, sur le terrain, qu'il n'était pas toujours évident de faire coexister le préfet et le recteur. Que se passera-t-il en cas de tensions ? Qui arbitrera si le préfet et le président de région ne parviennent pas à se mettre d'accord ? Même si le contrat de projet peut donner lieu à des discussions, on ne peut pas assimiler le PRDF à un contrat de plan. Certaines mesures du contrat de plan peuvent venir soutenir les dispositifs de formation ou d'emploi, mais vous n'avez pas tenu compte du processus en continu qui doit permettre d'associer l'ensemble des acteurs de manière participative. Il me paraît légitime qu'il revienne aux conseils régionaux et à leurs présidents de mener ce travail – ce qui n'exclut évidemment pas d'associer l'État à certaines discussions.
L'autre question sur laquelle il faut avancer est celle du rapprochement entre formation initiale et formation continue. Dans ma région, c'est ce point qui a été mis en avant pour la construction du PRDF. Vous imaginez bien que cela ne s'est pas fait sans discussions avec les services de l'État, le préfet et le recteur. Le système actuel fonctionne de manière satisfaisante, ce qui me fait dire que si vous voulez aujourd'hui imposer la signature du préfet, c'est que vous avez une autre idée derrière la tête. Nous aimerions bien la connaître, monsieur le secrétaire d'État.