Nous abordons là un article stratégique de ce projet de loi, puisque, d'une certaine façon, il met en cause la compétence générale que le législateur a entendu confier aux régions en matière de formation professionnelle depuis plus d'une vingtaine d'années.
La loi du 7 janvier 1983 transfère aux régions une compétence de droit commun en matière d'apprentissage et de formation professionnelle continue. La loi quinquennale pour l'emploi du 20 décembre 1993 leur transfère la formation et l'insertion des jeunes en difficulté sortis du système scolaire. La loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 coordonne les financements des CFA autour du conseil régional et étend la validation des acquis de l'expérience. La loi relative à la démocratie de proximité du 27 février 2002 étend les compétences des régions aux formations des adultes en recherche d'emploi et leur confie le versement de l'indemnité compensatrice forfaitaire aux employeurs d'apprentis. Enfin, la loi relative aux libertés et responsabilités locales du 13 août 2004 affirme le principe selon lequel les régions ont l'entière responsabilité de l'apprentissage et de la formation professionnelle des jeunes et des adultes à la recherche d'emploi.
Selon cette dernière loi : « La région adopte le plan régional de développement des formations professionnelles et s'assure de sa mise en oeuvre. Ce plan a pour objet de définir une programmation à moyen terme des actions de formation professionnelle des jeunes et des adultes et de favoriser un développement cohérent de l'ensemble des filières de formation ».
Vous le voyez, l'ensemble des majorités et des gouvernements qui se sont succédé depuis les années 80 a progressivement confié aux régions une compétence générale en matière de formation professionnelle. Par leurs actions, les régions ont acquis un véritable savoir-faire dans ce domaine. Depuis de nombreuses heures, le débat sur ce projet de loi montre à quel point ce dossier est technique et politique. Dans une période de crise, il engage l'avenir de notre pays.
La loi du 13 août 2004 précise encore que le plan régional de développement des formations professionnelles est « élaboré en concertation avec l'État, les collectivités territoriales concernées et les organisations syndicales d'employeurs et de salariés représentatives à l'échelon national […] » Bref, ce plan résulte d'un long travail de concertation, d'ajustements, et de réflexion collective.
Or le projet de loi évoque non plus une adoption du plan régional – ce qui doit s'entendre comme un cheminement démocratique aboutissant au vote d'une assemblée –, mais seulement une élaboration. Le pilote unique de ce plan a disparu et il y en a désormais trois : l'État, au sein duquel il faut distinguer entre le recteur et le préfet, et la région.
De plus, désormais, ce plan devra être élaboré à la hâte, dans les trois mois qui suivent l'installation d'un nouvel exécutif. Quand on connaît la complexité de la question de la formation professionnelle, demander, dans ce délai, à un exécutif à peine élu d'élaborer un plan régional, alors qu'il doit prendre le temps de mener les nombreuses concertations nécessaires et de recueillir les avis du conseil général, des services de l'État et des organisations syndicales, c'est tout simplement impossible ! Donner moins de trois mois à la région pour élaborer ce plan sans avoir acquis la compétence nécessaire pour traiter un sujet aussi difficile, ce n'est pas sérieux !
L'article 20 constitue un recul ; j'insiste sur ce point. En effet, la loi de 2004 prévoyait un vote et un débat dans une assemblée démocratiquement élu, alors que l'alinéa 7 de l'article 20 se limite à préciser que : « Le plan régional de développement des formations professionnelles est signé par le président du conseil régional, le représentant de l'État dans la région et, en ce qui concerne la formation initiale, l'autorité académique. » À la limite, les présidents de conseils régionaux pourraient signer ce plan sans avoir recueilli l'avis et le vote de leur assemblée.
Un autre problème se pose. Le PRDF concerne la formation continue et non la formation initiale : il aurait peut-être été souhaitable, pour justifier le retour de l'État, que le plan régional de développement de la formation continue devienne le plan régional de développement des formations. Il aurait été judicieux que ce document permette de régler le problème des gens qui quittent l'enseignement initial sans qualification et celui de l'évolution des métiers et des technologies, deux défis que doit relever la formation. Or ce n'est pas le cas.
Par ailleurs, si nous voulons aller au bout de la logique de M. le secrétaire d'État, qui évoquait hier le rôle des partenaires sociaux dans la formation professionnelle, il faudrait que l'ensemble des organisations professionnelles signe ce plan.
Je m'exprime sans doute à partir de mon expérience de président d'une région, mais je trouve que nous régressons ; c'est dommage ! Nous régressons parce que la décentralisation, récente en France, suppose que tant les services que les élus puissent acquérir des compétences. Cette acquisition et ces mécaniques d'évaluation que nous évoquions hier montent actuellement en puissance et supposent l'existence d'un certain niveau de partenariat social au niveau des régions. Je ne sais pas comment, en trois mois, nous pourrons, sans pilote, organiser ce plan régional qui est pourtant devenu dans toutes les régions un outil ambitieux et extrêmement performant pour l'évolution des formations et la planification des métiers d'avenir.
En l'état, le projet de loi nécessite de nombreuses modifications. Que se passera-t-il en cas de conflit entre l'État et la région ? Qui arbitrera ? Puisque aucune mesure d'arbitrage n'est prévue, cela signifie-t-il qu'en cas de conflit, il n'y aura pas de PRDF ? Il n'y a ni pilote ni solution en cas de conflit. Quant au temps prévu, il est trop court pour élaborer démocratiquement un véritable plan qui associe les partenaires sociaux.
Ce texte, qui semble avoir été rédigé à la hâte, mériterait d'être amendé. Il conviendrait notamment – mais nous y reviendrons lors de l'examen des amendements – de remplacer « élaboré » par « adopté », « région » par « conseil régional » et de revenir à la loi de 2004, qui fut le fruit d'une longue réflexion.
Par ailleurs, la durée du plan régional de développement des formations professionnelles – six ans – est manifestement trop longue ; il faudrait pouvoir l'adapter tous les trois ans. Prenons l'exemple de la crise économique que nous traversons : les entreprises aéronautiques et automobiles de nos régions ont perdu d'un seul coup des centaines de milliers d'heures de travail. Dans le cadre de responsabilités antérieures, j'ai connu des situations dans lesquelles des sites aéronautiques perdaient brutalement 250 000 heures de travail. Dans de tels cas, le dispositif de formation continue doit être adapté du jour au lendemain. Il doit être immédiatement réactif. Six ans, c'est trop long.
Il conviendrait également de désigner un pilote, conformément aux voeux du Président de la République qui, dans le cadre de la mission qu'il a confiée à M. Balladur, a souhaité une répartition claire des compétences, afin que l'on sache qui fait quoi. À cet égard, le texte est facteur de complexité. Actuellement, l'État donne son avis sur le PRDF et il est abondamment consulté, mais il existe un pilote, une assemblée démocratique, qui tranche. Il faut donc simplifier le dispositif.
Enfin, je rappelle que les organisations professionnelles, qui ne sont pas mentionnées dans l'alinéa 8, doivent être aussi consultées.