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Intervention de Pierre Lequiller

Réunion du 21 mai 2008 à 15h00
Modernisation des institutions de la ve république — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Lequiller, président de la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, mes chers collègues, c'est avec une profonde satisfaction que je constate que le projet de loi de modernisation des institutions a pris en compte l'une des missions décisives du Parlement, sur laquelle on n'insiste jamais assez : le contrôle de son influence sur les affaires européennes.

L'Europe a enfin pris conscience de l'atout que représentent les parlements nationaux pour pallier son déficit démocratique et contribuer à l'enracinement de notre destin commun. Sans la présence des parlementaires nationaux au sein de la convention 2002, dont je faisais partie pour représenter l'Assemblée nationale, je suis convaincu que les principales innovations que consacre le traité de Lisbonne n'auraient jamais vu le jour.

Mieux, le nouveau traité nous invite à un contrôle régulier et efficace de la pertinence de l'action européenne. Grâce au contrôle de subsidiarité, nous serons en mesure de nous adresser directement aux institutions de l'Union et de freiner les initiatives qui n'apportent aucune réelle valeur ajoutée à l'échelle de l'Europe.

Je tiens d'ailleurs à préciser que le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, par anticipation, nous a adressé directement les textes européens dès 2006. L'Assemblée nationale s'est déjà pleinement impliquée en émettant, à l'initiative de la délégation pour l'Union européenne et en accord avec les commissions, des réserves au titre du respect du principe de subsidiarité, par exemple à propos de la directive postale.

Dans le même esprit, nous avons mis au point, avec nos homologues étrangers, un système pour coordonner instantanément nos avis respectifs. Ce point est crucial : si la moitié des parlements nationaux estiment qu'un texte enfreint le principe de subsidiarité, le Conseil des ministres ou le Parlement européen pourront le rejeter à la majorité simple, c'est le « carton orange ».

Il existe même un mécanisme du « carton rouge » qui nous permet de demander à la Cour de justice de l'Union d'annuler les actes contraires au principe de subsidiarité. Pour garantir le plein usage de cette nouvelle faculté à faire respecter l'ordre juridique, lors de mon audition par la commission des lois, j'ai donné un avis favorable à l'amendement présenté par Christophe Caresche, membre de la délégation, qui propose d'exercer ce recours à la demande de soixante députés ou soixante sénateurs. Le Bundestag a choisi une voie comparable en permettant à un quart de ses membres de saisir la Cour de justice, sur le modèle de ses dispositions intérieures visant à faire respecter l'équilibre fédéral.

Dans ce contexte favorable, il aurait été paradoxal que rien ne soit fait pour affermir le contrôle du Parlement sur les affaires européennes, à la mesure de la place que nous reconnaît désormais Bruxelles grâce au traité de Lisbonne. Eh bien, le projet de loi répond à ce défi !

Avant tout, l'article 88-4, dans sa nouvelle rédaction, parachève une lente conquête, mettant un terme aux « trous noirs » en matière d'intervention de nos assemblées parlementaires sur la question européenne. La loi de 1992 préalable à la ratification du traité de Maastricht nous avait permis, pour la première fois, de nous exprimer sur les enjeux communautaires, mais avec de fortes limites. Nous n'étions en effet saisis que des textes relevant du domaine législatif français.

Un pas de plus a été franchi en 1999 à la suite du traité d'Amsterdam. Depuis lors, le Gouvernement peut, à sa convenance, nous transmettre tout autre texte qu'il estime utile. Et il faut reconnaître que, depuis 2005, l'exécutif a fait un très large usage de cette faculté. Demeurent toutefois de nombreuses zones d'ombre. Ainsi, par exemple, l'Assemblée nationale n'a pas pu s'exprimer en 2005 lors du lancement des négociations d'adhésion avec la Turquie.

Le présent projet nous libère totalement de cette entrave en nous offrant l'opportunité d'adopter des résolutions sur « tout document émis par une institution de l'Union ». L'avancée est décisive. Aucun sujet européen ne pourra échapper au contrôle légitime des assemblées. Surtout, nous pourrons librement décider du tempo de notre intervention, sans avoir à attendre, comme aujourd'hui, que le Gouvernement nous transmette officiellement les projets de l'Union.

Un rapport du Parlement européen fait-il débat ? Nous pourrons nous en saisir. La Commission publie-t-elle une communication polémique ? Nous pourrons nous en saisir. Un nouveau chapitre de négociation est-il ouvert avec un pays candidat ? Nous serons en mesure d'intervenir et de nous exprimer sans contrainte. C'est bien le moins que les citoyens attendent des représentants de la nation.

Il est un dernier aspect porteur d'avenir. Le nouvel article 88-4 nous autorise, nous encourage même, à engager un dialogue avec les institutions de l'Union pour peser efficacement sur leurs projets. Nous aurons les moyens de nous adresser directement à Bruxelles pour porter les préoccupations de nos assemblées.

D'autres modifications étayent la qualité de notre travail sur les questions européennes. Le nouveau texte nous garantit une information exhaustive. Le traité de Lisbonne prévoyait que les institutions nous adressent sans intermédiaire leurs propositions, mais la politique étrangère et de sécurité commune échappait implicitement à notre prise. Le nouvel article 88-4 boucle le champ en obligeant le Gouvernement à nous soumettre tous les projets d'actes de l'Union.

Parallèlement, le présent texte institutionnalise un comité des affaires européennes dans chaque assemblée. La reconnaissance du rôle fondamental des délégations dans le suivi de l'Union ne peut évidemment que nous satisfaire. Le terme de « comité » qui est proposé consacre le caractère original des actuelles délégations. Celles-ci ont en effet une double vocation : elles assument une mission d'alerte et de veille sur l'actualité européenne et, surtout, elles s'emploient à irradier les enjeux de l'Union auprès des artisans de la législation nationale que sont les commissions permanentes.

Nous disposons de nombreux atouts pour réussir. L'appartenance des membres de la délégation à une commission permanente en est un. L'essor des groupes de travail communs à la délégation et aux commissions, l'organisation de réunions communes entre délégations et commissions permanentes depuis le début de la législature, l'instauration de pôles européens dans chaque commission – comme le souhaitait le président de notre assemblée – constituent une autre piste encourageante. Pour l'image de notre Parlement, la nouvelle dénomination mettra fin à une anomalie parfois mal comprise par nos homologues étrangers, surpris de constater que la France est le seul pays à ne pas disposer d'une commission ou d'un committee des affaires européennes.

J'en viens à la question des référendums sur les adhésions, et à l'article 88-5. Je comprends bien l'initiative du Gouvernement, qui a voulu tracer une voie concurrente, plus souple, visant à faciliter les adhésions qui, à terme, ne susciteront sans doute pas de grand débat. Je pense ici aux Balkans qui, comme le Conseil européen l'a indiqué, ont vocation à entrer dans l'Union.

Il est vrai que l'institution, en 2005, d'un référendum automatique sur toute nouvelle adhésion a parfois été mal comprise par nos partenaires, qui l'ont interprétée, à tort, comme une défiance vis-à-vis de l'élargissement. Il est vrai aussi que l'organisation systématique d'un référendum pose problème. Y aurait-il un sens à mobiliser 40 millions d'électeurs pour se prononcer sur l'adhésion de la République de Macédoine à l'Union ?

Je perçois néanmoins tout aussi bien la méfiance de notre peuple, inquiet de voir l'Europe changer de nature sans qu'il soit concerté, par l'intégration de pays dont la taille et l'importance imposent de toute évidence que les citoyens tranchent eux-mêmes. J'avais voulu proposer un dispositif protecteur qui ne désigne pas du doigt tel ou tel pays. À cette fin, j'avais suggéré qu'on laisse la voie parlementaire à la seule initiative des assemblées, et qu'on définisse des exigences de seuil telles qu'elles n'écartent les référendums que lorsque l'immense majorité de notre classe politique se trouve d'accord. Une autre solution vous est proposée par notre excellent rapporteur Jean-Luc Warsmann, de nature à apaiser sans nul doute toutes les craintes. L'essentiel est de faire passer le message selon lequel aucune adhésion ne se fera contre l'hostilité de notre peuple. Personne n'y gagnerait, ni l'Europe ni la France.

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