Ces cinq amendements réduits à deux sont quand même, excusez-moi, monsieur Fenech, une sorte de tour de passe-passe. Le projet est très différent de ce qui avait été évoqué au mois de décembre, de ce que vous nous aviez exposé, et du travail effectué par MM. Garraud, Goujon, Gautier et Burgelin. Depuis deux jours à peine, nous avons changé de monde.
Vous affirmiez votre volonté de protéger les plus vulnérables, les mineurs de moins de quinze ans, des pulsions criminelles avec passage à l'acte des pédophiles pervers : viol, torture, assassinat, assassinat puis viol, viol puis assassinat… Je ne vais pas poursuivre la liste macabre. Nous avions compris que nous avions affaire à 10, 15, 20 criminels très dangereux, et qui nous posaient à tous – quelles que soient nos opinions – un problème très lourd, philosophiquement. Nous sommes dans la zone grise, voire noire, de l'humanité. Nous avons tous été confrontés, à des moments divers, à ce type de situation. Il nous faut alors beaucoup d'imagination et de travail – y compris de travail sur nous-mêmes, monsieur Fenech – pour essayer non pas de comprendre, non pas d'analyser, mais de nous empêcher de bondir à travers la pièce en nous écriant : ce n'est pas possible !
Vous aviez proposé une solution avec laquelle nous n'étions pas d'accord, parce que nous pensions qu'elle reposait sur de mauvais fondements et qu'elle allait à l'encontre de nos règles de droit. Je n'y reviens pas pour ne pas alourdir le débat.
En revanche, avec ces amendements tendant à l'élargissement de la mesure, on change de monde, puisque l'on vise tous les criminels dangereux. Il y en a toujours eu, mais certains le sont plus que d'autres et les circonstances peuvent jouer. Vous vous rappelez sans doute les vieux romans de Simenon : l'ancienne génération ne tirait pas sur les gardiens de la paix ou les convoyeurs de fonds. Aujourd'hui on n'hésite plus à le faire, par exemple lors d'émeutes. Bref, de plus en plus de gens seront concernés par votre dispositif. Vous avez évoqué les actes les plus graves, mais vous êtes trop fin juriste, monsieur le rapporteur, pour ignorer le sens de vos propos : la mention des actes commis à plusieurs – combien le sont ? – ou de nuit, rappelle la manière dont notre vieux code pénal – fort estimable par ailleurs – aggravait la description de la commission d'un acte criminel.
Pour ces actes graves, vous suggérez d'examiner la possibilité d'une rétention de sûreté. Mais pour qui ? C'est terrible à dire, mais pensez-vous que le criminel qui tue des vieilles dames – même s'il est récidiviste, comme c'est souvent le cas – pour leur voler leurs bijoux ou leur argent liquide est de même nature que le pervers polymorphe qui, pardonnez-moi l'exemple, viole un enfant sans défense ? Cela n'a rien à voir ! Au nom d'une logique sécuritaire et pour montrer que vous agissez, dans le contexte de difficultés politiques que nous connaissons, vous allez faire enfermer des gens qui n'ont rien à voir avec des psychopathes pervers.
Je me tourne vers M. Garraud, qui a rédigé un rapport sur la dangerosité criminologique et psychiatrique. Nous le savons tous : les types qui, de sang froid et à plusieurs, tuent un convoyeur de fonds lors d'une attaque à main armée n'ont rien à voir avec le pédophile de Roubaix ! Ils seront pourtant passibles de la rétention de sûreté.