Essayons d'être précis dans un domaine évidemment complexe qui donne lieu à des approches subjectives, y compris au plan scientifique.
Je conteste la distinction que vous faites entre troubles du comportement et troubles psychiatriques. Elle vaut uniquement pour les questions de responsabilité pénale. Je maintiens que, dans les deux cas, on peut prononcer une hospitalisation d'office.
Dans l'affaire à laquelle vous avez fait référence, madame la garde des sceaux, même si aucun membre du groupe socialiste n'a voulu le relever, il y a eu indiscutablement un dysfonctionnement administratif. Cette personne aurait pu en effet être signalée au préfet, qui aurait pu demander l'hospitalisation d'office. Il est vrai que la culture de notre administration en matière de santé publique est assez faible, pour ne pas dire autre chose.
Bernard Debré a souligné que ce projet de loi était dans la continuité de l'hospitalisation d'office. De fait, il n'apporte rien de plus.
Nous avons aujourd'hui un problème avec la psychiatrie. Nous menons depuis vingt ans une politique systématique de fermeture des asiles, en partie justifiée, qui a été amplifiée par une politique administrative consistant à fermer des lits pour des raisons budgétaires, et l'administration, voire le personnel médical, prennent peut-être un peu trop le parti de faciliter la sortie des personnes en se disant que c'est à la société de les gérer.
Le projet de loi tend à repousser vers les dispositifs répressifs pénitentiaires des personnes qui, indiscutablement, devraient être d'une façon ou d'une autre prises en charge dans une logique asilaire et psychiatrique. La psychiatrie et la santé mentale dans notre pays sont des questions dont il faut débattre politiquement, publiquement, avec les responsables des politiques de santé mentale, avec les praticiens de santé mentale.
Dans mon arrondissement de Paris, le nombre de sans domicile fixe augmente de façon considérable et il me semble, avec ma petite expérience, que ce sont très souvent des personnes en grande difficulté psychiatrique, avec éventuellement des problèmes de très forte addiction. Aujourd'hui, ces gens-là ne peuvent être pris en charge par le secteur psychiatrique, ils sont renvoyés dans la rue. Dans la logique que nous défendons aujourd'hui, nous serons peut-être amenés demain à en faire des détenus de nos prisons. Croyez-vous que ce soit la seule réponse ?
Je le dis avec humilité, nous devrions poser le problème de la santé mentale dans notre pays. Nous devrions interpeller les psychiatres, les académies scientifiques pour savoir si les réponses qui sont apportées aujourd'hui, y compris par l'administration, et nous sommes tous responsables de la situation de ce point de vue, sont les bonnes.
Vous êtes en train de pousser vers l'institution pénitentiaire des gens qui devraient relever de structures de soins psychiatriques et de politiques de prévention, quand des crimes ont été commis et quand ils n'ont pas encore été commis.
Si une personne ressent des pulsions de perversion, vers qui peut-elle se tourner ? Dans la société française, on ne parle pas de ces choses-là. On ne peut pas demander ça au médecin généraliste, il n'est pas formé pour cela. Y a-t-il des structures adaptées, des numéros verts, des antennes, des lieux où ceux qui ressentent leurs premiers symptômes de perversion peuvent aller ?
Vous savez que 80 % des crimes et des déviations sexuelles naissent dans les familles. Vous connaissez la réalité de nos campagnes, de nos villes, de nos banlieues, des milieux déshérités. C'est à ce niveau que se fabriquent les violences sexuelles et les perversions. Et quelle est la réponse de la société ? Rien du point de vue des politiques de santé mentale. Très peu de chose du point de vue des structures de soins psychiatriques.
Ce que l'on propose, et ce projet ne fait malheureusement qu'aller dans ce sens, c'est une réponse répressive et pénitentiaire qui, on le sait, va fabriquer du hors droit, pour ne pas dire plus, et qui nous posera des problèmes éthiques fondamentaux. L'injonction de soins a ses limites. Nous touchons au non-droit, ce qui, au niveau des valeurs de notre société, est extrêmement préoccupant.