Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, à l'issue de cette discussion générale, je ressens un sentiment d'inachevé. En effet, dans toutes les interventions, y compris la vôtre, madame la ministre, il a été question des problèmes de fond que connaît l'université, que ce soit l'échec en premier cycle, la question de l'encadrement au niveau de la licence ou encore celle des personnels. Or, face à cette demande évidente de l'ensemble de nos collègues, qui souhaitent que l'on traite au fond la question de l'université, vous nous présentez un texte réduit au seul problème de la gouvernance. Pourquoi ce projet de loi a minima ?
Pour vous convaincre de prendre le temps d'un nouvel examen en commission, je voudrais rappeler rapidement l'histoire de ce texte, avant qu'il n'arrive devant le Parlement. Il est issu à l'origine d'une ambition partagée par tous ici, celle de la nécessité d'une vraie et grande réforme de nos universités, au service d'un objectif sur lequel nous sommes unanimes : la compétition mondiale se gagnera par l'intelligence et la construction, en France et en Europe, d'une puissante société de la connaissance.
Or, aujourd'hui, la France manque d'étudiants, ce qui discrédite définitivement, me semble-t-il, tous ceux qui considèrent que la sélection est une solution à l'échec – je reviendrai sur les engagements que vous avez pris à ce sujet. Les causes de cette pénurie sont connues : l'hécatombe, dès la première année, qui touche presque uniquement des jeunes mal préparés, issus de milieux défavorisés ; un encadrement pédagogique insuffisant en licence ; des conditions de vie et de santé des étudiants déplorables qui accentuent les inégalités – il est inadmissible qu'aujourd'hui, en France, un étudiant sur deux soit obligé de travailler à temps plein pour payer ses études ; des enseignants peu et mal considérés ; des doctorants sans véritable statut et sans moyens suffisants pour poursuivre leurs travaux de recherche ; des classes préparatoires, en marge de l'université, qui drainent à la fois les meilleurs élèves et la majorité des moyens d'encadrement, dans un enseignement qui reste largement pluridisciplinaire et n'oblige donc pas – ce qui est le cas, au contraire, pour les étudiants des universités – à une orientation précoce, dès la première année.
Au fond, nous avons une université qui marche à l'envers. Et c'est parce que nous avons tous pris conscience de la nécessité de la remettre sur ses pieds qu'un consensus, enfin, se dégageait pour enclencher une vraie réforme de l'enseignement supérieur, aussi ambitieuse que le fut la démocratisation, ou du moins la massification, de l'enseignement secondaire, il y a une trentaine d'années. C'est bien pourquoi tous les candidats à la présidence de la République ont mis en avant la nécessité et l'urgence d'une telle réforme. Au sein du monde universitaire, les plus rétifs, il y a quelques mois encore, y étaient prêts.
Or que nous propose votre projet de loi ? Une simple réforme de la gouvernance. Vous faites de ce sujet, certes important, le verrou qu'il faudrait faire sauter pour permettre d'engager une réforme globale de l'université. En engageant la réforme de la sorte, vous prenez très exactement le contre-pied de la démarche que suggèrent les deux auteurs du rapport de la MEC – auquel vous vous référez pourtant en permanence –, selon lesquels le préalable à une réforme efficace de la gouvernance commande de partir de la situation d'échec de nombreux étudiants, notamment en premier cycle, et du déblocage de nouveaux moyens financiers, sans lesquels il ne peut y avoir de démarche crédible.
Alors, quand vous nous annoncez l'ouverture de cinq chantiers, qui concernent effectivement les grands sujets du débat sur l'université, on ne peut qu'être sceptique sur leur conduite et leur aboutissement, et même si, madame la ministre, on ne doute pas de votre volonté personnelle de les mener à bien, on ne peut qu'avoir des doutes sur les moyens dont vous allez réellement disposer.
Nous avons entendu votre plaidoyer pour l'université comme acteur essentiel de l'ascenseur social. Pourquoi, dans ce cas, avoir réduit cette grande ambition au simple problème de la gouvernance ? Pourquoi ne pas avoir tout de suite affronté le vrai sujet, celui de l'inégalité sociale devant la réussite universitaire ? Cela nous aurait conduits à poser le problème des relations entre l'université et les classes préparatoires, et du recrutement de ces dernières, qui les assimile davantage à un lieu de reproduction sociale qu'à un ascenseur social.
Nos doutes sont d'autant plus forts que la lettre de mission que le Président de la République vous a envoyée ne vous laisse en fait aucune marge de manoeuvre l'engagement présidentiel de ne remplacer qu'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite ». Cette lettre nous rend d'autant plus inquiets sur les moyens dont vous disposerez que, depuis son élection, le Président de la République n'a fait qu'accumuler les promesses et les dépenses, au-delà même des 13 milliards dilapidés en cadeaux fiscaux offerts aux plus riches. Comment croire à la réalité des chiffres que vous nous annoncez, alors qu'aucun collectif budgétaire n'est prévu et que le budget de 2008 sera élaboré dans le cadre d'une saignée annoncée de l'emploi et de la dépense publics ?
En réponse à nos collègues Jean Yves Le Déaut et Pierre Cohen, qui vous interrogeaient en commission sur les moyens financiers dont vous disposerez, vous avez répondu, en citant le Président de la République : « Faites d'abord les réformes, les moyens suivront. » Je vous avais avertie que nous ne manquerions pas de vous rappeler cette injonction présidentielle. Je commence dès maintenant, car quand Nicolas Sarkozy dit-il vrai ? Lorsqu'il parle ainsi ou lorsqu'il écrit, dans sa lettre de mission, exactement le contraire ?