Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre de la culture, la grandiloquence et le lyrisme n'ont pas raison de tout et surtout pas du réel. Pour continuer la métaphore filée par Aurélie Filippetti, votre problème est bien le réel. Et la réalité, c'est que cette loi liberticide portée par un ministre de la culture va attenter aux libertés fondamentales et, au fond, à l'intérêt des artistes.
Arrêtez le massacre ! Ce n'est plus de la détermination mais de l'acharnement thérapeutique. Ce n'est plus un projet de loi, mais un chemin de croix.
Reprenons l'histoire. Au commencement était la loi « DADVSI » de 2006, grand moment de pitrerie législative, censurée – déjà – par le Conseil constitutionnel, loi inapplicable et inappliquée. Déjà, le ministre de l'époque nous expliquait que la France ouvrait la voie au monde entier. Il s'agissait alors de sanctuariser les DRM comme réponse ultime à la question des droits d'auteur sur internet. On sait ce qu'il en est advenu : les DRM ont disparu, relégués par les opérateurs eux-mêmes au cimetière des illusions technologiques.
Or c'est avec la même arrogance, la même suffisance, le même aveuglement, qu'a été conduite l'aventure HADOPI. Après plusieurs semaines de débat, un premier rejet par l'Assemblée nationale, une seconde délibération sous la contrainte élyséenne, après la censure du coeur du dispositif par le Conseil constitutionnel, voici donc HADOPI 2. Certes, le canard est toujours vivant mais si mal en point que vous repoussez l'adoption du texte au mois de septembre, de crainte d'une dernière déconvenue estivale.
Faut-il que le lobby du show-biz soit si puissant auprès du Président de la République pour que la droite persiste ainsi contre tout bon sens ? Car la seule et vraie question reste bien de savoir pourquoi la droite française imagine, seule au monde à suivre cette démarche, pouvoir mettre en place une politique de répression massive et automatisée pour répondre à la révolution numérique.
L'exemple des DRM devrait vous faire réfléchir. La tentation d'ériger une ligne Maginot technologique contre cette belle utopie sociale de la révolution numérique est d'ores et déjà vouée à l'échec. Autant construire des digues de sable pour contenir la marée montante ! On pourrait même en sourire tant cette démarche traduit – comme votre discours de ce matin – une incompréhension radicale de l'ère numérique.
Malheureusement, les conséquences de votre tentative sont des plus inquiétantes pour les libertés fondamentales, car tout le dispositif repose sur une surveillance généralisée de la Toile, qui plus est confiée à des sociétés privées – véritable menace pour nos libertés.
En matière de création, monsieur le ministre de la culture, alors que la révolution numérique représente une chance extraordinaire – grâce à la multiplication colossale des échanges –, le Gouvernement ne trouve pas mieux que d'emboîter le pas aux industriels qui tentent de préserver coûte que coûte leur rente et leurs modèles anciens. Ils sont prêts à tout pour cela, quitte à créer un appareil répressif quasi orwellien.
La question posée n'est pas médiocre. Alors que la Toile a permis une explosion des échanges, comment faire pour engranger cette avancée du bien-être collectif tout en inventant le nouveau modèle économique qui permettrait de rémunérer les créateurs ? Avec une contrepartie équitable, la mise à disposition quasi illimitée de la plupart des contenus culturels constituerait un formidable progrès pour la société.
Au lieu de cela, vous appelez à la rescousse des technologies de surveillance pour protéger des intérêts privés en proie à la crise de leur modèle économique, crise du reste toute relative, et les propos que vous avez tenus ce matin à ce sujet mériteraient d'être largement nuancés : jamais le cinéma français ne s'est aussi bien porté et jamais le chiffre d'affaires global de la musique n'a été aussi important. Seul le support physique, le disque, et son mode de distribution sont en crise, non la musique. Mozart a fait de la musique avant Universal et je suis à peu près convaincu qu'il y aura d'autres musiciens après Universal.
Ce texte porte, en outre, une grave atteinte à la philosophie même de l'internet et à son apport formidable. Ce qu'il y a derrière cette bataille, c'est la volonté des multinationales de l'industrie du loisir de transformer le réseau d'échanges que constitue d'abord la Toile en réseau de diffusion commerciale. Et sous couvert de la défense de la propriété intellectuelle, c'est surtout la voracité financière et la soif d'appropriation qui sont à l'oeuvre.
L'extraordinaire développement des échanges en dehors de la sphère marchande qu'a constitué internet est insupportable pour les majors. Cette manne leur a échappé et ils souhaitent mettre la main dessus avec votre concours.
Le droit d'auteur a été inventé par Beaumarchais pour protéger les artistes contre les marchands. C'est l'inverse aujourd'hui : il est utilisé par les marchands contre les artistes et leur public.