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Intervention de François Asensi

Réunion du 28 mai 2009 à 15h00
Statut de la société privée européenne et services sociaux d'intérêt général dans l'union européenne — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Asensi :

Monsieur le président, monsieur le haut-commissaire, chers collègues, les peuples désespèrent de l'Europe, alors même qu'ils sont plus convaincus que jamais de la nécessité d'une construction politique européenne. Mais comment s'en étonner ?

Les consultations populaires ont été contournées, balayées d'un revers de main, en France et en Irlande. Les peuples d'Europe auraient-ils tort ?

Dérégulation de la finance et du commerce, mise en concurrence des services publics, atteinte aux droits des salariés : le modèle social européen, aujourd'hui vanté par toutes les forces politiques, a été patiemment démantelé.

Et après avoir contribué à la faillite du capitalisme par la promotion de politiques libérales injustes et inefficaces, l'Union européenne est désormais aux abonnés absents. Mais pour autant, elle n'a pas abandonné le détricotage des normes sociales européennes.

Comme l'a fort bien exposé le rapporteur, le projet de règlement sur la société privée européenne et les communications de la Commission sur les services d'intérêt général contiennent en germe les pires menaces pour la protection sociale et les services publics.

Initialement prévue pour alléger les contraintes des petites et moyennes entreprises, la création d'un statut juridique harmonisé de la société privée européenne marque le retour du principe du « pays d'origine », défendu en d'autres temps par le commissaire Bolkestein.

Les entreprises fournissant un service en France et immatriculées dans un pays européen où les droits des salariés sont peu protégés pourront ainsi allègrement contourner la législation sociale de notre pays.

Rédigé sous la dictée des lobbies patronaux, ce texte qui conduit à une régression des conditions de travail n'est pas acceptable, et les salariés, aujourd'hui mobilisés dans les entreprises, ne l'acceptent pas. Il est d'autant plus inacceptable que le Parlement européen a choisi d'étendre cette disposition aux entreprises de plus de 250 salariés. Désormais, seules les entreprises cotées en bourse sont explicitement écartées de ce statut peu contraignant. Pour les grandes multinationales, la porte est ouverte à la création de filiales « boîte aux lettres » dans les pays pratiquant le dumping social.

Ce modèle social est celui de la compétition acharnée entre les individus et entre les peuples, loin de l'idéal généreux de coopération qu'est la construction européenne.

Sans me faire l'avocat des règlements tatillons, je considère que l'empressement à « simplifier » le droit au niveau européen et national consiste le plus souvent à faire disparaître le droit. Les scandales financiers actuels et la spéculation trouvent là leur origine.

Comment expliquer aux Français qu'il soit si facile d'harmoniser des règles juridiques complexes, d'étendre la durée du temps de travail jusqu'à 65 heures, mais impossible de réaliser la moindre harmonisation sociale ?

Mais cela ne choque sans doute pas ce Gouvernement, qui malgré la précarisation de l'emploi, souhaite autoriser la location des salariés entre entreprises.

En présentant cette proposition de résolution, nous marquons notre refus que, lors des prochaines discussions du Conseil concernant le projet de règlement de la société privée européenne, le Gouvernement français soutienne le dumping social. C'est au contraire un statut salarial protecteur, harmonisé par le haut, qu'il faut promouvoir dans cette négociation.

Le second volet de notre proposition de résolution a trait à la défense des services publics, et plus particulièrement des services sociaux d'intérêt général, menacés par le dogme de la libre concurrence.

Les services sociaux dont il est question touchent aux fondements même de notre pacte social, puisqu'ils concernent l'accès des citoyens aux droits élémentaires : le logement social, l'aide sociale et l'insertion des personnes vulnérables.

Acceptera-t-on que des associations de lutte contre l'exclusion, qui exercent des missions de service public, soient condamnées par la Cour européenne au motif que l'aide aux exclus est un marché qui peut être assuré par les entreprises ?

La soumission de l'ensemble des services d'intérêt général aux règles de la concurrence condamne les aides d'État, et l'existence même de ces services. Les régies communales de l'eau, les cantines scolaires, les missions locales, essentielles à la cohésion sociale, pourraient être soumises aux appétits du privé.

Ne faisons pas croire aux Français que l'insécurité juridique qu'a exposée Marc Dolez est fortuite. Malgré les appels à clarifier le statut des services publics, la Commission européenne s'est refusée avec entêtement à y procéder.

Est-il légitime que, sur un enjeu aussi fondamental que le maintien des services publics, le Parlement européen ne dispose d'aucune initiative législative ? Il s'agit là d'un véritable déni démocratique.

La mobilisation des citoyens européens contre la directive Bolkestein avait permis de sortir ces services sociaux d'intérêt général du champ de la libre concurrence. Cet acquis fragile a immédiatement été remis en cause par une Commission européenne gardienne de l'orthodoxie libérale.

La Cour de justice européenne a ainsi pu engager une procédure contre un organisme public de logement social aux Pays-Bas, en arguant que ce service ne s'adressait pas uniquement aux plus défavorisés. Une même décision pourrait frapper les fournisseurs du logement social tel que nous le concevons.

Non, le droit à un logement, à une vie décente, à une éducation émancipatrice ne sont pas de simples services vendus à des consommateurs !

Loin de préserver et d'étendre le bénéfice des services publics, les majorités qui se sont succédé au Parlement européen ont aidé le Conseil et la Commission dans leur funeste projet de libéralisation des services publics – libéralisation des services postaux, libéralisation du fret, de l'énergie, au nom d'une plus grande efficacité du secteur privé, mais en réalité au nom d'une idéologie absurde et, je crois, dépassée.

Et quel en est le résultat ? Une dégradation du service fourni, une augmentation des tarifs, et des licenciements massifs. Je pense en particulier à l'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire britannique, qui fut une véritable débâcle.

Depuis juillet 2008, la politique d'insertion des jeunes est sujette à la mise en concurrence. Des opérateurs privés s'y sont engouffrés, sans obtenir un meilleur taux de placement. Mais le coût pour la collectivité, lui, n'est pas le même : quand la mission locale de Sevran-Tremblay, dans ma circonscription, reçoit 750 euros par personne suivie, l'entreprise privée touche dix fois cette somme !

On ne peut que regretter que les membres du PSE aient accompagné ces contre-réformes, alors qu'ils défendent aujourd'hui l'idée d'une directive excluant les services publics des règles de la concurrence.

Une clarification semble nécessaire, et peut-être est-ce l'occasion d'y procéder aujourd'hui dans cet hémicycle, d'autant que des députés de la majorité et des députés socialistes – et non de l'opposition, car s'il y a une opposition socialiste, il y a aussi l'opposition communiste et du parti de gauche, et j'aimerais qu'on respecte ici ces différentes sensibilités – ont travaillé ensemble à la rédaction d'un rapport sur les services sociaux d'intérêt général.

Le moins que l'on puisse dire, c'est que la défense des services publics ne s'est pas trouvée au coeur de la présidence française de l'Union européenne. Selon le rapport que je citais à l'instant, cosigné par des membres de la majorité, « le bilan de la présidence française dans ce domaine est maigre et décevant ».

Il est facile d'accabler les institutions européennes quand les gouvernements nationaux de différentes sensibilités ont soutenu et impulsé cette marche forcée vers le moins d'Etat, vers le moins disant-social.

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