De cela, en effet, je suis sûr, mon cher collègue ! (Sourires.)
Avec le présent projet de loi, l'occasion nous est offerte de renforcer les pouvoirs de contrôle du Parlement sur des activités qui relevaient jusqu'à présent de la seule compétence de l'exécutif.
La création d'une délégation parlementaire pour le renseignement constitue, de ce point de vue, une réelle avancée. Nous corrigeons ainsi une anomalie, puisque la France demeure à ce jour l'un des rares pays d'Europe à ne pas s'être dotée d'un tel outil. L'enjeu est de taille. Les activités liées au renseignement comptent en effet parmi les moins connues de nos concitoyens, les plus impénétrables aussi, pour des raisons qui ne sont pas toujours louables et qui ne tiennent pas uniquement au fait que le secret marque évidemment et légitimement l'action des services concernés.
Décider de la création d'une délégation parlementaire sur le renseignement, c'est décider de tourner le dos à certaines pratiques et refuser de continuer à faire de services tels que la direction de la surveillance du territoire – la DST – ou la direction centrale des renseignements généraux – la DCRG – de simples officines du pouvoir, parfois instrumentalisées à des fins peu avouables, pour des opérations n'ayant qu'un lointain rapport avec la défense de l'intérêt national et la sécurité de nos concitoyens.
Nous ne faisons pas trop d'illusions non plus. Le contrôle et l'information parlementaires sur les activités de renseignement vont constituer un progrès et répondent à une exigence démocratique forte. Mais, dans le même temps, nous savons d'ores et déjà que ce nouvel instrument ne sera pas la panacée. La délégation recevra certes des informations sur le budget, l'activité générale et l'organisation des services de renseignement, elle pourra entendre le Premier ministre, les ministres de l'intérieur et de la défense, les directeurs des services de renseignement, mais ses attributions s'arrêteront là.
Disons-le : cela ne nous satisfait pas pleinement. Car, si nous pouvons comprendre certaines des restrictions apportées au pouvoir de contrôle et au droit à l'information de la future délégation, afin de préserver la sécurité et la conduite des opérations, il ne nous paraît pas opportun d'exclure des communications destinées à la délégation certains éléments d'information qui n'intéressent pourtant pas directement la réalisation des opérations en cours, telles les informations relatives aux personnes, aux modes opératoires d'acquisition du renseignement ou aux opérations passées, susceptibles d'avoir des incidences juridiques ou judiciaires. Ces éléments devraient clairement participer des compétences de la délégation, d'autant plus légitimement que ses travaux seront couverts par le secret de la défense nationale.
Les spécialistes du renseignement, les acteurs eux-mêmes, reconnaissent en effet que notre dispositif en matière de sécurité nationale est obsolète. Cela pour une raison assez simple : il a peu évolué depuis sa création qui remonte aux années cinquante.
Les objectifs de ces services, leurs structures, leurs modes d'intervention semblent aujourd'hui inadaptés face aux menaces, opaques et multiformes, qui pèsent sur notre sécurité, a fortiori lorsque la distinction entre les dimensions intérieure et extérieure de la sécurité nationale apparaissent beaucoup plus floues aujourd'hui qu'elles ne l'étaient auparavant.
Remédier à tout cela ne tient pas qu'à des questions d'organisation et de structures. Il y a nécessité de prévoir des moyens humains et matériels adaptés. De ce seul point de vue, la création d'une instance parlementaire, ayant compétence non seulement sur l'organisation et les missions des services mais aussi sur les moyens humains et techniques dont ils disposent, apparaît indispensable.
L'existence d'une délégation ad hoc viendra parfaire un mouvement engagé depuis 2002 avec la création de la commission composée de parlementaires et de magistrats de la Cour des comptes chargée de vérifier, mais seulement a posteriori, l'utilisation des fonds spéciaux par les services du même nom.
L'idée de créer une délégation de plein exercice pour le renseignement répond à un véritable besoin. La question a d'ailleurs déjà été soulevée, en 1999, en 2002 et en 2005 enfin à l'occasion de la discussion du projet de loi sur le terrorisme.
En accordant de nouveaux moyens aux services concernés – notamment la consultation directe des fichiers de cartes grises ou des passeports sans réquisitions de la justice –, la loi soulevait de graves questions sur le chapitre du respect des libertés publiques.
L'idée s'était alors déjà imposée de l'urgence de mettre en oeuvre des moyens de contrôle parlementaire sur les services concernés, à rebours d'une tradition bien ancrée qui voulait que le pouvoir exécutif exerce dans ce domaine une autorité sans partage.
Cette idée doit faire son chemin. Beaucoup de progrès sont encore à attendre dans le contrôle démocratique des services de renseignement, notamment pour ce qui concerne les services du renseignement civil, dont on annonce la future réorganisation.
La création de la délégation du renseignement représente à cet égard une étape, sans doute décisive. Comme le soulignait en effet un grand spécialiste de ces questions, le directeur de la DST, M. Pierre de Bousquet : « Dans toute démocratie moderne, la confiance accordée aux services dépend de la capacité des autorités politiques à contrôler leur activité. »
Si le pas en avant réalisé avec ce texte est indéniable, certaines questions demeurent en suspens. Celle de la composition de la délégation d'abord, car nous aurions aimé voir garanti avec plus de vigilance le respect du pluralisme dans la composition de chacune des assemblées ; celle ensuite des compétences de la délégation car, si on se félicite que les pouvoirs de contrôle de la délégation aient été étendus en commission aux services du ministère des finances – à la direction nationale de la recherche et des enquêtes douanières, en particulier –, nous aurions souhaité que la délégation puisse aussi se pencher de façon plus précise sur les programmes et exercer un contrôle réel sur l'efficacité des opérations achevées par les services ainsi que, nous l'avons dit, sur les moyens opératoires utilisés.
Ces insuffisances et la faiblesse des moyens dont disposeront les parlementaires pour mener à bien ces nouvelles missions incitent fortement le groupe de la Gauche démocrate et républicaine à s'abstenir sur ce projet de loi. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)