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Intervention de Philippe Vitel

Réunion du 26 juillet 2007 à 15h00
Délégation parlementaire au renseignement — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Vitel :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me réjouis que ce projet de loi ait enfin vu le jour. En effet, si l'idée est ancienne, aucun gouvernement n'avait accepté de donner au Parlement le rôle qui doit lui revenir sur un sujet aussi sensible que celui-ci.

Pourtant, la plupart des démocraties ont compris l'importance d'une telle mission et se sont dotées d'une structure parlementaire chargée du contrôle et du suivi des activités des services de renseignement – depuis fort longtemps pour certaines d'entre elles.

Je citerai quelques exemples : les États-Unis, en 1977, l'Australie, en 1979, la Belgique, en 1991, le Royaume-Uni, en 1994, l'Allemagne, en 1999. En outre, l'Espagne, l'Italie, le Portugal et les Pays-Bas ont également franchi ce pas depuis un moment déjà.

En France, pourtant, deux propositions de loi tendant à la création d'une délégation parlementaire spécialisée avaient été déposées en 1999. Ainsi, Nicolas About avait déposé au Sénat une proposition « portant création d'une délégation parlementaire du renseignement ». Cette délégation, composée de quatre sénateurs et quatre députés, était chargée d'évaluer la politique nationale du renseignement. À l'Assemblée nationale, Paul Quilès, Jean-Claude Sandrier, Arthur Paecht et Michel Voisin avaient déposé une proposition « tendant à la création d'une délégation parlementaire pour les affaires de renseignement ». Cette délégation aurait suivi les activités des services de renseignement en examinant leur organisation et leurs missions générales, leurs compétences et leurs moyens. Cette proposition de loi, examinée par la commission de la défense de l'Assemblée, en novembre 1999, ne fut pas inscrite à l'ordre du jour en raison de l'hostilité très forte de nombreux professionnels du renseignement.

Des amendements au projet de loi de finances de 2005 avaient également été défendus sans succès par Pierre Lellouche, Alain Marsaud et des collègues du groupe socialiste.

Pourtant les arguments utilisés alors en faveur de la création d'une délégation parlementaire pour le renseignement étaient assez proches de ceux d'aujourd'hui : évolution des menaces, notamment terroristes, profonde transformation de nos services de renseignement, retard du Parlement français par rapport à ses homologues étrangers. Alors que se développaient de nouvelles formes de contrôle des services de renseignement par le biais d'autorités administratives indépendantes telles que la commission consultative du secret de la défense nationale ou la commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, le coeur même du travail du Parlement sur ce sujet restait vierge.

Aussi, je me réjouis que le gouvernement de François Fillon ait décidé de mettre enfin en place un mécanisme réel de contrôle parlementaire de l'activité de renseignement. Je vois dans ce projet de bonnes choses et aussi quelques timidités que j'aurais tendance à regretter.

L'article unique du projet de loi déposé au Sénat le 5 juin 2007 tend à créer une délégation parlementaire commune aux deux chambres. Elle comportait dans le texte initial trois députés et trois sénateurs, soit six membres, avec quatre membres de droit, les présidents des commissions permanentes en matière de défense et des lois de chaque assemblée, afin d'éviter toute concurrence entre ces dernières et la délégation. Nos collègues du Sénat ont proposé d'augmenter le nombre de commissaires parlementaires pour améliorer la représentativité, s'inscrivant ainsi dans la logique d'ouverture qui caractérise l'action du Président de la République. Il est difficile d'arbitrer entre la nécessaire confidentialité des travaux de cette délégation et la volonté d'ouverture. Mais je crois que cette évolution va dans le sens du consensus requis pour assurer la nécessaire objectivité de cette instance.

La délégation aura vocation à entendre les directeurs des services de renseignement. C'est une avancée importante pour mieux comprendre les contraintes propres à chacune des missions des différents services.

L'autre aspect positif que je relèverai tient, non pas au projet de loi lui-même, mais à la volonté présidentielle de mettre en place des mécanismes de coordination stratégique dont le renseignement constitue un des outils essentiels. J'entends par là le futur Conseil national de sécurité qui siégera auprès du Président de la République. En effet, le travail de renseignement doit être orienté au plus près des besoins politiques. Les difficultés à concevoir un plan national de renseignement réaliste – les expériences des années précédentes en témoignent – montrent combien cette instance décisionnelle de haut niveau manquait dans le système français.

J'aurai aussi quelques regrets, encore que nombre d'entre eux soient effacés par des amendements adoptés en commission et que nous soutiendrons.

Le paragraphe IV du projet de loi définit les missions de la délégation parlementaire. Il précise que celle-ci sera « informée sur l'activité générale et sur les moyens des services spécialisés à cet effet placés sous l'autorité des ministres de la défense et de l'intérieur ». Notons tout d'abord qu'il s'agit donc d'un simple suivi des services de renseignement et non d'un contrôle. Pourquoi cette frilosité ? Je ne sais pas mais voyons le verre plutôt à moitié plein qu'à moitié vide.

Ensuite, la communauté du renseignement est définie de façon un peu limitative dans le texte proposé. Au sens du projet de loi, le « renseignement », c'est la direction générale de la sécurité extérieure, la DGSE, la direction du renseignement militaire, la DRM, la direction de la protection et de la sécurité de la défense, la DPSD, la direction de la surveillance du territoire, la DST, et la direction centrale des renseignements généraux, la DCRG. Sont ajoutées à cette liste, l'Unité de coordination de lutte antiterroriste, l'UCLAT, qui dépend du ministère de l'intérieur, et la direction des affaires stratégiques, la DAS, du ministère de la défense. On peut s'étonner de cette liste car la DAS n'est pas, en soi, un service de renseignement.

Il apparaît donc que l'ensemble des activités de renseignement n'est pas couvert. Il me semble ainsi légitime, et comme le propose Bernard Carayon et Yves Fromion, d'ajouter à cette liste la direction nationale de la recherche et des enquêtes douanières, la DNRED, et le TRACFIN, qui dépendent du ministère de l'économie et appartiennent à la communauté française du renseignement. Ces deux organismes participent au comité interministériel du renseignement du SGDN. Elles ne sont pas visées par le projet de loi. Elles ont pourtant certains pouvoirs dérogatoires au droit commun, et disposent de certains fonds spéciaux. Elles sont surtout de véritables acteurs de la lutte contre le terrorisme et le crime organisé. Or, comme vous le savez mes chers collègues, la lutte contre le terrorisme et le développement des problèmes de sécurité font que la protection des libertés publiques devient un véritable débat de société dans lequel le Parlement doit jouer son rôle le plus complet.

J'aurais aussi quelques remarques critiques sur le champ du suivi. En effet, le contrôle des programmes d'équipements des services de renseignement est exclu du texte. Or les équipements visés ici sont souvent des dispositifs de grande ampleur et de forte dimension budgétaire. L'exemple américain, dans lequel le Congrès dispose, en la matière, d'un droit de contrôle étendu aux programmes, montre que très souvent ces programmes font l'objet de dérapages, dépassent les budgets prévus, et sont peu interopérables. Le contrôle budgétaire aurait pu être prévu dans le projet de loi.

Enfin, dernière remarque, le texte exclut le contrôle parlementaire sur les opérations menées par les services de renseignement. Certes, les parlementaires de la délégation n'ont pas à connaître les opérations en cours. Mais, en est-il de même des opérations achevées ? On aurait pu imaginer que, dans des conditions à définir, tel ne soit pas le cas. Rappelons-nous l'affaire Greenpeace ! Une opération ratée qui serait révélée par la presse laisserait en effet le Parlement sans voix. Avec un contrôle limité sur les opérations achevées, on éviterait les révélations journalistiques qui déconsidéreraient cette commission dès le premier incident.

Voilà mes chers collègues, les principales remarques que je formulerai sur ce projet de loi auquel j'apporte mon soutien, car c'est le premier texte qui autorise enfin le Parlement à jouer son rôle de contrôle sur les activités de renseignement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre)

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