Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur la nécessité d'une information de qualité du Parlement sur les questions relatives au renseignement, qui fait, me semble-t-il, l'unanimité sur tous les bancs. La situation française en la matière apparaît, certes, peu satisfaisante, car marquée par un retard réel par rapport aux autres États membres de l'Union européenne. Il convient cependant de ne pas céder aux sirènes de l'autodénigrement, afin de ne pas courir le risque d'accréditer l'idée que nos services de renseignement ne font l'objet d'aucun contrôle extérieur, alors même que des instances comme la commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité et la commission de vérification de l'utilisation des fonds spéciaux réalisent un travail important. Comme l'a rappelé M. le rapporteur de la commission des lois, chaque année, au moment du débat budgétaire, en particulier lors de l'examen du budget de la défense, les services de renseignement ne sont pas oubliés dans les travaux des rapporteurs. On peut même dire que les rapports présentés devant nos deux assemblées contiennent beaucoup plus d'informations que dans d'autres parlements européens. Par ailleurs, l'ancienneté des dispositifs étrangers est relative et ne signifie pas, loin s'en faut, que leurs résultats soient à la hauteur des espérances.
De l'examen des instances de contrôle parlementaire des services de renseignement fonctionnant en Europe, on peut retirer quelques traits communs, tels que le nombre généralement très réduit de membres, la représentation de l'opposition et le secret des travaux et des délibérations. Le projet qui nous est soumis reprend ces différents points. Adapté aux particularités nationales, il résulte de débats anciens et récurrents sur l'opportunité d'une meilleure association du Parlement.
Je rappellerai à cet égard les deux propositions de loi sur le sujet déposées en 1999, l'une au Sénat par M. Nicolas About, l'autre à l'Assemblée nationale par M. Paul Quilès – à laquelle s'était associé Guy Teissier. Les réflexions qui ont été alors conduites ont fait avancer les esprits. À l'occasion de la discussion du projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme en novembre 2005, notre assemblée avait examiné trois amendements sur le contrôle des services de renseignement. Si ceux-ci n'avaient pas été adoptés, le Gouvernement s'était à l'époque engagé à déposer rapidement un texte aussi consensuel que possible, ce qui fut fait dès le 8 mars 2006. Le gouvernement issu des élections du printemps 2007 a tenu à soumettre cette question au Parlement aussi vite que possible.
Le principe retenu est celui d'une délégation parlementaire commune à l'Assemblée nationale et au Sénat. Il apparaît en effet préférable à la création de deux structures distinctes, pour des raisons tant pratiques que liées à la nécessité de limiter le nombre de personnes participant aux travaux. De ce dernier point de vue, le projet initial était particulièrement prudent, puisque la délégation devait compter seulement six membres, dont quatre membres de droit. À juste titre, le Sénat a porté l'effectif à huit membres, ce qui permettra de représenter plus aisément les différentes sensibilités politiques, tout en conservant un format réduit, garant de la confidentialité.
Plus dommageable est, à mon sens, l'omission de certains services, tels que la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières et la cellule de traitement du renseignement et d'action contre les circuits financiers clandestins, dite cellule TRACFIN. Par souci d'exhaustivité, il est souhaitable que les activités de renseignement des services qui dépendent des ministères chargés du budget et de l'économie puissent également être abordées par la délégation. C'est l'objet de deux amendements identiques proposés par les commissions des lois et de la défense.
Lors de la discussion en première lecture au Sénat, trois questions principales ont été abordées : celle des rapports entre la délégation parlementaire au renseignement et la commission de vérification de l'utilisation des fonds spéciaux ; celle des possibilités d'audition de la délégation et, enfin, celle de la publicité de ses travaux.
La commission des lois et la commission des affaires étrangères du Sénat avaient adopté deux amendements identiques permettant la remise à la délégation au renseignement du rapport annuel non public de la commission de vérification des fonds spéciaux. Ces amendements ont été retirés en séance publique ; de fait, ils revenaient à contourner l'exclusion du financement des activités opérationnelles du champ de compétence de la délégation. Compte tenu du caractère extrêmement sensible de ces activités, il me paraît nécessaire de maintenir une séparation claire entre les deux organes et d'attendre les enseignements de l'expérience avant d'envisager éventuellement la mise en place de mécanismes de coordination de leurs activités.
S'agissant des possibilités d'audition par la délégation parlementaire au renseignement, le texte initial était particulièrement restrictif, puisque celle-ci pouvait entendre uniquement les ministres, les directeurs des services de renseignement et le secrétaire général de la défense nationale. Le Sénat a adopté une nouvelle rédaction qui y ajoute le Premier ministre et précise en outre que, pour les agents exerçant ou ayant exercé des fonctions au sein des services de renseignement, seuls les directeurs de ces services peuvent être entendus. Ce texte apparaît perfectible et les commissions des lois et de la défense proposent chacune une nouvelle rédaction sur ce point.
Enfin, le Sénat a aménagé les règles de publicité d'une partie du travail de la délégation. Le texte initial prévoyait un rapport annuel non public, remis au Président de la République, au Premier ministre et au président de chaque assemblée. En l'état actuel du texte, la délégation réalisera un rapport public, mais dont l'objet sera cependant limité à son activité, ce qui lui permettra d'acquérir une existence aux yeux de l'opinion publique.
Compte tenu de la publicité de ce rapport d'activité, la délégation ne pourra plus y faire état des constatations, conclusions et propositions qui relèvent par nature de ses travaux et sont donc soumises au secret de la défense nationale. Aussi la commission de la défense a-t-elle souhaité que soit expressément prévue la possibilité de transmettre des observations et des propositions couvertes par le secret aux destinataires précités du rapport public. La délégation pourra ainsi jouer un rôle constructif en soulignant les améliorations qu'il lui paraîtrait utile d'introduire dans le fonctionnement de nos services.
Pour conclure, je crois que la création d'une délégation parlementaire au renseignement constituera une avancée importante pour le Parlement. Cette réforme est aussi un progrès pour l'exécutif, qui disposera d'un regard extérieur propre à mieux l'orienter vers d'éventuelles réformes, et pour les services de renseignement eux-mêmes, qui sortiront d'une certaine manière de leur isolement.
Je souhaite terminer en rendant hommage à l'action courageuse des hommes et des femmes qui travaillent au sein des services de renseignement. Il faut souligner l'importance de leurs missions, dans un environnement où la perception et l'évaluation des menaces sont devenues un art difficile. La création d'une délégation parlementaire au renseignement constitue donc une reconnaissance de leur rôle au service de la Nation. Elle est aussi un acte de confiance réciproque entre le Parlement et nos services de renseignement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)