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Intervention de Bernard Carayon

Réunion du 26 juillet 2007 à 15h00
Délégation parlementaire au renseignement — Discussion d'un projet de loi adopté par le sénat

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBernard Carayon, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le projet de loi portant création d'une délégation parlementaire au renseignement, qui a été adopté par le Sénat le 28 juin dernier, représente une innovation démocratique de première importance, qui permettra à la France de rejoindre l'ensemble des États démocratiques, lesquels disposent tous de structures ad hoc pour suivre l'activité de leurs services de renseignement.

Cette singularité française reposait à vrai dire sur de solides arguments. En effet, les services de renseignement traitent, par nature, d'affaires confidentielles et doivent parfois utiliser des moyens légitimes mais illégaux rendant très difficile, voire dangereuse, la transparence de leurs activités. Or le Parlement est un lieu de débat et de transparence, peu propice à traiter des questions de renseignement. Pour autant, celles-ci sont d'ores et déjà examinées par le Parlement, notamment au moment de la discussion budgétaire. Très vite, cependant, les parlementaires se heurtent à un véritable écueil : le secretdéfense. C'est pourquoi il était indispensable de prévoir la création d'un organe parlementaire spécifique dont la composition, les missions et les règles de fonctionnement permettent un véritable suivi des services de renseignement, sans interférer dans le fonctionnement de ces derniers.

Tel est l'objet de ce projet de loi issu des débats sur le projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme, qui se sont tenus en novembre 2005. En effet, alors que le Parlement s'apprêtait à donner de nouveaux moyens juridiques aux services de renseignement, il est apparu que la spécificité française en matière d'absence de suivi parlementaire du renseignement prenait de plus en plus la forme d'une anomalie difficilement justifiable. À l'époque, plusieurs parlementaires avaient donc présenté des amendements visant à instituer un organe parlementaire de suivi des questions de renseignement. L'un de ces amendements avait finalement été retiré en raison de la promesse de Nicolas Sarkozy, qui était alors ministre d'État, ministre de l'intérieur, que le Gouvernement déposerait un projet de loi sur ce sujet. Cet engagement avait été tenu, puisqu'un projet de loi a été déposé dès mars 2006. Toutefois, il n'avait pu être examiné, compte tenu de l'encombrement du calendrier parlementaire de la fin de législature. Nous ne pouvons donc que nous féliciter qu'il ait été inscrit à l'ordre du jour de la session extraordinaire.

Compte tenu des spécificités des activités de renseignement, la mise en oeuvre d'un suivi parlementaire exigeait de prendre des précautions afin de ne pas nuire à la confidentialité nécessaire à leur fonctionnement. La commission des lois estime que ce projet de loi parvient à un équilibre, toujours difficile à obtenir, entre les impératifs de la confidentialité et ceux du contrôle démocratique, entre les droits de l'État et l'État de droit pour reprendre les termes d'un débat traditionnel.

Il ne serait pas raisonnable de souscrire à une approche anglo-saxonne en soumettant les services de renseignement au contrôle permanent et pointilleux du Parlement. Pour autant, si le renseignement est l'affaire de l'exécutif, le Parlement peut s'interroger légitimement sur les conditions de fonctionnement des services, les moyens techniques et les programmes dévolus, l'orientation des missions, les modes de recrutement et le statut des personnels. La future délégation aura donc cette mission importante, sans interférer avec les activités opérationnelles des services de renseignement. La qualité et l'utilité du travail de la délégation reposeront en effet davantage sur l'existence d'une relation de confiance que sur des prérogatives légales apparemment étendues, mais dépourvues d'efficacité.

Ainsi, le terme de « contrôle » n'est volontairement pas utilisé dans le projet de loi, en raison de sa connotation trop intrusive. Cette absence pourra être critiquée, mais elle est nécessaire pour mettre en place progressivement l'indispensable climat de confiance mutuelle. En effet, si les services de renseignement pouvaient avoir le sentiment que l'existence de la délégation risque d'entraver l'efficacité de leur action, il est à craindre qu'ils ne se réfugient dans une attitude de méfiance à son égard. Pour éviter de tels malentendus, le projet de loi a donc fortement encadré l'étendue des missions de la délégation parlementaire, limitées au suivi de l'activité générale et des moyens des services de renseignement dépendant du ministre de l'intérieur et du ministre de la défense. Pour plus de clarté, le projet de loi précise explicitement que les informations et éléments d'appréciation portés à la connaissance de la délégation ne peuvent porter sur les « activités opérationnelles de ces services, les instructions données par les pouvoirs publics à cet égard, le financement de ces activités ».

Le Gouvernement a voulu éviter que la délégation ne soit tentée de s'ériger en organe de supervision de l'activité des services de renseignement, prérogative qui relève tout naturellement de l'exécutif.

La commission n'a donc pas voulu revenir sur cet équilibre concernant les missions de la délégation qui doivent être très encadrées, quitte à ce que la pratique permette d'aller plus loin par la suite. En revanche, la commission a estimé que le champ de compétence de la délégation, limité aux services relevant des ministères de l'intérieur et de la défense, était trop restreint et devait être étendu aux services du ministère des finances qui mènent des missions de renseignement : la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières et la cellule de renseignement financier TRACFIN.

Le projet de loi organise également de façon relativement détaillée la structure et l'organisation de la future délégation parlementaire afin de rendre compatible l'existence d'un suivi parlementaire des services de renseignement avec le respect du secret.

Ainsi, en proposant la création d'une délégation commune à l'Assemblée nationale et au Sénat, le projet de loi permet de limiter le nombre d'intervenants ainsi que les transmissions d'informations. Disposer d'un interlocuteur unique est, pour les services de renseignement, l'assurance d'une confidentialité plus facile à respecter.

De même, le projet de loi limite très strictement le nombre de membres de la délégation. En effet, dans le projet de loi initial du Gouvernement, la délégation n'était composée que de trois députés et de trois sénateurs, quatre de ces membres étant par ailleurs présidents des commissions des lois et de la défense de chaque assemblée, Le Sénat a fait passer ce nombre à quatre députés et quatre sénateurs. Son format reste ainsi resserré, tout en permettant la présence en son sein de membres de l'opposition.

Par ailleurs, le projet de loi met en place un mécanisme très rigoureux de protection du secret des activités de la délégation. Il prévoit ainsi que les travaux de la délégation sont couverts par le secret de la défense nationale. La préservation du secret-défense est en effet le motif principal qui justifie la mise en place d'un organe parlementaire ad hoc pour traiter des questions de renseignement. Ainsi, les séances de la délégation se tiendront toujours à huis clos.

En outre, le projet de loi organise minutieusement les modalités selon lesquelles les parlementaires et les fonctionnaires des assemblées qui les assisteront pourront avoir accès à des informations classifiées. Bien sûr, les parlementaires eux-mêmes ne feront pas l'objet d'une procédure d'habilitation précédée d'une enquête, car ils seront autorisés ès qualités à avoir accès aux informations qui leur seront transmises. En revanche, les fonctionnaires parlementaires qui assisteront les membres de la délégation devront faire l'objet d'une procédure d'habilitation. En outre, parlementaires comme fonctionnaires seront soumis au respect du secret de la défense nationale et pourront donc voir leur responsabilité pénale engagée en cas de violation de leurs obligations, en application de l'article L. 413-9 du code pénal.

Le respect de ces règles de confidentialité constituera un impératif pour la crédibilité de la délégation parlementaire. Celle-ci devra donc adopter des règles de protection des informations et des supports protégés. Les réunions de la délégation devront nécessairement se tenir dans des locaux sécurisés, de même que la consultation des documents classifiés, qui devront y être conservés en permanence.

Globalement, le Sénat a conservé l'équilibre d'ensemble du projet de loi, qu'il a principalement modifié sur deux points. Le premier concerne les personnes que la délégation pourra entendre. Le texte initial du Gouvernement était très restrictif, puisqu'il énumérait limitativement la liste des personnes pouvant être auditionnées par la délégation. Le Sénat a considéré à juste titre que la loi devait se contenter d'évoquer la situation des agents relevant de l'exécutif. En ce qui concerne les personnes extérieures au Gouvernement, il reviendra à la délégation de décider qui elle voudra entendre. Cependant, la commission des lois a estimé que la liste des interlocuteurs gouvernementaux de la délégation ne devait pas atteindre un niveau de détail ne relevant manifestement pas du domaine de la loi.

Le second point ayant fait l'objet d'aménagements au Sénat concerne le rapport annuel de la délégation. Initialement, le projet de loi prévoyait l'établissement par la délégation d'un rapport annuel remis uniquement au Président de la République, au Premier ministre et au président de chaque assemblée. Les destinataires de ce rapport étant très peu nombreux, son contenu pouvait être substantiel : éclairée par les documents confidentiels reçus et par les auditions des principaux responsables tenues à huis clos, la délégation serait en mesure de se prononcer sur des questions sensibles – éventuelles lacunes capacitaires, évaluation de l'efficacité de telle ou telle structure – qui n'ont bien évidemment pas vocation à tomber dans le domaine public.

Le Sénat a choisi une autre option, craignant qu'en l'absence de tout lien avec l'extérieur, l'activité de la délégation ne tombe dans l'oubli, alors même que l'un des objectifs de la création de la délégation est de permettre une meilleure appréhension du monde du renseignement. Le dispositif a donc été modifié : le rapport sera public, mais sa portée sera strictement limitée puisqu'il s'agira d'un simple rapport d'activité, ce qui en amoindrit singulièrement l'intérêt.

La commission des lois a estimé que les objectifs poursuivis par le projet de loi initial et par le Sénat n'étaient pas incompatibles. C'est pourquoi elle a adopté deux amendements, l'un présenté par votre rapporteur, l'autre par le rapporteur pour avis de la commission de la défense, qui permettent de concilier les points de vue. Ainsi, la délégation devra pouvoir présenter d'une part un rapport public ne pouvant comporter aucune information classifiée, d'autre part des rapports non publics adressés uniquement aux plus hautes autorités de l'État, mais beaucoup plus substantiels.

Au total, la création de la délégation parlementaire au renseignement participe du mouvement plus général de renforcement de la fonction de contrôle du Parlement sur l'action de l'exécutif. Pour autant, la spécificité de l'action de ces services exige la mise en place de procédures spécifiques de suivi, au risque de remettre en cause leur efficacité, dont dépend la sécurité de nos agents et de nos concitoyens. C'est pourquoi la commission a adopté le présent projet de loi, modifié par les quelques amendements que je vous présenterai lors de l'examen de l'article unique. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

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