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Intervention de Roger Karoutchi

Réunion du 26 juillet 2007 à 15h00
Délégation parlementaire au renseignement — Discussion d'un projet de loi adopté par le sénat

Roger Karoutchi, secrétaire d'état chargé des relations avec le Parlement :

…à condition que des garanties minimales assurent le bon déroulement des activités de renseignement et la sécurité des agents – mais nous aurons le loisir de revenir sur cette question.

Depuis près de dix ans, les auteurs de plusieurs propositions de loi préconisent la création d'une telle instance en France, et notre pays fait désormais figure d'exception, aussi bien en Europe que parmi les autres démocraties occidentales. Plusieurs ministres, sous diverses majorités, de gauche comme de droite, ont eux aussi souligné qu'ils ne voyaient pas d'objection à l'existence d'une telle instance, sous réserve que ses règles de fonctionnement tiennent compte des spécificités des activités de renseignement.

Il revient ainsi au précédent gouvernement d'avoir su, à la fin de l'année 2005, donner l'impulsion politique nécessaire à l'aboutissement de ce texte. En effet, le projet que nous examinons aujourd'hui honore les engagements pris devant votre assemblée, en novembre 2005, par Nicolas Sarkozy, alors ministre d'État, ministre de l'intérieur, lors de l'examen du projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme. En réponse aux propositions de plusieurs députés, Nicolas Sarkozy avait donné un accord de principe sur la création d'un organe de contrôle. Il avait toutefois souhaité ne pas prendre de décision hâtive, afin de mettre au point une rédaction associant au mieux discrétion, transparence et démocratie. Grâce à ce texte, son engagement de l'époque est donc respecté.

Ce projet de loi n'est pas le fruit du seul contexte français. Il répond également à une évolution de la situation internationale et du contexte géopolitique. Les services de renseignement font face à des défis toujours plus nombreux, qu'il s'agisse des multiples crises régionales ayant des implications pour notre pays, du terrorisme ou encore de la prolifération des armes de destruction massive. Leur action exige évidemment des moyens humains et techniques renforcés.

Notre monde est devenu, sous certains aspects, plus pacifique avec la fin de l'ordre bipolaire, mais il est aussi devenu plus instable, car l'adversaire potentiel est souvent invisible et imprévisible. De ce fait, les services de renseignement ont dû évoluer pour faire face à l'existence de ces nouvelles menaces. Leur action s'est élargie et diversifiée, tout comme les risques qui les accompagnent. Aussi est-il nécessaire que le caractère secret des activités des services de renseignement soit préservé et protégé.

Cette exigence du secret doit cependant être conciliée avec la nécessité légitime pour le Parlement d'être informé. Les activités liées au renseignement sont souvent mal connues des Français. Dans le même temps, le renseignement n'a pas toujours la place qu'il devrait avoir dans le processus de décision. En associant le Parlement au suivi du renseignement, nous allons donner à nos services spécialisés une nouvelle légitimité aux yeux de nos concitoyens. Nous allons aussi favoriser l'émergence d'une réelle culture du renseignement qui, aujourd'hui, nous fait défaut.

Tel est l'objet de ce texte, qui vise à concilier les impératifs de discrétion et d'efficacité liés aux activités de renseignement avec l'exigence d'information du Parlement.

Plus précisément, cinq directions relèveront de la compétence de la délégation : la direction générale de la sécurité extérieure, la direction de la surveillance du territoire, la direction centrale des renseignements généraux, la direction du renseignement militaire et la direction de la protection et de la sécurité de la défense.

Sur le plan pratique, la délégation sera constituée de huit membres – quatre députés et quatre sénateurs –, le Sénat ayant souhaité augmenter leur nombre de deux unités. Cette désignation permettra d'assurer une représentation pluraliste et d'associer l'opposition à cette fonction démocratique essentielle. Seront membres de droit de la délégation les présidents des commissions permanentes de la défense et des lois de chaque assemblée. La présidence de la délégation sera assurée alternativement par un président de commission de l'Assemblée nationale et un du Sénat.

Comme l'ont précisé les sénateurs, la délégation a pour mission de suivre l'activité générale et les moyens des services de renseignement. À cet effet, elle pourra entendre les ministres de l'intérieur et de la défense, les directeurs des services de renseignement et le secrétaire général de la défense nationale. Un amendement du Sénat, accepté par le Gouvernement, a élargi cette liste au Premier ministre.

Chaque année, la délégation établit un rapport dressant le bilan de son activité, qui est remis par le président de la délégation au Président de la République, au Premier ministre et au président de chaque assemblée. Pour lui donner plus de poids, le Sénat a souhaité que ce rapport soit rendu public. Afin de préserver la sécurité des personnes et la conduite des opérations, certains éléments seront cependant exclus des communications à destination de la délégation. Il s'agit notamment des données qui pourraient mettre en péril l'anonymat, la sécurité ou la vie d'une personne relevant ou non des services intéressés, des données liées aux modes opératoires propres à l'acquisition du renseignement et des informations touchant aux activités opérationnelles en cours ou passées, que ce soient les instructions données ou le financement de ces activités.

Cette limitation est d'ailleurs conforme à la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui, dans une décision du 27 décembre 2001, a jugé que « s'il appartient au Parlement d'autoriser la déclaration de guerre, de voter les crédits nécessaires à la défense nationale et de contrôler l'usage qui en a été fait, il ne saurait en revanche, en la matière, intervenir dans la réalisation d'opérations en cours ».

Une dernière restriction importante est l'exclusion de toutes les informations touchant aux relations entretenues avec des services étrangers ou avec des organismes internationaux compétents dans le renseignement. Cette disposition est la traduction de la loi d'airain des services de renseignement, celle du tiers service : le service reste propriétaire de l'information qu'il donne à un autre service. L'information ne peut en aucune manière être transmise à un service tiers sans l'autorisation du service source.

Par nature, le Parlement est un lieu de débat et de parole. Il est pourtant primordial que les membres de la délégation respectent les règles de sécurité inhérentes au renseignement. Aussi les travaux de la délégation, même privés des éléments les plus opérationnels, seront-ils couverts par le secret de la défense nationale. Cela induira des contraintes, à la fois pour les services de renseignement et pour les parlementaires.

Les services devront faire état d'informations couvertes par le secret de la défense nationale, sans bien sûr dévoiler les éléments à caractère opérationnel ni leurs sources. La protection du secret est en effet le fondement même du succès et de l'efficacité de ce type de services. Il leur permet de se préserver d'éventuelles actions hostiles et de protéger leurs sources, sans lesquelles il n'y aurait tout simplement pas de renseignement. Il convient de rappeler que, dans certains cas, le secret est même une question de survie, au sens plein du mot.

Les parlementaires membres de la délégation devront donc concilier cet impératif du « besoin d'en connaître » avec leur statut de représentants de la nation. Les travaux de la délégation seront, je l'ai dit, couverts par le secret de la défense nationale. Les deux assemblées seront ainsi tenues de prévoir des conditions matérielles particulières, notamment des salles sécurisées, pour la tenue des réunions de la délégation. La participation de plusieurs parlementaires aux commissions administratives de vérification des fonds spéciaux et du secret de la défense nationale montre que les deux impératifs peuvent parfaitement être conciliés.

Ce texte vise à concilier la nécessaire information du Parlement avec la préservation de l'efficacité des services, en posant certaines limites à l'étendue des informations à caractère secret dont pourra connaître la délégation. Il traduit donc une vision pragmatique de nature à favoriser l'établissement, entre la délégation parlementaire et les responsables des services, d'une relation de confiance essentielle au succès de la démarche.

La confiance est en effet le maître mot de ce projet de loi : confiance envers les membres de la délégation, qui auront à traiter en toute discrétion des informations essentielles à la sécurité de nos concitoyens et à l'intérêt national ; confiance entre les services de renseignement et les membres de la délégation – cette relation sera déterminante pour l'efficacité du contrôle parlementaire et pour l'appréciation des besoins des services de renseignement ; confiance des citoyens dans leurs services de renseignement grâce au travail de suivi et de contrôle de la délégation parlementaire pour le renseignement.

Avant de conclure, je veux rendre hommage à l'action des femmes et des hommes qui oeuvrent au quotidien pour défendre les intérêts et la sécurité de notre pays, en faisant preuve à la fois de beaucoup de dévouement, d'une totale discrétion et d'une grande sérénité face à l'importance des enjeux. Ils le font souvent dans des conditions périlleuses, à l'écart de toute médiatisation et sans reconnaissance pour les actes héroïques accomplis, mais en consentant beaucoup de sacrifices et en donnant beaucoup de temps et de sang. Cette délégation, je n'en doute pas, oeuvrera à la reconnaissance de leur rôle essentiel pour garantir la sécurité de la France.

En vous soumettant ce projet de loi, le Gouvernement répond à un double impératif. Il permet l'information du Parlement sur l'activité des services spécialisés, tout en assurant la sécurité de ces spécialistes qui accomplissent une mission essentielle pour la sécurité de notre pays. Une telle ambition peut être partagée sur tous les bancs de cette assemblée, même si je sais que certains souhaitent aller plus vite et plus loin. Ce texte est un premier pas très important en faveur de l'information du Parlement et il convient que nous en restions là pour le moment, dans la mesure où il nous faut mieux appréhender les problèmes et ne pas mettre en cause la sécurité et le secret de nos activités de renseignement. La démocratie y gagnera. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre)

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