Je suis, comme mon collègue, extrêmement surpris qu'un tel article figure dans ce projet de loi. D'abord, on voit mal en quoi cela va moderniser l'économie – il est vrai cependant que le reproche vaut pour de nombreux autres articles. Mais surtout, il est proposé par un gouvernement qui mène une politique particulièrement restrictive en matière d'immigration. Peut-être ne l'approuvez-vous pas, madame la ministre, vous qui professez souvent votre foi dans le libéralisme ? Car s'il y a un domaine dans lequel ce gouvernement ne favorise guère les libertés, c'est bien celui-là !
Reste que cette politique s'est retournée contre certaines personnes dont vous n'auriez sans doute jamais pensé qu'elles pourraient, un jour, subir elles aussi des tracasseries administratives. Qui serait concerné par une telle mesure ? L'article 32 évoque – et la formulation est en effet assez choquante – l'étranger qui apporte une contribution économique exceptionnelle à la France. J'aimerais savoir quelle est votre définition d'une telle contribution.
L'exposé des motifs est certes plus précis : il parle de certaines catégories d'étrangers tels que les « PDG de filiales étrangères établies en France » ou des « grands investisseurs individuels », au prétexte que la possibilité de bénéficier d'un titre de séjour de dix ans pourrait influencer les choix d'installation et d'investissement et constituer ainsi un facteur d'attractivité pour la France. On espère en savoir plus en lisant que « le pouvoir d'appréciation laissé à l'autorité administrative pour la délivrance de ce titre doit être encadré ». Mais il ne s'agit, en réalité, que d'exclure du dispositif les étrangers en situation irrégulière et ceux qui constituent une menace à l'ordre public. Aucun éclaircissement ne sera donc donné sur la nature de cette contribution économique exceptionnelle.
Cela va-t-il concerner l'étranger qui contribue à faire vivre l'économie de notre pays ? Avant même d'être élu député, j'avais commencé à aider une femme installée dans ma circonscription après avoir fui la Mongolie, où sa fille, âgée d'à peine douze ans, était menacée d'un mariage forcé. Elle n'a certes pas beaucoup d'argent à investir en France – elle a tout donné aux différents passeurs – mais elle n'en contribue pourtant pas moins à l'activité de notre pays, en tout cas à l'activité agricole de la région nantaise, en travaillant régulièrement, sous contrat à durée déterminée, pour les maraîchers locaux.
De même, il me vient à l'esprit un autre cas, celui d'un étranger travaillant dans la restauration. Ce n'est d'ailleurs pas lui qui est venu me trouver, ni même quelqu'un qui l'aurait soutenu pour des raisons humanitaires : c'est le restaurateur, désireux de l'embaucher, qui m'a prié d'intervenir auprès de la préfecture. Je l'ai fait, mais sans résultat, la restauration ne figurant pas, paraît-il, dans la liste des professions souffrant d'un manque de main-d'oeuvre. Ce restaurateur, qui voulait employer quelqu'un en toute transparence, ne pourra donc pas le faire.
Voilà des exemples de contributions bien réelles à l'économie française. Additionnées, elles dépasseraient peut-être celles des quelques PDG visés par cet article. Je me pose donc la question : à partir de quel niveau une contribution économique peut-elle être considérée comme exceptionnelle ? Cela dépend-il du niveau de l'investissement consenti ? La mesure est-elle destinée à quelques oligarques russes, quelques princes saoudiens ou quelques joueurs de football, dont on ne voit pas trop quel est l'apport économique ?
Avec cet article, vous atteignez le comble de la politique du deux poids, deux mesures. Pour nous, le critère à faire valoir pour la délivrance d'un titre de séjour, c'est le travail.