Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Catherine Coutelle

Réunion du 12 juin 2008 à 21h30
Modernisation de l'économie — Après l'article 24, amendement 1290

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCatherine Coutelle :

Sous couvert d'amélioration du pouvoir d'achat et de préoccupations écologiques, notre collègue propose un amendement qui a provoqué, à juste titre, un émoi considérable dans le monde de la librairie, de l'édition, de la culture, et même la désapprobation de Mme la ministre de la culture. Il s'agit en effet de dénaturer la loi Lang du 10 août 1981.

Cette loi, dans son article le plus connu, instaure le prix unique du livre, prix fixé non par la loi mais par chaque éditeur ou importateur, le prix de vente instauré par le libraire devant être compris entre 95 et 100 % du prix fixé. L'éditeur peut cependant faire des soldes quand il le souhaite.

Cette loi fut votée à l'unanimité. Vingt-sept ans plus tard et avec du recul, elle est reconnue par la majorité des professionnels comme une bonne loi.

Le livre, qui se définit légalement comme un ensemble imprimé ayant pour objet la reproduction d'une oeuvre de l'esprit en vue de l'enseignement et de la diffusion de la pensée et de la culture, n'est pas un produit marchand comme un autre.

Vingt-cinq ans plus tard, la loi a atteint ses objectifs : égalité des citoyens devant le livre, qui sera vendu au même prix sur tout le territoire – les chiffres de l'INSEE montrent que, sur les dix dernières années, l'indice du prix du livre a évolué deux fois moins vite que l'indice général des prix ; maintien d'un réseau décentralisé et dense de distribution, notamment dans les zones défavorisées ; soutien au pluralisme de la création et de l'édition, en particulier pour les ouvrages difficiles. Dans ce secteur, la pratique du discount entraîne une raréfaction des titres disponibles. Chacun propose alors des livres à rotation rapide, au détriment de créations originales ou de rééditions jugées plus difficiles.

Dès son entrée en vigueur, la loi a fait l'objet d'une grande bataille juridique. Le législateur a dû prendre un décret pour sanctionner les infractions. Le Conseil d'État a confirmé la légalité du décret. En 1985, la Cour de justice européenne a reconnu la conformité de la loi de 1981 avec le traité de Rome.

Il est facile d'imaginer d'où venaient ces violentes attaques. C'est le coeur de nos discussions ce soir.

Cette loi a inspiré les pays européens. Certains d'entre eux ont supprimé le tarif unique. Ce fut le cas de la Grande-Bretagne, en 1995. Les prix ont flambé de 16 % alors que l'inflation n'était que de 9 %. Ce fut celui de la Belgique en 1984. Le réseau des librairies indépendantes a chuté.

En France, grâce à la loi, la diversité des circuits de diffusion s'est maintenue, et la concurrence dans le métier du livre se place non pas sur le moins-disant mais dans le domaine de la qualité, de l'accueil, du conseil, de la mise en valeur des animations. C'est une concurrence qualitative plutôt qu'une bataille des prix. Notre pays a su ainsi conserver un réseau, certes fragile, mais dense de librairies.

Pour finir, l'argument écologique n'est pas recevable. Dès 1981, cette loi a été présentée comme la première loi de développement durable. Elle favorisait le commerce de proximité. À l'heure où chacun s'interroge sur le dynamisme et la vie des centres-villes, l'amendement détruirait ce réseau. Quant aux livres mis au pilon, le papier est recyclé. Partent au pilon les livres défraîchis ou inutilisables tels que les manuels scolaires qui n'ont plus cours. Pour l'éditeur, l'intérêt est d'en réduire le nombre.

En lisant votre amendement et son exposé sommaire, mon cher collègue, on ne sait si vous faites preuve d'inconscience ou de machiavélisme, mais c'est une très mauvaise solution et un très mauvais remède à la question que vous posez. Le Grenelle devrait aborder le problème du recyclage des papiers, mais d'une autre manière.

Je vous propose, mes chers collègues, de refuser vigoureusement cet amendement, pour que le livre reste accessible sur tout le territoire et que les libraires continuent à jouer un rôle d'acteur culturel. Pour paraphraser Julien Green, je dirai qu'une librairie, c'est le carrefour de tous les rêves de l'humanité. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion