Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l'article 23 est l'un des rares articles à concrétiser dans ce texte une proposition de la commission Attali. Pour autant je n'ai pas dit que nous proposions que vous en concrétisiez d'autres, monsieur le secrétaire d'État, à moins que vous ne vouliez mettre le feu partout ! En cela, M. Attali est formidable : il est comme une boite d'allumettes.
Comme on pouvait s'y attendre, cet article n'amène rien de bon. En effet, il prévoit la transformation du conseil de la concurrence en autorité de la concurrence, pour faire de celle-ci le régulateur unique en matière de contrôle antitrust. Cette autorité récupérerait le contrôle des concentrations dévolu aujourd'hui au ministère de l'économie, et concentrerait les pouvoirs d'enquête exercés actuellement par la DGCCRF. Ainsi, sa création mettrait fin à un système bicéphale, dans lequel l'administration d'État mène l'enquête tandis que l'autorité indépendante décide d'éventuelles sanctions. Le système bicéphale serait à vos yeux obsolète.
Le cumul des pouvoirs d'enquête, d'instruction et de sanction qui caractériserait cette nouvelle autorité nous paraît cependant pour le moins problématique. En effet, l'autorité créée serait à la fois juge et partie puisqu'elle cumulerait l'instruction des dossiers et les jugements. Est-ce vraiment là une modernisation de notre système de contrôle de la concurrence ? Est-ce là le gage d'une réelle indépendance ? Permettez-nous d'en douter !
L'amendement déposé par des membres de votre majorité visant à une détermination plus précise de l'organisation de l'autorité créée et de ses procédures témoigne d'ailleurs des dérives possibles d'une telle structure. Son exposé sommaire est éloquent : il s'agit de « garantir l'impartialité de ses décisions et le respect des règles du procès équitable posées par la Convention européenne des droits de l'homme ». C'est donc que, pour ses auteurs, cette impartialité n'est pas assurée !
En outre, en dépit de la mention à l'alinéa 4 de « moyens d'investigation renforcés », nous doutons également que la nouvelle autorité créée dispose réellement des moyens nécessaires aux nombreuses tâches qui lui incomberont : contrôle des concentrations, enquête et instruction, rendu de jugements. En effet, selon le rapport de la commission des affaires économiques, seulement une trentaine d'agents de la DGCCRF serait transférée vers la nouvelle autorité, soit le nombre correspondant, toujours selon le rapport, à l'effectif actuel de l'unité enquête de la direction nationale des enquêtes de la DGCCRF.
Cette estimation est cependant contestée par les personnels de la DGCCRF, qui démontrent que les enquêtes de pratiques anticoncurrentielles sont actuellement menées par au moins 172 enquêteurs spécialisés de la DGCCRF, et non par environ 30 enquêteurs comme le laisse entendre le président du conseil de la concurrence. Comment les pouvoirs de l'autorité de la concurrence pourraient-ils donc être plus étendus que ceux de l'actuelle DGCCRF, avec cinq à six fois moins d'agents ? Nous attendons, monsieur le rapporteur, monsieur le secrétaire d'État, des explications sur ce point !
Autre faille dans le raisonnement que vous présentez : les exemples étrangers sur lesquels vous vous appuyez dans le rapport de la commission des affaires économiques ne semblent pas constituer réellement une référence. Vous citez en modèle le cas allemand, mais, outre-Rhin, l'autorité indépendante possède son propre maillage territorial. Or on ne trouve nulle trace d'un tel maillage dans cet article.
En outre, l'exemple espagnol nous invite à réfléchir sur la mise à mal du système actuel. L'Espagne a en effet fait le choix, il y a plus d'un an, d'opter pour une autorité unique de la concurrence, mettant fin ainsi à un système similaire à celui que nous possédons actuellement. Pour la réalisation des enquêtes, le choix a été opéré de ne reprendre qu'un minimum d'enquêteurs spécialisés et de faire fi du maillage territorial existant. Or cette nouvelle autorité a fait la preuve de son inefficacité puisqu'elle ne prononce que cinq à dix décisions par an, ce qui est bien peu comparé aux quatre-vingt-dix décisions rendues par l'actuel conseil de la concurrence en 2006, selon son rapport d'activité annuel. Vous ne me ferez pas croire que le faible nombre de décisions en Espagne est à mettre sur le dos de la plus grande honnêteté des entrepreneurs ibériques en la matière !
Au vu de tous ces éléments, j'aimerais donc que vous nous expliquiez concrètement en quoi la création d'une autorité unique serait plus efficace que l'organisation actuelle qui repose sur la DGCCRF et sur le conseil de la concurrence.
En vérité, cet article risque de sonner le glas de la DGCCRF, administration assurant pourtant la protection du consommateur et le respect des règles de concurrence, et dont chacun s'accorde à reconnaître la compétence et le professionnalisme. L'efficacité de cette administration n'est plus à prouver non plus que sa nécessité pour nos concitoyens. Pourquoi donc la supprimer ? La question n'est évidemment pas technique ; elle renvoie à la façon dont l'État lutte contre des pratiques anti-concurrentielles telles que les abus de position dominante ou les ententes. Les associations de consommateurs sont là pour nous rappeler que les ultimes victimes de ce système sont le plus souvent les consommateurs.
Cerise sur le gâteau, vous voulez évidemment, monsieur le secrétaire d'État, régler cela par voie d'ordonnance sans nous dire ce que vous voulez y mettre. Certes, le rapporteur a eu le privilège d'en savoir un peu plus que nous, mais, vous connaissant, je doute que la note que vous lui avez remise soit beaucoup plus claire que cet article, car, ce que vous voulez, c'est un blanc-seing. On ne sait évidemment pas ce qu'il en sortira.
En outre, même si comparaison n'est pas raison, on voit ce que deviennent toutes ces autorités, qui s'affranchissent en fin de compte de l'État, et sont comme entre ciel et terre. Ainsi, la HALDE s'est permise de violer la loi de 2004 sur la laïcité en rendant un avis qui met dans l'inconfort l'éducation nationale, les enseignants ne sachant plus quels sont les pouvoirs réels de la HALDE : a-t-elle ou non le pouvoir d'injonction ? Et si elle avait par malheur un tel pouvoir, à qui rendrait-elle compte ? La loi est de notre ressort et ne peut être déléguée à l'infini à des autorités qui sont certes indépendantes, mais surtout indépendantes de la République, ce qui n'est pas recevable.