On en reparlera la prochaine fois !
En réalité, le SMIC ne permet pas de vivre. Il est donc nécessaire de le porter, au moins, à 1 500 euros nets.
Malgré le niveau très insuffisant du SMIC, le patronat, dont vous vous faites les porte-voix, rêve à voix haute et depuis fort longtemps, de le supprimer ou de le démanteler en l'accusant de beaucoup de maux. Le patronat, MEDEF en tête, ne s'est jamais vraiment satisfait de l'existence du SMIC. Fréquemment critique quant à ses modalités et règles d'actualisation, il conteste maintenant, de plus en plus ouvertement l'idée même d'un salaire minimum, qui constitue à ses yeux un obstacle à la libre concurrence et un handicap pour la compétitivité des entreprises dans le contexte de la mondialisation. Selon lui, la réponse aux besoins des salariés ne relève pas de sa responsabilité et la rémunération, comme l'emploi, doit obéir à la seule loi du marché.
D'où l'idée de passer d'un salaire minimum qui s'impose à tous les employeurs à une garantie de niveau de vie, ou plutôt de survie, assurée par l'État ou les collectivités territoriales. Le salaire pourrait alors être fixé librement en dessous du salaire minimum, les autorités publiques prenant à leur charge la différence. Ceux qui prétendent revaloriser le travail sont souvent les mêmes qui refusent toute hausse du salaire minimum au prétexte que l'emploi en pâtirait.
Pourtant, aucun argument sérieux ne vient étayer cette idée. Des études, menées par des chercheurs vraiment indépendants, démontrent au contraire le rôle moteur de la hausse du pouvoir d'achat des salaires sur la croissance et donc l'emploi. Ce constat a été vérifié de façon empirique en 1968 quand le salaire minimum a été augmenté de 35 % d'un seul coup. Le débat a également été très intense en Grande-Bretagne quand le gouvernement a introduit le salaire minimum en 1999. Neuf ans plus tard et en dépit de fortes augmentations – le SMIC anglais est aujourd'hui supérieur au SMIC français – les chercheurs n'ont décelé aucun effet indésirable du salaire minimum sur l'emploi et la part des bas salaires a reculé de 10 %. Au point que l'Allemagne songe très sérieusement à emboîter le pas à la Grande-Bretagne.
Votre projet se révèle un petit florilège en matière de niches fiscales et sociales, par exemple en créant un crédit d'impôt pour les entreprises qui développent l'intéressement, en ouvrant la possibilité d'une prime exonérée de charges sociales et d'impôt sur le revenu si elle est affectée à la réalisation d'un plan d'épargne salariale, en prévoyant de développer des formules exonérées de cotisations sociales et fiscales, comme les primes d'intéressement.
Et tout cela est décidé en dehors de la loi de finances et de la loi de financement de la sécurité sociale. Qu'en pense notre excellent rapporteur général de la commission des finances qui déclarait il y a peu : « Les niches fiscales ont toujours existé, mais leur coût a beaucoup progressé ces dernières années. Tout se passe comme si la fixation en 2003 d'une norme d'évolution des dépenses budgétaires avait conduit à la multiplication des dépenses fiscales. Or si nous voulons tenir notre engagement de redressement des finances publiques en 2012, il nous faut à la fois maîtriser les dépenses et préserver les recettes. L'accélération de la dépense fiscale constitue, à cet égard, un véritable problème pour le budget. Et le même phénomène se développe pour les recettes sociales. [...] Il faut créer une norme de dépense fiscale. Nous attendons du Gouvernement qu'il présente, dans le projet de loi de finances pour 2009, un objectif de dépenses fiscales pour l'année et qu'il y inscrive les mesures d'ajustement éventuellement nécessaires. Nous souhaitons également soumettre la création de toute nouvelle niche fiscale à une étude d'impact et en limiter l'application à une durée de trois ans. » Le moins que l'on puisse dire est que les voeux du rapporteur général ne sont guère suivis d'effets, et c'est là un motif de principe pour les députés soucieux de l'état finances publiques de décider le renvoi en commission.
Il faut, en effet, se poser la question de l'assiette du financement de la protection sociale qui est handicapé par le développement continu des niches sociales. Leur montant a été évalué par la Cour des comptes pour les divers dispositifs d'association des salariés aux résultats de l'entreprise – stock-options, participation, intéressement – entre 6 et 8,3 milliards d'euros. La Cour souligne qu'« en 2007, le montant total des dispositifs d'exonération atteint 27,8 milliards d'euros [...]. En 2008, leur coût attendu est estimé par le PLFSS à 32,3 milliards, y compris plus de 4 milliards au titre des exonérations sur les heures supplémentaires prévues par la loi TEPA. Ce coût représente environ 10 % des recettes du régime général ou de l'État et 70 % du déficit de ce dernier. »
Actuellement, on observe l'amplification d'un mouvement de substitution des éléments de salaire indirect au salaire direct, mouvement engagé depuis plusieurs années. Selon la Commission des comptes de la sécurité sociale, les sommes distribuées au titre de l'intéressement ont augmenté en moyenne de 9 % par an sur la période 2000-2005, celles attribuées au titre de la participation de 7,4 % par an et l'abondement des plans d'épargne d'entreprise de 8,3 % par an, alors que la masse salariale n'augmentait dans la même période que de 3,2 % par an, en moyenne. Cela contribue à accentuer les inégalités salariales dans l'entreprise puisque les primes, notamment d'intéressement, sont généralement proportionnelles aux salaires. Mais aussi, cela assèche les finances des systèmes de protection sociale en contribuant à leur déficit, comme l'a souligné mon ami Roland Muzeau.
Il faut revenir, à cet égard, aux analyses et aux appréciations portées par la Cour des comptes, et cela depuis plusieurs années, bien que vous refusiez de lui porter une oreille attentive. Que lisons-nous dans son rapport sur les comptes sociaux en 2007 ? « Il ressort de ces analyses que ces dispositifs ne font pas l'objet d'une évaluation financière suffisante, sont peu lisibles et mal contrôlés. Les données disponibles montrent que leur impact sur l'emploi est limité au regard des efforts financiers importants consentis par les finances publiques. » S'agissant des mesures générales d'exonération, la Cour soulignait : « Le résultat a été une forte progression du pourcentage de salaires bénéficiant des exonérations “ bas salaires ”, passé de 40 % en 1995 à plus de 50 % en 2003. » Dans ces conditions, la Cour estimait : « L'effet net des exonérations traduit plutôt un ralentissement des destructions d'emploi qu'une augmentation des créations. [...] Ces constats justifient qu'une attention particulière soit apportée aux facteurs qui contribuent le plus à l'augmentation du coût des exonérations pour les finances publiques. » La Cour a ainsi recommandé « un meilleur ciblage des exonérations, d'une part en les limitant aux entreprises de moins de vingt salariés ou en resserrant la plage de 1,6 à 1,3 SMIC, et d'autre part [...] en fixant le point de sortie en euros ou en pourcentage du plafond de la sécurité sociale en lieu et place du SMIC. »
« Par ailleurs, ajoute la Cour, ces mesures, et en particulier la loi TEPA, ont fortement complexifié les contrôles des URSSAF et ont accru les risques de contentieux et de fraude. » Il est vrai que la fraude ne vous empêche pas de dormir !
La Cour poursuit : « D'une manière plus générale, ce système est rendu complexe par l'assignation à un même instrument de politique publique, d'objectifs multiples et conflictuels. [...] Une plus grande simplicité des flux financiers ne pourra donc être atteinte que si l'État met en oeuvre ses politiques publiques en ayant davantage recours à ses propres outils qu'à des instruments relevant de la sécurité sociale. »
Voilà les recommandations de la Cour auxquelles vous êtes sourds depuis des années, situation qui nécessite évidemment un retour en commission pour donner suite aux propositions des magistrats financiers que vous ne voulez pas entendre !
Comme nous y invite la Cour des comptes, sous la houlette de notre ancien président, ce projet est aussi l'occasion de revenir sur le bilan du premier texte de la législature consacré au travail : la loi TEPA en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat de l'été 2007. On a vu que le fameux choc de confiance annoncé a été un flop retentissant.