On peut légitimement craindre pour demain d'autres dérives, moralement comme politiquement dommageables. L'amnistie conduit tout naturellement à l'oubli sélectif, puis à la réhabilitation de ce passé sombre, qui porte gravement atteinte au socle des valeurs républicaines, à nos valeurs. Une boîte de Pandore a été ouverte. Elle légitime de façon perverse les pratiques de torture au nom d'objectifs présentés comme nobles, évoqués depuis la nuit des temps : préserver des vies humaines, lutter contre le terrorisme.
Le débat de ce jour me conduit, mes chers collègues, à rappeler ici avec gravité que les méthodes utilisées par la France dans ses anciennes colonies sont périlleuses pour nous-mêmes. Il faut également souligner qu'elles ont été revendiquées et parfois prises comme modèle par des dictatures latino-américaines. Un film documentaire de Marie-Monique Robin, Escadrons de la mort, l'école française, l'a récemment rappelé. Les États-Unis, aujourd'hui démocratie revendiquée, ont eux aussi dérapé et pratiqué la torture ou des formes de torture dans la prison d'Abou Ghraib ou dans le centre de détention de Guantanamo. Notre amnésie officielle décrédibilise les critiques venues de France adressées à des gouvernements étrangers, coupables du crime de torture. Les démocraties se doivent d'être exemplaires, et ne peuvent être qu'exemplaires si elles veulent être écoutées et entendues par des régimes pratiquant sans états d'âme torture, traitements dégradants et peine de mort, Le respect des principes et des valeurs démocratiques ne souffre pas d'exception. Le recours à des mesures dérogatoires, au nom de la raison d'État, finit par pervertir l'esprit des lois.
La défense des droits de l'homme et celle de la démocratie constituent deux des éléments constitutifs de l'identité républicaine. Les socialistes y sont particulièrement attachés. Nous condamnons de façon résolue les violations de ces droits et tout ce qui, de près ou de loin, justifie torture et traitements dégradants. C'est pourquoi notre groupe s'est mobilisé après la publication du rapport du CPT sur les prisons françaises. Plusieurs députés ont interpellé le Gouvernement et nous avons déposé en 2004 une proposition de loi visant à créer un poste de contrôleur général des prisons. Les députés socialistes ont participé, dans cet esprit, à deux débats importants concernant l'un la création d'un poste de contrôleur général des lieux de privation de liberté, l'autre la rétention de sûreté. Nous avons, par ailleurs, protesté après la décision de réduire les subventions accordées à l'Observatoire international des prisons, l'OIP. Par ailleurs, le groupe socialiste participe activement à l'adoption de conventions internationales visant à renforcer la condamnation de la torture, la protection des victimes et, plus généralement la défense des droits de l'homme. Nous avons, par exemple, demandé l'examen en séance publique de la Convention d'adhésion au Pacte international visant à abolir la peine de mort.
Nous avons demandé également, à l'occasion de l'adoption de la Convention sur les personnes disparues, la prise en compte de cas concrets. Je souhaite en particulier rappeler ici celui de l'opposant tchadien Oumar Mahamat Saleh, dont on est sans nouvelles depuis le mois de janvier. Est-il encore prisonnier ou a-t-il succombé à de mauvais traitements ? Le Président de la République, si pressant pour exiger « quoi qu'ils aient fait » le retour de compatriotes mis en examen à N'Djamena après voir été accusés d'enlèvement d'enfants est, en l'occurrence, resté bien discret.