Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le groupe socialiste approuve la convention contre la torture et autres traitements dégradants. Ce texte revêtant une dimension éthique particulière, nous nous félicitons que, comme l'a souhaité notre rapporteur, sa ratification soit accompagnée d'un débat.
La torture a fait l'objet de multiples condamnations. Intimement liées au passé de l'humanité, ces pratiques dégradantes pour l'homme restent malheureusement d'actualité et sont le quotidien de nombreux peuples. Cette actualité universelle concerne les États-Unis, l'Europe, la France, ainsi que la Chine, la Russie et l'Arabie. Il faut garder à l'esprit cette réalité et considérer que nous devons relever collectivement ce défi, quelles que soient nos appartenances.
Notre approbation de la convention contre la torture a valeur d'engagement pour aujourd'hui, mais notre vote exprime aussi un jugement sur un passé d'errements moraux et il traduit une attente : celle de l'abolition une fois pour toutes de la torture et des traitements dégradants, plus de deux siècles après la proclamation de la première déclaration des droits de l'homme, qui en mettait la pratique et le principe hors la loi.
Pourquoi torturait-on ? Pourquoi, malheureusement, torture-t-on encore ? La réponse à cette question n'est pas simple affaire de curiosité historique. Les arguments utilisés hier pour justifier le recours à de telles méthodes sont en effet toujours ceux des tortionnaires d'aujourd'hui. Officielle et légale pendant des siècles, la torture était reconnue, disait-on, pour accélérer les procédures et ainsi obtenir rapidement les aveux d'un suspect ou d'un prisonnier de guerre. Les déclarations ainsi acquises visaient, selon les tortionnaires, à préserver des vies humaines ou à protéger la société. L'Église catholique, la justice des pouvoirs monarchiques, les régimes totalitaires ont ainsi créé des services spécialisés usant communément de la torture, sans autre justification principale que la cruauté.
Dans Situations, Jean-Paul Sartre définissait ainsi cette pratique : « La torture est d'abord une entreprise d'avilissement. Quelles que soient les souffrances endurées, c'est la victime qui décide en dernier recours du moment où elles sont insupportables et où il faut parler. » Les noms d'organismes policiers ou religieux – Inquisition, Tcheka, Gestapo, Milice – sont autant de références qui ont douloureusement marqué la mémoire des hommes.
La torture, de façon paradoxale, s'est perpétuée jusqu'à nos jours. Elle a été intégrée dans l'éventail des mesures policières et judiciaires d'États, de nos États, pourtant démocratiques. Les situations de crise politique et internationale aiguë ont parfois débordé le cadre démocratique. Le recours à la torture a été le fait de la France, en particulier pendant les guerres coloniales, et, plus récemment, des États-Unis pour, dit-on, réduire le terrorisme d'Al-Qaida. Ce recours et cette légitimation de l'innommable ont été, ici et là, justifiés par la raison d'État et une prétendue efficacité policière. Il s'agit surtout de manquements aux valeurs fondatrices de nos démocraties, qui ont dangereusement réactualisé des principes propres aux monarchies médiévales et aux dictatures.
Ces comportements sont inacceptables. L'évolution des moeurs politiques et morales paraissait avoir relégué ces pratiques à d'autres époques, les plus obscures de l'histoire.
La montée en puissance d'un nouvel ordre libéral et démocratique à partir de la Révolution anglaise du XVIIe siècle, à partir de l'Indépendance des États-Unis, à partir de la Révolution française au XVIIIe siècle, s'était en effet accompagnée d'une nouvelle approche laïque et tolérante de la politique. Elle avait conduit à réduire, puis à abolir le recours à la torture comme régulateur de conflits sociaux et des dissidences. Le siècle des Lumières, le siècle de Voltaire, a été celui des premières condamnations et des premières mesures abolitionnistes. La « question » a été supprimée en France à la veille de la Révolution, entre 1780 et 1788 – autrement dit il y a peu de temps. La déclaration des droits de l'homme de 1792 a solennellement confirmé cette suppression. Ce n'est qu'au début du XIXe siècle que l'Inquisition et ses méthodes ont été définitivement abolies.
Le désastre moral du XXe siècle européen, l'accession au pouvoir de dictatures liberticides et criminelles a brutalement ramené l'Europe deux cents ans en arrière. Pire, la technologie a porté l'enfermement, le crime politique et la torture à une échelle jusque-là inconnue. L'effondrement des régimes totalitaires a heureusement créé les conditions d'un sursaut moral. Après la seconde guerre mondiale, conséquence du traumatisme provoqué par les pratiques policières et la conception raciale du pouvoir par l'Allemagne hitlérienne, et du génocide de populations juives et tziganes, un appareil conventionnel international a été adopté, Le nouveau droit développé par les Nations unies à partir de 1945 intègre la condamnation de la torture. Plus près de nous, le Conseil de l'Europe, pour les pays qui en sont membres, a également développé son appareil conventionnel. Le texte qui nous est soumis aujourd'hui s'inscrit dans cette logique conventionnelle qu'il prolonge et complète.
La France a accepté de placer ses actes de gouvernement sous la tutelle morale et juridique de ces traités qui condamnent la torture. À ce titre, elle reconnaît le contrôle effectué par le CPT, Comité européen pour la prévention de la torture et des peines et traitements inhumains ou dégradants du Conseil de l'Europe. J'appelle votre attention sur le dernier rapport établi le 10 décembre 2007 par le CPT sur la situation carcérale en France. Ce document condamne un certain nombre de faits et signale des problèmes nous appelant à corriger de mauvais comportements. La Cour européenne des droits de l'homme, dont la jurisprudence est admise par notre pays, a également, en différentes occasions, condamné la France pour des mauvais traitements concernant des détenus, par des décisions des 27 août 1992, 28 juillet 1999, 1er avril 2004 et 24 octobre 2006. Ces actes et décisions signalent des carences, un déficit démocratique. Ils viennent nous rappeler la nécessité de ne pas baisser la garde. Signer et ratifier des accords internationaux ne suffit pas. Ces organismes internationaux nous aident à rester vigilants, Il faut tenir compte de leurs avis et recommandations, au lieu de les rejeter orgueilleusement d'un revers de la main.
Je souhaiterais, de façon plus solennelle, attirer votre attention sur un dossier qui nécessiterait, près de cinquante ans après ces événements, une prise de conscience et une reconnaissance. Et celle-là ne relève pas que de nous-mêmes. Je veux parler de la torture pratiquée par certaines forces de l'ordre françaises en Algérie. Au-delà des faits qui sont dégradants pour notre pays et éthiquement révoltants, il y va de l'avenir de nos institutions, potentiellement altérées par une amnistie et donc un oubli porteurs de graves incertitudes. Les témoignages vérifiés existent, qu'ils soient le fait de témoins, de victimes ou d'historiens, notamment dans le livre d'Henri Alleg, La Question. Pourtant, la torture qui a été pratiquée en Algérie n'est toujours pas considérée comme un crime imprescriptible par la justice française. Cette situation, justifiée par la raison d'État, le souci de la paix civile, autorise toutes les dérives. L'impunité est ainsi offerte aux acteurs de cette guerre sale. L'un d'entre eux, le général Aussaresses, a publiquement justifié l'usage de la torture à la télévision et dans un livre. La revendication ultérieure par la majorité UMP du rôle positif de la colonisation française en Afrique du nord s'inscrit dans cette logique de l'oubli collectif.