Le constat établi par ces ONG est d'autant plus préoccupant qu'il révèle une nette recrudescence, au cours de ces dernières années, des pratiques de torture dans le monde entier, sous le quadruple effet de la lutte contre le terrorisme, de la pratique des assurances diplomatiques – garanties orales dont se contentent certains États pour expulser des individus vers des pays où ils savent que se pratique la torture –, de la pression des opinions publiques – qui, en raison notamment de la lutte contre le terrorisme, se montrent moins sévères à l'égard de ces pratiques – et de mécanismes dits de « restitution » que, selon un récent rapport du Conseil de l'Europe, la CIA aurait utilisés pour transférer des prisonniers vers des prisons secrètes situées notamment sur le territoire de l'Union européenne.
Il est de notre devoir de démocrates et de défenseurs des droits de l'homme de rappeler que l'on ne combat pas le terrorisme avec les armes du terrorisme ; des images comme celles qui ont été prises dans les prisons d'Abou Ghraïb ou de Guantanamo renforcent, au contraire, le terrorisme. La communauté internationale s'honore donc de lutter avec vigilance et détermination contre la torture.
Tout instrument visant à renforcer les moyens de lutter contre de telles pratiques est donc utile. Le protocole facultatif se rapportant à la convention de lutte contre la torture et autres peines ou traitements inhumains ou dégradants, signé le 18 décembre 2002 à New York, dont le présent projet de loi, adopté par le Sénat le 12 juin 2008, vise à autoriser l'approbation par la France, est particulièrement précieux, dans la mesure où il organise l'articulation entre un sous-comité de la prévention à vocation universelle, qu'il crée, et des mécanismes nationaux de prévention, dont chaque État partie doit se doter.
Aussi, avant même de déposer le présent projet de loi, la France a enrichi son corpus législatif d'une loi instituant un contrôleur général des lieux de privation de liberté, autorité qui a vocation à constituer le mécanisme français de prévention de la torture.
Avant d'en venir plus en détail au contenu de ce protocole facultatif – même si je serai bref, pour éviter de répéter ce qu'a excellemment dit M. le secrétaire d'État –, je vais rappeler le cadre international de lutte contre la torture et les autres peines ou traitements inhumains ou dégradants. Ceux-ci sont interdits à la fois en temps de guerre par le droit humanitaire, c'est-à-dire par les conventions de Genève de 1949, et en temps de paix par le droit international classique.
Après que la torture a été déclarée illégale par la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, puis interdite par convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales de 1950, la convention des Nations unies de 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants – dite « convention contre la torture » – est le premier instrument international contraignant qui porte exclusivement sur la lutte contre cette forme de violation des droits de l'homme ; cent quarante et un États y sont actuellement parties.
Pour veiller au respect des principes qu'elle pose, la convention contre la torture de 1984 crée un Comité contre la torture, composé de dix experts indépendants élus par les États parties à la convention. Le protocole additionnel que nous examinons aujourd'hui vise à compléter ce dispositif en instituant un sous-comité de la prévention, appelé à collaborer avec le comité contre la torture.
Un organe chargé de la prévention de la torture existe également en Europe depuis 1989. Créé par la convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants adoptée en 1987 par le Conseil de l'Europe, le comité européen pour la prévention de la torture est chargé d'effectuer des visites dans tous les lieux de détention sur le territoire des États parties et de faire des recommandations.
Par rapport à ce dispositif européen, le présent protocole à la convention de lutte contre la torture présente l'avantage d'être universel et d'articuler un organe international voisin du comité européen et des dispositifs nationaux propres à chaque État partie.
Adopté à New York le 18 décembre 2002, le protocole est entré en vigueur en juin 2006. Trente-cinq États y sont actuellement parties : trente-trois autres, dont la France, ont signé le protocole sans l'avoir encore ratifié – mais ce sera chose faite tout à l'heure. On est encore loin des quelque cent quarante États qui sont parties à la convention contre la torture de 1984, mais ce protocole n'est que facultatif. Le fait que près de la moitié des États parties à la convention l'aient signé, et ce moins de six ans après son adoption, constitue un signe encourageant de l'intérêt de la communauté internationale pour la lutte contre la torture. Toutefois, l'absence de grands pays parties, comme l'Inde, ou parties et signataires, comme les USA, le Brésil, la Russie et la Chine, est inquiétant et sonne peut-être comme une confirmation implicite du constat dressé par les ONG.
Afin de ne pas répéter ce qu'a dit le ministre, je ne m'attarderai que sur le volet national du protocole. C'est notamment pour mettre en oeuvre de manière anticipée ces stipulations que la France a institué, par une loi du 30 octobre 2007, un contrôleur général des lieux de privation de liberté. Considérablement améliorée au cours de son examen parlementaire, cette loi respecte pour l'essentiel les exigences du protocole.
On peut certes s'interroger sur le choix de la création d'une autorité indépendante unique, en charge du contrôle de tous les lieux de privation de liberté, dont le nombre est évalué à 5 800, alors que ceux-ci sont très divers – établissements pénitentiaires, locaux de garde à vue, dépôts des tribunaux, centres de rétention, cellules de retenue des douanes, par exemple – et présentent des spécificités qui auraient pu justifier de prévoir des organes spécialisés.
La loi présente par ailleurs deux dispositions en contradiction avec les stipulations du protocole : elle n'accorde pas les immunités et privilèges nécessaires à l'exercice des fonctions des collaborateurs du contrôleur général, pourtant exigées par le protocole, et elle prévoit des cas dans lesquels les autorités peuvent demander le report de la visite d'un lieu de privation de liberté par le contrôleur, alors que le protocole n'ouvre cette possibilité que pour s'opposer à une visite du sous-comité de la prévention, mais pas à celle d'un mécanisme national de prévention.
On peut aussi juger trop faible le budget annuel de 2,5 millions d'euros qui lui a été accordé pour 2008. Mais enfin, le contrôleur, après quelques mois de valse-hésitation, a été mis en place et, le 11 juin dernier, a été nommé à ce poste M. Jean-Marie Delarue, dont les compétences sont unanimement reconnues.
Je ne peux pourtant passer sous silence le fait que, à peine créé, ce nouvel organe apparaisse condamné à une existence brève puisqu'il semblerait que, une fois ce mandat achevé, soit dans six ans, ses compétences soient susceptibles d'être confiées au défenseur des droits des citoyens, institution dont la création est prévue par la révision constitutionnelle qui vient d'être adoptée par le Congrès. Il est regrettable que le sort d'un organe aussi important que le contrôleur général des lieux de privation de liberté apparaisse si incertain seulement quelques mois après sa création.
Alors que l'institution d'une autorité unique chargée de contrôler l'ensemble des lieux de privation de liberté pouvait être critiquée, l'idée de la fusionner avec d'autres organes aux missions fort éloignées des siennes est encore plus contestable.
Je pense que la France doit donc non seulement ratifier le protocole facultatif, mais aussi faire en sorte que son mécanisme national de prévention soit irréprochable. Il nous appartient de faire preuve de la plus grande vigilance sur ce point. C'est pourquoi la commission des affaires étrangères, sur proposition de son rapporteur, a adopté le projet de loi de ratification. (Applaudissements.)