Madame la garde des sceaux, ministre de la justice, voilà quelques jours, un collégien de Meyzieu dans mon département poignardait trois de ses camarades, avec l'intention d'en viser sept ou huit au total. Il n'avait jamais fait parler de lui. Malheureusement, de tels cas sont de plus en plus fréquents.
Pour autant, la délinquance juvénile n'est pas un phénomène uniforme et les réponses à y apporter ne sauraient l'être. Même si les situations sont parfois explosives, il s'agit seulement de la partie émergée de l'iceberg et il importe de s'interroger sur d'autres questions moins visibles.
Vous avez annoncé, madame la ministre, une refonte de la justice pénale des mineurs, en particulier de l'ordonnance du 2 février 1945. À cette fin, vous avez installé le 15 avril dernier une commission chargée de formuler des propositions en ce domaine, qui vous remettra un rapport en novembre prochain. J'ai lu avec attention les recommandations que vous lui avez adressées.
La jeunesse des quartiers populaires est dans une impasse. Elle est souvent stigmatisée et diabolisée. On nie souvent la spécificité des mineurs. La notion même d'enfant en danger a disparu et l'on voit apparaître des réponses tronquées. Rappelons que l'ordonnance de 1945 considère l'enfant comme un être en devenir, pour qui rien n'est définitivement joué : il est d'abord en danger et il s'agit non pas de l'exclure et de le briser, mais d'apporter une réponse éducative, dans des conditions adaptées à notre vie d'aujourd'hui.
Ce texte fondateur a été modifié trente et une fois. Et il ne faudrait pas que la prochaine réforme concrétise votre engagement de faire juger les seize-dix-huit ans comme des adultes. Ou alors il faudrait changer l'âge de la majorité et réinstaurer un service obligatoire, civique cette fois, pour les seize à vingt et un ans.
Sur quelle réalité agissons-nous ? Comment établir un diagnostic ? À Vénissieux, 20 % des jeunes sont issus de l'immigration. Ils sont pour une grande partie en échec scolaire et leur taux de chômage dépasse 40 %. Ils sont pris dans l'engrenage du no future et des exclusions.
L'action contre la délinquance juvénile doit être consolidée dans une démarche renouvelée, qui redonne pertinence et efficacité à l'ordonnance de 1945. Au-delà de la justice des mineurs, il s'agit plus largement de reconstruire l'autorité, rétablir des règles, réapprendre les limites et leur respect. La responsabilité pénale des moins de treize ans serait une mauvaise décision, mais il est évident que l'on ne peut pas s'en tenir au statu quo. Il faut innover par des approches et des moyens humains et financiers audacieux.
Or, force est de constater que ce n'est pas en ce sens que nous allons. Qu'en est-il, par exemple, de l'augmentation des effectifs des juges pour enfants ? Et de la généralisation de l'entrée à deux ans à l'école maternelle ? Entendez-vous généraliser l'enseignement des cultures et des civilisations dès l'école primaire ? Ne croyez-vous pas que des éléments essentiels de la politique de prévention et de traitement de la délinquance pourraient être adossés à l'ordonnance de 1945 ? Je pense en particulier à l'accompagnement des moins de douze ans après vingt-deux heures – j'ai réalisé une étude pertinente. Enfin, question importante dans les quartiers populaires, il faut prendre en compte la situation des jeunes exclus ou en échec scolaire. Cela passe par le développement de l'apprentissage dès l'âge de quatorze ans, pour inscrire tous les élèves dans un parcours valorisant, et par l'attribution de moyens suffisants à la protection judiciaire de la jeunesse.
Pour finir, madame la garde des sceaux, je tenais à vous remercier d'être présente ce matin. Accepteriez-vous que les pistes que j'ai évoquées soient explorées par la commission ?