Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme chacun le sait, puisque ce constat est fait au quotidien par les usagers de l'ANPE comme par les agents du service public de l'emploi, la recherche d'un travail relève du parcours du combattant. Au-delà de l'incapacité propre du marché à absorber toutes les demandes, le fonctionnement de la machine administrative reste fastidieux. Les agents en conviennent et sont prêts à réfléchir avec les autres partenaires concernés à un projet de réforme. Encore faudrait-il les écouter et les entendre, mais ce n'est pas le choix fait par ce gouvernement, puisque l'urgence a été déclarée pour ce projet de loi. Cette urgence prive d'un réel débat les parlementaires que nous sommes, mais aussi et surtout les syndicats, les salariés et l'ensemble des demandeurs d'emploi.
Certes, la volonté d'une réforme n'est pas nouvelle : depuis vingt ans, les gouvernements successifs se sont attaqués au monopole du service public de l'emploi. Ils ont bâti leur logique sur deux axes de réforme. Le premier consiste à libéraliser l'activité de placement. Ainsi, en 1986, une ordonnance ouvre une brèche dans le monopole de l'ANPE en autorisant les communes à effectuer des opérations. Mais c'est la loi Borloo, dite de « cohésion sociale », qui met fin au monopole en 2005. À cette occasion, le gouvernement Raffarin, qui veut transformer l'ANPE en une « entreprise publique de service », ratifie la convention 181 de l'Organisation internationale du travail qui ouvre la voie à la concurrence. La loi Borloo autorise ainsi les opérateurs privés à placer et à accompagner des chômeurs.
Par ailleurs, le principe de gratuité du service public est remis en cause. L'ANPE est ainsi autorisée à créer des filiales lui permettant de développer des activités payantes. Selon Jean-Pierre Guenaten, délégué national du Mouvement national des chômeurs et des précaires, « en 2005, l'expérimentation avec cinq officines privées a été jugée positive, alors que les résultats sont les mêmes qu'avec l'ANPE. Fin 2006, dix-sept agences privées ont été retenues pour s'occuper de 100 000 chômeurs ». Pourtant, l'ANPE évalue le coût moyen par chômeur à 730 euros quand l'agence s'en occupe, et à 3 500 euros avec les placements privés. L'analyse de nombreux agents de l'ANPE est sans appel : pour biaiser les chiffres et s'en prendre à l'efficacité de l'ANPE, on réserve les chômeurs faciles à placer aux officines privées, et on laisse les chômeurs de longue durée, plus difficiles à reclasser, au service public. Plus qu'une victoire idéologique, le véritable but de cette libéralisation est de permettre un meilleur contrôle des entreprises sur la main-d'oeuvre. Ainsi, on revient au commerce de placement du xixe siècle, quand les placeurs étaient des sous-traitants des entreprises.
Le contrôle accru des chômeurs, l'augmentation des radiations, les offres d'emploi peu sérieuses, les malencontreux glissements de catégories qui permettent de cacher la véritable ampleur du chômage, la pression hiérarchique exercée au sein des agences ANPE pour répondre aux prérogatives statistiques du Gouvernement, les placements au forcing pour pourvoir, bon gré mal gré, aux emplois ingrats et mal payés, la restriction des offres de formation, sont autant d'éléments qui attestent que la rénovation du service public de l'emploi, prônée par ce gouvernement pour défendre son projet de fusion ANPE-UNEDIC, a déjà été amorcée par la mandature précédente. Ce projet s'inscrit donc dans une politique de continuité, qui laisse présager le pire pour une fusion qui fait avant tout figure de démantèlement du service public de l'emploi.