Madame la ministre, une évolution des missions et une réforme de l'organisation du service public de l'emploi sont nécessaires. Mais les injonctions du Président de la République, qui visent à faire baisser le taux de chômage à tout prix et à répondre immédiatement à l'impatience des entreprises, vous conduisent à une improvisation totale. Votre projet ne repose sur aucune évaluation réalisée avec l'ensemble des parties prenantes : partenaires sociaux, personnels du service public, acteurs de l'insertion ou demandeurs d'emploi eux-mêmes.
Ancien responsable national d'une fédération d'insertion par l'activité économique, j'ai entendu, durant dix-huit ans, tous les reproches faits par de nombreux chômeurs – y compris d'anciens cadres – à un système qui écrase par sa complexité administrative, qui déstabilise par ses injonctions contradictoires, qui angoisse en maintenant une pression permanente. Or, contrairement à ce qui vient d'être dit et à ce que beaucoup croient, une pression très forte sur des chômeurs conduit plus souvent à la rue et à l'exclusion qu'à l'intégration et à l'emploi. On ne peut pas s'apitoyer chaque hiver sur les SDF et ne pas considérer que leur situation est aussi, en grande partie, le signe de l'échec des politiques publiques de l'emploi. Comme tous les députés, j'entends, dans mes permanences, les histoires de vie et les parcours de licenciés économiques, de chômeurs de longue durée et de travailleurs très précaires, qui attendent des réponses concrètes et durables.
Madame la ministre, votre réforme s'adresse-t-elle à l'ensemble des demandeurs d'emploi ? Si oui, pourquoi ne pas attendre les résultats du Grenelle de l'insertion qui devrait, s'il est important à vos yeux, avoir aussi un impact sur l'organisation du service public de l'emploi ? Comment ne pas penser que, puisque votre objectif principal est de réduire le taux de chômage à 5 %, vous concentrez vos efforts sur la catégorie 1 des demandeurs d'emploi, la seule que prennent en compte les statistiques officielles ?
Par ailleurs, seuls 47 % des demandeurs d'emploi comptabilisés sont indemnisés par les ASSEDIC. Outre les incertitudes sur le résultat de la négociation d'une nouvelle convention UNEDIC, qui restreindrait encore les indemnisations, comment ne pas voir que vous concentrez le service public d'État sur ces chômeurs indemnisés plus proches de l'emploi, laissant encore davantage aux collectivités territoriales et locales la responsabilité du devenir des chômeurs de longue durée et des exclus du marché du travail ?
Il est sans doute utile de rappeler que l'indemnisation relève encore d'un système d'assurance payé conjointement par l'employeur et le salarié, et qu'il s'agit, non d'une assurance privée individuelle, mais d'un système de solidarité collective, qui mutualise le risque chômage que court l'ensemble des salariés du secteur privé. On pourrait croire parfois, à lire ou à entendre certaines déclarations, qu'on veut accréditer dans l'opinion l'idée selon laquelle une générosité exceptionnelle serait accordée par la nation à des chômeurs qui feraient trop peu d'efforts pour s'insérer, de sorte qu'il faudrait durcir encore les conditions de maintien de la couverture UNEDIC. Nous ne sommes pas hostiles à l'exigence individuelle, mais celle-ci doit trouver son cadre dans un accompagnement beaucoup mieux structuré et dans une sécurité financière durable. Il ne faut jamais oublier que le chômage est en soi un traumatisme qui déstabilise profondément, y compris ceux qui se croient les plus forts.
Peut-être est-il aussi utile de rappeler que le préambule de notre Constitution indique très précisément que « tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence. » Nous sommes déjà très en deçà de cette exigence commune. Jusqu'où comptez vous aller dans la négation de ces principes fondamentaux ?
En fait, dans votre réforme, vous vous intéressez peu aux chômeurs eux-mêmes, vous préoccupant essentiellement du marché du travail, du « stock » et des « flux », comme on dit à l'ANPE. Vous ciblez les tensions sur ce marché du travail, sans prendre en considération que la moindre attractivité des métiers dits « en tension » est due essentiellement aux mauvaises conditions de travail, à la précarité, à la faiblesse des rémunérations, aux problèmes de mobilité et de logement saisonnier, et, plus globalement, à la faible considération sociale accordée à ces métiers. D'ailleurs tous ceux qui dissertent, ici et ailleurs, sur l'importance d'y pousser les chômeurs, à coups d'injonction et sous la menace de supprimer leurs moyens d'existence, se garderaient bien de le faire pour leurs propres enfants en recherche d'emploi. Dissertation, d'un côté ; réalité, de l'autre. Métiers de la réussite sociale, d'un côté ; métiers de la survie économique, de l'autre.
Madame la ministre, le débat portera durant deux jours sur l'institution, sur le devenir des personnels du service public, sur les besoins des entreprises, sur votre vision trop abstraite, à mon sens, du marché du travail, et sur l'option portée par des entreprises qui exigent du service public de l'emploi la mise à disposition, en flux tendu, de la partie la plus réactive et la plus mobile des demandeurs d'emploi. Mais, je souhaite, chers collègues, que nous remettions les besoins et la réalité des demandeurs d'emploi, particulièrement des plus fragiles, au centre de nos choix et des missions du service public de l'emploi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et sur plusieurs bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)