Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, j'aurais tendance à considérer qu'un projet de loi concernant l'emploi devrait, au-delà de nos divergences politiques, nous imposer une certaine complicité intellectuelle.
Se donner comme objectif de parvenir au plein-emploi d'ici à 2012, voilà une ambition que je serais prêt à partager ! Je me sens d'autant plus concerné que la Martinique, c'est 23,6 % de chômeurs, contre 8 % pour la France.
C'est donc avec esprit ouvert que j'ai procédé à un examen de votre projet, madame la ministre. Aussi, permettez-moi de vous dire ce qui me semble opportun et fondé et ce qui, de mon point de vue, relève de ce que Jacques Attali appelle les « conservatismes généralisés » dont les conséquences risquent d'être catastrophiques, car ils témoignent d'une vision peu moderne d'une démocratie sociale et économique. Je ne mettrai l'accent que sur quelques éléments.
Tout d'abord, votre réforme consiste en une recomposition d'outils existants. Elle ne s'attaque pas au mal profond qu'est l'inexistence d'une politique publique territoriale de l'emploi. Si elle entreprend la fusion de certains outils de la politique publique dans le domaine de l'emploi, elle n'en assume pas l'indispensable réorganisation d'ensemble.
Ensuite, votre projet ne remet pas en cause la séparation artificielle, jusqu'alors entretenue, entre les politiques de développement économique, de formation et d'insertion, y compris par l'économique, alors que la loi d'août 2004 a, sur ces différents points, conforté la place des territoires. L'arsenal législatif existant et tant la loi précitée que la révision constitutionnelle de mars 2003 vous offraient pourtant l'opportunité d'une démarche d'expérimentation compatible avec le souci partagé d'une évaluation de toute nouvelle politique avant d'en généraliser la portée.
Enfin, votre démarche révèle une confusion entre l'outil et la méthode. Je m'interroge en effet sur les fonctions réelles que vous entendez attribuer à ce nouvel outil. Est-ce un véritable instrument stratégique ? Si oui, quelle politique de l'emploi va-t-il servir ? Est-ce au contraire un outil d'apurement qui, par pure éviction statistique, aurait pour objet de diminuer en affichage le chômage ? Les mesures annoncées de suppression des droits des intéressés après deux refus d'offre d'emploi « valable » ou « acceptable » accréditent fortement cette idée et participent d'une volonté manifeste de stigmatiser les demandeurs d'emploi. Mais est-ce un hasard ? Déjà en Martinique, on a proposé à un comptable ayant perdu son emploi dans une exploitation agricole une activité d'ouvrier agricole au motif qu'il s'agit du même secteur d'activité.
Au-delà de ces considérations de fond, le projet gouvernemental remet en cause le paritarisme et procède à une recentralisation de la politique de l'emploi proche d'un processus d'étatisation libérale. Pourquoi transférer le recouvrement des cotisations chômage à l'URSSAF alors que cette structure est dépourvue d'outils statistiques ? De même, le dispositif actuel ne comporte aucun document fiable pluriannuel. Vous me répondrez que le SPER – service public de l'emploi régional – en fait fonction. Malheureusement, ce service ne comporte en réalité et sur le terrain qu'un intérêt limité. Quelles sont les obligations de l'État en matière de financement ? Comment évoluera le statut du personnel des ASSEDIC ? Voilà résumées quelques-unes des interrogations que suscite votre démarche.
Mais votre réforme bute sur une vraie question, celle de la légitimité de votre politique de l'emploi. Aujourd'hui, les politiques publiques en faveur de l'emploi souffrent d'un déficit global de pilotage territorial alors que les politiques développées par l'État, les régions, les départements ou les communes sont à la fois insuffisamment coordonnées et insuffisamment connectées aux réalités économiques et sociales des différents bassins d'emploi. L'absence de réelles stratégies territoriales assurant l'articulation entre ces différents éléments empêche dès lors une politique cohérente et efficace, en matière tant de lutte contre le chômage que de développement économique.
Votre projet laisse de coté cette considération essentielle. Il ne tient pas compte des effets de la réforme de l'architecture territoriale faite par votre majorité en août 2004. Il ne donne pas à la région la place qui devrait être la sienne dans la réforme engagée.
Madame la ministre, chers collègues, les régions sont les échelons pertinents pour définir et mettre en pratique cette stratégie concertée. Elles sont à la fois suffisamment vastes pour animer des projets ambitieux de développement et suffisamment restreintes pour coller plus directement aux spécificités économiques structurelles propres aux différents territoires. Cette démarche doit être complétée par un instrument global de planification territoriale qui pourrait prendre la forme d'un schéma régional de l'emploi n'ignorant aucun niveau de collectivité, notamment les communautés d'agglomération et les communes. Ce sont là des exigences essentielles. Je n'ai pas trouvé un tel mouvement dans votre texte et c'est là l'une de ses nombreuses carences.
Au final, après avoir examiné votre projet avec l'ouverture d'esprit qui est la mienne, j'en conclus qu'il s'agit moins d'une simple réforme de l'outil que d'une étape essentielle du processus de dérégulation du marché du travail que vous mettez progressivement en oeuvre.