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Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Réunion du 12 mai 2009 à 21h30
Modification du règlement de l'assemblée nationale — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Urvoas :

Le seul statut que vous construisez, c'est celui de la majorité.

En agissant ainsi, vous pensez nous passer la muselière et, déjà, sont annoncés des textes dont vous savez qu'ils susciteront une franche hostilité.

Vous espérez ainsi, vous nous l'avez répété, pouvoir légiférer plus vite. Là encore, je crains que le passé de cette maison ne vienne contredire vos espérances.

La volonté de faire taire l'opposition est un lieu commun aussi vivace que l'Arlésienne de l'absentéisme parlementaire. Le premier président de l'Assemblée nationale à se plaindre de l'absentéisme, c'était Henri Brisson qui, en 1898, reprochait à Clemenceau de ne pas venir suffisamment dans cette enceinte.

Oui, en ce domaine, l'histoire bégaie.

Toutes les majorités ont cru à un moment découvrir la pierre philosophale qui leur garantirait une adoption paisible de leurs projets, toutes ont espéré gagner la « bataille du temps ».

Lors de la première Constituante, le 3 août 1789, le représentant Bouche proposait, pour limiter la parole des orateurs, d'emprunter aux anciens le système de la clepsydre. Toute l'Assemblée a applaudi, parce que l'on prenait trop de temps à défendre les textes. La motion a été adoptée, on a admis le principe du sablier. Un mois après, on a renoncé, parce que c'était impossible, qu'on ne pouvait pas s'exprimer. Cet hémicycle, par tradition, se contente souvent, par nécessité, de solutions de circonstance, qui ne suivent pas toujours les règles de la logique.

Tous les présidents qui se sont installés à l'Hôtel de Lassay ont essayé de prendre des mesures pour redorer le blason de l'Assemblée nationale.

Pourtant, en dépit des efforts d'Edgar Faure en 1973, de Laurent Fabius en 1992 et de Philippe Séguin en 1993, notre assemblée ressemble encore souvent à ce qu'Eugène Claudius-Petit, député de la Loire, appelait en 1977 une « assemblée de serruriers », à la vue des députés présents qui couraient dans les travées, au moment des votes, pour tourner les clefs de leurs collègues absents.

Pourtant, bien qu'en 1995 Philippe Séguin ait pris l'engagement, en militant pour la session unique, qu'il n'y aurait plus de séances de nuit, nous continuons à légiférer sereinement à minuit et quart, pensant que nous sommes encore sérieux.

Nous subissons toujours la bousculade indécente de l'urgence alors que notre semaine, il y quinze ans, a été officiellement ramenée de quatre à trois jours de séance plénière afin d'éviter toute précipitation dans l'examen des textes.

Ou encore, bien que nos séances agitées ne soient que de modestes houles au regard des tempêtes de jadis, nous persévérons à lire des discours écrits plutôt que de nous interpeller comme des « héros d'Homère », selon la formule chère à Jacques Chaban-Delmas.

Il n'y a que la boursouflure de l'instant qui puisse laisser croire que des textes perturbent longtemps les habitudes.

L'Assemblée nationale a des traditions bien ancrées, au rang desquelles figure le fait qu'aucun Parlement du monde ne privilégie à ce point l'usage exclusif du discours. On a cité Charles Péguy. Je ne partage pas son jugement. Lui qui était pourtant un admirable chroniqueur de quelques débats passionnés sous le gouvernement Combes disait que « les vrais discours ne se prononcent pas à la tribune de l'Assemblée nationale ».

Voilà pourquoi, demain comme hier, ce n'est pas ce règlement, aussi coercitif soit-il, qui fera taire l'opposition. Pas plus qu'hier, les changements apportés ne viendront amoindri l'écho de nos protestations, d'abord parce que la dextérité dans la manipulation d'un règlement ne résoudra jamais un problème de fond, ensuite parce que les techniques ne sont que des outils – vous allez rendre caduques certaines d'entre elles, nous en inventerons de nouvelles –, enfin parce que nous avons été élus pour faire barrage à votre politique et que nous entendons bien rester fidèles à notre mandat. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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