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Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Réunion du 12 mai 2009 à 21h30
Modification du règlement de l'assemblée nationale — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Urvoas :

Là encore, personne n'est dupe ! L'issue de ce vote est connue. Nous l'avons entendu annoncer dix fois dans cet hémicycle et elle figure en toutes lettres dans une interview de Jean-François Copé accordée aux Échos le 28 avril : « Nous devons adopter le nouveau règlement, quitte à être les seuls à le voter. »

Il fut un temps dans cette enceinte où à la question « Comment approcher la vérité, dégager la décision juste, trouver la solution la meilleure ? », l'esprit du temps répondait : par la confrontation des opinions, ce qui n'est pas la même chose que la négociation entre intérêts.

C'est l'étymologie même du mot qui le souligne, nul Parlement ne se conçoit sans discours ni débats. Ces derniers impliquent l'échange public d'arguments, qui n'est possible que si les points de vue divergents s'expriment librement, si les délibérations ne se transforment pas en affrontements, si les uns et les autres acceptent au moins de s'écouter. Voilà ce à quoi aurait dû servir notre règlement : permettre que la délibération publique entre opinions divergentes constitue la garantie la plus sûre pour produire un résultat vrai, juste et bon.

Vous n'avez pas fait ce choix, vous avez pris un autre chemin : le dépérissement du débat d'idées et sa transformation en tournoi médiéval, où l'incident bruyant et la parole trop haute prendront le pas sur la démonstration rigoureuse.

Seule compte probablement, monsieur Copé, votre fameuse coproduction législative entre le Gouvernement et le groupe majoritaire, perspective dont je n'ai jamais combattu le principe. Sur le fond, je crois juste que c'est une illusion, et que c'est une faute intellectuelle de plaquer le modèle américain des deux pouvoirs séparés sur une réalité qui demeure structurellement parlementaire puisque le gouvernement est théoriquement responsable devant l'Assemblée nationale. La formule que vous utilisez témoigne de la confusion qui en résulte dès lors que le dialogue envisagé ignore le Parlement en tant que tel et le résume simplement à sa majorité.

Je ne crois pas que ce montage pourra longtemps fonctionner, d'autant qu'il sera inévitablement entraîné dans une escalade permanente à mesure qu'il rencontrera les obstacles que lui opposera la structure constitutionnelle de la Ve République.

Faut-il en effet rappeler que la révision de l'année dernière n'a en rien altéré l'arsenal du Gouvernement ? Le 49-3 n'a pas disparu. Vous pouvez l'utiliser huit fois en une année : une fois sur le projet de loi de finances, une fois sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale, une fois en session ordinaire, une fois en session extraordinaire, et sur chacun de ces textes en première puis en deuxième lecture. Le Premier ministre reste puissant et, demain, ses moyens de contrainte pourront à nouveau servir à intimider ses amis.

Sur la forme, cette idée de coproduction est politiquement dangereuse puisque l'équilibre des pouvoirs s'en trouve du même coup ruiné. Dans nos régimes occidentaux pluralistes, le principal rempart contre l'arbitraire ne réside plus dans l'antique séparation entre les pouvoirs exécutif et législatif conceptualisée par Montesquieu, mais résulte bien davantage de l'existence d'un couple, le Gouvernement et ses opposants. Vous avez néanmoins décidé que rien, et surtout pas l'opposition, ne doit venir perturber ce nouveau duo.

C'est pourquoi, dans un premier temps pour la loi organique, et de nouveau ce soir, vous avez dépoussiéré cette vieille rengaine de l'obstruction en tentant de faire croire qu'elle était le lot commun de tous les textes proposés par le Gouvernement.

J'ai lu avec intérêt l'ouvrage que vous avez écrit, pour être lu, j'imagine.

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