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Intervention de Sylvie Andrieux

Réunion du 17 juin 2008 à 22h15
Réforme portuaire — 7. motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSylvie Andrieux :

Il y a un an, le Président de la République et, dans son sillage, le Premier ministre, ont annoncé la nécessité de lancer un vaste plan de relance des ports autonomes français. Depuis, et malgré votre bonhomie habituelle, monsieur le secrétaire d'État, vous semblez arc-bouté sur le leitmotiv du MEDEF selon lequel les ports autonomes français seraient à la traîne de la croissance mondiale, au motif d'être gérés comme des établissements publics. Vous nous imposez ce soir, en procédure d'urgence, un projet de loi sur la compétitivité des ports qui serait le corollaire d'une réforme économique historique, articulée autour de quatre grands axes majeurs, sur lesquels je ne reviendrai pas.

Mais le masque est vite tombé. Car ce vaste plan de relance s'avère n'être, comme l'a brillamment dit notre collègue Daniel Paul, qu'une réforme idéologique que, droit dans vos bottes, vous voulez faire passer à marche forcée, et qui n'est, en fait, que le reflet de la politique du gouvernement auquel vous appartenez et de sa majorité. Ce texte est aussi le reflet d'un déficit démocratique criant, car si vous dites avoir beaucoup consulté et écouté, j'ignore si vous avez beaucoup entendu ! Ce texte, enfin, vise à la destruction des services publics, au démantèlement du domaine public maritime et à la fragilisation – inacceptable – des personnels.

Si l'on partage votre diagnostic, monsieur le secrétaire d'État, dans un trafic maritime mondial en pleine expansion, le taux de croissance du trafic dans les ports français est très faible en comparaison de ceux de nos principaux voisins européens. Alors que le trafic total des ports de Barcelone, Hambourg, Bilbao ou encore Anvers est passé, entre 1997 et 2007, de 60 à près de 100 %, l'évolution à Rouen est à peine supérieure à 10 %, inférieure à 20 % à La Rochelle, et atteint à peine 30 % au Havre et à Nantes Saint-Nazaire. Marseille, hélas, ne fait pas exception, car la part du marché sur la façade maritime est passée de 18,8 à 5,5 % pour le trafic des conteneurs ; quel que soit, d'ailleurs, le type de trafic, liquide, solide ou conteneurs, on constate une nette dégradation de la situation.

Aujourd'hui, les ports français ne sont plus les acteurs des flux commerciaux en direction du territoire national. Mais dans le même temps, si l'on prétend, comme vous le faites, grâce à une réforme, certes indispensable, permettre à nos ports de retrouver leur juste place au tout premier rang des ports internationaux, il ne faut pas se tromper de diagnostic.

Hélas, votre projet de loi recèle à mon avis de réels dangers économiques, sociaux et environnementaux. En effet, vous confirmez votre volonté exprimée il y a quelques années de mettre en concurrence les ports français, les salariés et les territoires, tout en désengageant l'État de ses responsabilités et de ses engagements financiers. Car c'est bien l'État le principal responsable de la compétitivité de nos ports. Comme l'a brillamment expliqué notre collègue Philippe Duron, depuis quinze ans, les investissements dans le domaine portuaire restent le parent pauvre des infrastructures de transports, représentant à peine 3 % de l'enveloppe totale. Aujourd'hui, l'État ne contribue qu'à hauteur de 12 % des investissements des ports autonomes et de 24 % des infrastructures. Les ports eux-mêmes, et surtout les collectivités territoriales, doivent pallier, une fois de plus, le désengagement de l'État. Après la critique du conseil général des Ponts et Chaussées, celle de la Cour des comptes est encore plus explicite sur l'insuffisance du pilotage global et stratégique de l'État et d'orientation par objectifs.

Dans le contrat de plan État-régions 2000-2006, l'État prévoyait 1,2 milliard d'euros pour l'ensemble des ports autonomes français. Pour la même période, le port d'Amsterdam bénéficiait à lui seul du même investissement. Chez nos voisins Belges, le concours financier apporté à l'ensemble des ports s'élevait, entre 1997 et 2005, à 360 millions d'euros en moyenne, contre 120 millions en France. Les grands ports européens que vous citez en exemple dans l'exposé des motifs jouissent de soutiens publics qui leur permettent de se lancer dans des investissements importants et de récolter les fruits d'une véritable politique portuaire nationale.

À défaut d'une véritable politique portuaire, qui intègre des outils de planification nationale des infrastructures, décline des objectifs par réseau, permette d'éviter des investissements redondants entre les ports et intègre l'outil portuaire dans des réseaux d'infrastructures intermodales, votre texte propose un projet stratégique bien pauvre. Pourtant, il existe, monsieur le secrétaire d'État, de belles réussites, lorsqu'on est capable d'associer investissements, volonté des salariés et qualification professionnelle, comme c'est le cas avec Port 2000, avec 2 XL et, bientôt, 3 XL à Fos, et avec le terminal de l'Anse Saint-Marc à La Rochelle. C'est la raison pour laquelle l'un de nos amendements demande une véritable loi de programme et l'organisation d'un CIACT – un comité interministériel d'aménagement et de compétitivité du territoire – portuaire.

Par ailleurs, le texte modifie le périmètre de compétence des grands ports maritimes en recentrant leur missions sur les fonctions régaliennes que sont l'autorité publique, le développement économique et l'aménagement.

Dans un premier temps, nous regrettons qu'il ne concerne que les ports autonomes et exclue les autres, et particulièrement les ports décentralisés qui risquent de connaître une forte concurrence, malgré les paroles plus rassurantes que vous avez prononcées il y a quelques instants.

Les missions des grands ports maritimes devront être déclinées dans un projet stratégique contractualisé avec l'État et, s'ils le souhaitent, avec les régions, les départements et les grandes communautés urbaines. Ce sont justement ces collectivités qui investissent le plus dans nos ports, et vous le savez, mes chers collègues.

Pour Fos 2 XL, par exemple, les collectivités locales amèneront près de 30 millions d'euros. Dans le cadre du premier tour du contrat de plan État-régions signé en 2007, pour un programme de près de 330 millions d'euros pour le port de Marseille, l'État apporte 45 millions d'euros et les collectivités territoriales 73. À l'inverse, les ports dégagent des recettes d'exploitation et reversent des dividendes à l'État. On peut s'interroger sur le fait que les collectivités locales transfèrent indirectement des fonds à l'État.

Dans son rapport de 2006, la Cour des comptes recommandait que la principale collectivité publique porteuse du projet de développement de la place portuaire y dispose d'un pouvoir effectif d'impulsion et de direction. Au vu de ces recommandations, on peut regretter que ce texte n'assure pas un traitement des collectivités locales à la hauteur des investissements qu'elles ont réalisés.

En ce qui concerne la gouvernance des ports, beaucoup de choses ont été dites, et j'enfoncerai le clou : l'actuel conseil d'administration est remplacé par un conseil de surveillance, qui définit les orientations stratégiques et assure les fonctions de contrôle, et un directoire en charge de la gestion de l'établissement. Cette partie du texte pose le problème de la représentation des acteurs portuaires dans le nouveau conseil de surveillance. Les collectivités locales sont les laissés-pour-compte, puisque leur place reste très marginale en termes de pouvoir, malgré l'importance de leurs financements. C'est également le cas du représentant de l'union locale maritime et portuaire, qui doit pouvoir siéger auprès des personnalités qualifiées au même titre que le représentant des chambres de commerce et d'industrie.

Mais ce sont surtout les personnels qui mériteraient d'être davantage associés à cette nouvelle gouvernance. Puisque vous êtes de bonne foi, monsieur le secrétaire d'État, pourquoi avoir rejeté en commission tous nos amendements relatifs à la représentation des ouvriers de la manutention ? Nous souhaitons que l'article 1er soit modifié pour que les acteurs essentiels de la vie du port et de son dynamisme que sont les ouvriers de la manutention soient représentés au sein du grand port maritime et, par voie de conséquence, que le nombre de membres du conseil de surveillance soit augmenté.

J'en viens à l'une des parties de votre projet de réforme qui nous inquiète le plus : je veux parler de la privatisation des outillages et du transfert du personnel. Une fois de plus, monsieur le secrétaire d'État, vous faites fausse route. Vous confiez le soin aux partenaires sociaux, d'ici au 31 octobre 2008, de parvenir à un accord cadre qui définira les conditions, ainsi que les mesures d'accompagnement social de la réforme. Vous auriez dû vous inspirer de l'exemple du Havre et prendre acte du fait que les transferts de personnels ne sont pas obligatoires dans le cas de la mise en oeuvre d'un commandement unique. Des solutions comme la mise à disposition des personnels par le port permettraient d'atteindre l'objectif souhaité, tout en préservant les garanties nécessaires pour les salariés.

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