Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, mesdames, messieurs les députés, la proposition de loi présentée aujourd'hui par nos collègues socialistes vise à un plus grand respect du pluralisme dans les médias en prenant en compte le temps de parole du Président de la République.
Ce texte pose une vraie question, car il n'y a pas de démocratie si tous les points de vue ne peuvent s'exprimer ; il n'y a pas de gouvernement juste et efficace si celui-ci n'est pas soumis à la transparence et à la critique.
Qu'un Président de la République perpétuellement en campagne, puisse, quand bon lui semble, s'inviter plus d'une heure sur les deux principales chaînes de télévision pour expliquer sa politique – ou du moins ce qu'il décide d'en dire – sans qu'aucune contradiction ne lui soit apportée pose un réel problème.
Ce constat que la diversité des opinions n'est qu'imparfaitement représentée dans les médias, et singulièrement à la télévision, ne date pas d'hier. Nombre de commentateurs ont ainsi souligné, par exemple, la responsabilité des journaux télévisés dans la présence du candidat d'extrême droite au second tour de l'élection présidentielle de 2002. De même, lors de la campagne référendaire de 2004 sur le traité constitutionnel européen, nous nous sommes insurgés contre la partialité manifeste des principaux médias français. À l'occasion de la dernière campagne pour l'élection présidentielle, ce sont les journalistes de l'audiovisuel public eux-mêmes qui, en grand nombre, ont lancé un appel au respect du pluralisme.
Cette proposition de loi pointe donc une anomalie réelle, mais il faut constater qu'elle reste à la surface des choses. Le pluralisme ne saurait, en effet, se limiter aux seuls médias audiovisuels et aux nombreuses apparitions sur ces médias du Chef de l'État : cette question concerne l'ensemble des supports et l'ensemble des opinions.
Qu'attend-on, en effet, des médias ? Qu'ils organisent une confrontation des points de vue afin de permettre aux citoyens de se forger leur propre opinion. Or, ce qui les caractérise de plus en plus, c'est malheureusement leur uniformité idéologique sur les questions politiques, économiques ou culturelles et la très faible place accordée au débat d'idées. Le paysage médiatique français est paradoxal. Il existe, en effet, indéniablement une pluralité dans l'offre, avec de nombreux titres de la presse écrite et de nombreuses chaînes de télévision, surtout depuis l'apparition de la TNT. Il s'agit toutefois d'une pluralité de façade qui ne rend pas compte de la diversité des opinions.
Deux raisons expliquent essentiellement cela : les propriétaires de ces médias et le modèle économique dans lequel ils baignent. Ainsi, les médias en France restent concentrés aux mains de quelques grands groupes industriels et financiers : Bouygues, avec le mastodonte TF1 ; Lagardère, avec une pléthore de titres de la presse écrite, des radios, des chaînes thématiques, et Dassault, avec Le Figaro et de nombreux titres de la presse quotidienne régionale, pour ne citer que les principaux groupes.
Cette situation n'est certes pas propre à la France, mais cela ne la rend pour autant pas plus acceptable, au contraire. Si l'on y ajoute la proximité des élites économiques et politiques, particulièrement prononcée dans notre pays, cela ne peut qu'entretenir la confusion des genres, lorsque ces élites économiques se piquent de communication. Cette confusion est d'autant plus suspecte que ces grands groupes vivent essentiellement de la commande publique : Bouygues pour le BTP, Lagardère et Dassault pour l'armement, Vivendi pour l'eau et les déchets, etc.
Il y a là pour le moins une collusion d'intérêts, avec tous les risques de dérives inquiétantes.
Comment ne pas penser, en effet, en voyant toutes les municipalités renégocier à la baisse leur contrat de fourniture d'eau avec Vivendi, que ce groupe a financé son empire audiovisuel en surfacturant le prix de l'eau vendue aux usagers ?
Ne soyons pas naïfs. Lorsqu'ils investissent dans les médias, ces capitaines d'industrie le font moins pour promouvoir le débat d'idées que pour servir leurs propres intérêts en s'assurant de confortables profits, assortis d'efficaces leviers d'intervention politique.
Ils ne se donnent d'ailleurs même pas la peine de tenter d'atténuer cette collusion d'intérêts. Ainsi, l'attitude de TF1 lors de la dernière élection présidentielle est pour le moins troublante, et ce n'est pas l'embauche, au poste de directeur-adjoint de la chaîne, de l'ancien directeur de campagne de Nicolas Sarkozy, qui va dissiper ce trouble.
L'exemple de TF1 illustre parfaitement le pouvoir disproportionné que des groupes industriels peuvent acquérir grâce aux médias.
Aussi peut-on d'ores et déjà s'interroger sur le renouvellement, en 2012, de la concession accordée une première fois en 1986 à Bouygues. Souvenez-vous : Bouygues s'était alors engagé à respecter le « mieux-disant culturel », défini dans le cahier des charges comme « le respect de la dignité de la personne humaine [...], le caractère pluraliste de l'expression de courants de pensée et d'opinion, la qualité de l'information ». Mais, à la place du mieux-disant culturel et du pluralisme, nous avons droit à la téléréalité et au journal de 13 heures, serviteur dévoué du pouvoir en place.
C'est une évidence, TFl n'a pas respecté le cahier des charges sur lequel il s'était engagé. Le CSA ne devrait donc pas renouveler la concession qui lui a été accordée mais, en 2012, osera-t-il le faire ?
Si chacun a pu remarquer la proximité affichée, voire étalée, entre Nicolas Sarkozy et les principaux patrons de presse, ses amis, ses « frères », comme le dit si bien Arnaud Largardère, personne n'est dupe sur les raisons profondes de cette « amitié sincère ». Tout ce beau monde ne partage pas seulement une passion pour les yachts ou le goût des grosses montres : il partage avant tout des intérêts communs.
Pourquoi les principaux médias français feraient-ils une place à tout ce qui s'apparente à une remise en cause de la mondialisation et de la financiarisation de l'économie alors que les groupes qui en sont propriétaires sont les acteurs, et même de premier plan, de cette mondialisation et de cette financiarisation ?
Ils soutiennent évidemment et tout naturellement les hommes politiques et les idéologies qui défendent ces choix économiques, qui encouragent l'argent roi, plafonnent l'ISF jusqu'à le rendre inopérant et favorisent la spéculation financière.
On voit par ce constat qu'un chronomètre ne suffira pas pour assurer dans les médias français une représentation équilibrée de la diversité des opinions.
Modifier cette situation exige des mesures d'envergure qui s'attachent à ses causes, et pas seulement à ses symptômes. C'est notre rôle de parlementaires que d'élaborer des textes pour empêcher ces collusions d'intérêts et favoriser l'expression de la diversité des opinions. C'est l'honneur d'une démocratie.
Permettez-moi quelques pistes de réflexion dans ce sens.
Tout d'abord, il est indispensable de renforcer le pouvoir des journalistes face aux actionnaires, en augmentant par exemple leur présence dans les conseils d'administration, en luttant contre la précarité économique dont sont victimes aujourd'hui certains d'entre eux, et notamment les pigistes, ainsi qu'en reconnaissant aux rédactions, comme le demandent des syndicats de journalistes, un statut juridique qui renforce leur autonomie vis-à-vis des actionnaires.
De ce point de vue, les différentes chartes éthiques devraient être annexées à la convention collective des journalistes pour pouvoir être opposables aux patrons de presse.
Afin de lutter contre les conflits d'intérêts, il est nécessaire de renforcer la loi anti-concentration de juillet 1984 pour empêcher les situations de monopole national ou régional et interdire aux groupes qui vivent de commandes publiques de posséder des médias.
Le droit à l'information doit être inscrit dans la Constitution et un Conseil supérieur des médias créé. Ce dernier réunirait des élus, des professionnels et des citoyens. Il assurerait l'ensemble des fonctions actuelles du CSA, du Bureau de vérification de la publicité et de l'Autorité de régulation, appelée ARCEP.
Nous avons vu à quel point le modèle économique d'un journal, d'une chaîne de télévision, d'une radio, prédétermine sa ligne éditoriale. Aussi est-il indispensable de favoriser, à côté du modèle économique actuel qui cherche d'abord la captation des recettes publicitaires et la rentabilité du capital investi, le développement d'un autre modèle économique en créant un pôle public des médias.
Il ne s'agit pas de revenir à l'ORTF, mais d'assurer le financement public de médias à but non lucratif, autrement dit n'ayant pour but que de diffuser une information complète et pluraliste.
Ce pôle pourrait rassembler France Télévisions, Radio France, RFI, France 5, France 24, l'AFP, l'INA, ainsi que tous les médias à but non lucratif, qu'ils soient publics ou privés, dès lors qu'ils s'engageraient à respecter une charte et à participer à une véritable information au service du public. Sans recours à la publicité, ce pôle pourrait être financé par des taxes, notamment sur le chiffre d'affaires des entreprises exploitant les ressources hertziennes, qui sont un bien public, à des fins commerciales.
Voilà, mes chers collègues, brièvement dessinées, quelques dispositions qui permettraient de favoriser l'expression d'un plus grand pluralisme dans les médias français. Force est de constater que nous en sommes loin.
Nous voterons bien sûr cette proposition de loi qui, bien que limitée, va dans le bon sens. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)