Madame la présidente, monsieur le ministre d'État, madame la secrétaire d'État chargée de l'écologie, mes chers collègues, nous sommes réunis pour débattre d'un texte qui pourrait profondément bouleverser l'agriculture française et, au-delà, notre rapport à l'alimentation et à la nature. En effet, les enjeux induits par les OGM ne sont pas simplement politiques ou économiques, ils touchent à l'éthique, voire à la civilisation. Les questions qui se posent à nous portent sur un avenir qui sera irréversiblement bouleversé, donc sur le sens de ce que nous appelons, parfois un peu rapidement, la modernité ou le progrès. Je ne veux pas basculer dans la grandiloquence, mais le texte dont nous allons débattre pendant trois jours a des conséquences vertigineuses.
La question est en effet d'autant plus sensible qu'elle met en cause des fondamentaux de la vie par le franchissement de la barrière des espèces, la manipulation et le brevetage du vivant, l'irréversibilité de la dissémination et le devenir incontrôlable des OGM. Les industriels des biotechnologies entendent se poser comme les nouveaux démiurges : ils veulent recréer la nature pour la rendre apparemment plus rationnelle et plus propre ; mieux – ou pire –, ils veulent que cette nature vivante manipulée échappe même à ses créateurs – car on dissémine du vivant –, de sorte que son évolution sera incontrôlable, indéterminée et incertaine, tel le monstre créé par le professeur Frankenstein.
J'aimerais évoquer quelques contrevérités véhiculées par la propagande des lobbies semenciers, qui n'ont évidemment pas manqué, au cours de ces dernières semaines, de nous envoyer leurs brochures argumentatives afin de nous convaincre de la nécessité absolue de leurs produits.
Je m'efforcerai donc de démontrer que ce projet de loi est un mauvais projet, qu'il est trompeur et dangereux. Il est en outre inabouti car il tronque des questions essentielles et détourne, par exemple, le problème des distances et des seuils de la responsabilité au profit des industries semencières. La raison centrale de cette question préalable est la suivante : y a-t-il lieu de nous prononcer sur un texte visant à légaliser une technique encore mal maîtrisée, aux conséquences incertaines et totalement inconnues ? Je vous invite à vous demander quelle est l'urgence sociale et agricole qui nous presse à valider ce texte.
Je tiens d'abord à préciser que nous, les Verts, ne sommes pas du tout opposés à la recherche sur les OGM, notamment à des fins thérapeutiques. Nous sommes conscients que désormais, 15 à 20 % des médicaments sont issus des biotechnologies. Il n'est pas question de le contester. Le génie génétique est utilisé en laboratoire de manière routinière depuis trente ans : il est donc un outil au service du chercheur, mais dans un milieu confiné où la contamination est contrôlée. C'est lorsqu'ils sortent de ce cadre confiné que les OGM peuvent légitimement inspirer plus d'inquiétudes. Un champ n'est pas la simple extension d'un laboratoire. Faire entrer les OGM en plein champ revient à permettre le dépassement de la frontière entre l'espace clos du laboratoire et l'espace social et écologique du champ.
Bref, selon nous, la limite des OGM est le confinement. Il nous semble scientifiquement dangereux de disséminer dans la nature des OGM qui pourront atteindre par contamination des millions d'autres plantes de façon irréversible. En outre, nous n'avons à l'heure actuelle pas d'estimation précise et fiable des effets en chaîne, différés ou à long terme, sur les écosystèmes et sur la santé humaine. Les industries semencières jouent aux apprentis sorciers. Autoriser la diffusion des OGM en plein champ, c'est mettre en balance d'un côté l'environnement et la santé publique, et de l'autre un prétendu secret industriel. Quelle est l'utilité sociale de privilégier l'urgence des brevets par rapport au temps d'évaluation ?
Je citerai les propos tenus par les deux membres du Gouvernement présents ce soir sur nos bancs. Mme Kosciusko-Morizet partage apparemment nos doutes. J'ai en effet sous les yeux un communiqué de presse rapportant un extrait significatif de ses déclarations sur RMC le 3 juillet 2007 : « La secrétaire d'État à l'écologie s'est dite “à titre personnel assez réticente sur les OGM. On n'a pas posé la question du sens des OGM qu'on mettait en culture : la question se pose différemment selon qu'il a un intérêt pour la société ou si c'est exclusivement commercial”, a-t-elle expliqué. “Je crois qu'il y a un risque environnemental avec les OGM et ce n'est pas la peine de prendre de risques”, a-t-elle déclaré. »