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Intervention de Jérôme Lambert

Réunion du 16 janvier 2008 à 21h30
Statut de la société coopérative européenne — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJérôme Lambert :

Après les discussions sur la future organisation des institutions européennes qui ont animé notre Assemblée ces deux derniers jours, nous voici ce soir réunis pour examiner un projet de loi comportant la transposition de deux directives européennes traitant de sujets différents.

Alors que nous sommes actuellement amenés à discuter de sujets institutionnels portant sur l'avenir de l'Europe, la présente discussion nous rappelle que l'Europe existe aussi dans notre quotidien et que cet aspect des choses est pour le moins aussi important que le reste. Il permet en effet à nos concitoyens de vivre la réalité des politiques européennes à travers lesquelles ils perçoivent l'Europe, en positif ou en négatif.

Aussi devons-nous apporter une grande attention aux procédures de ratification qui nous sont soumises : ce sont les dispositions que nous transposons, comme ce soir, qui seront en fait jugées par nos concitoyens. Les aspects institutionnels intéressent certes passionnément quelques cercles initiés, mais n'ont qu'un lointain rapport avec la réalité quotidienne vécue par les citoyens européens.

Dans le même ordre d'idée, sans doute devrons-nous aussi, à l'avenir, porter une attention toute particulière au respect de la subsidiarité, c'est-à-dire veiller à ce que les propositions européennes soient effectivement plus pertinentes qu'un ensemble de dispositions nationales portant sur le sujet abordé. Si tel n'était le cas, il conviendrait alors d'exiger que les dispositions nationales, mieux adaptées, soient préférées à des réglementations européennes. Et nous devrions alors exiger l'application du principe de subsidiarité.

S'agissant de cette loi de transposition, il apparaît que la pertinence du niveau européen s'impose de par l'objet même des directives qui concernent des sujets à proprement parler transnationaux pour lesquels l'application de dispositions européennes apportent une meilleure lisibilité et une meilleure protection des citoyens que celle de vingt-sept législations nationales différentes.

Ce soir, il s'agit donc de transposer en droit positif, applicable dans notre droit français, deux directives différentes. La première porte sur la société coopérative européenne et la seconde sur la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur.

Sur la société coopérative européenne, il s'agit de la transposition d'une directive datant du 22 juillet 2003, qui aurait dû être transposée avant le 18 août 2006. Ce cas n'est malheureusement pas unique, et la France, à la veille de présider pour six mois le Conseil européen, doit avoir le souci de procéder à l'examen des transpositions de directives dans les délais impartis, afin de participer pleinement aux évolutions européennes sans décalage dans le temps. Du fait de ces retards, nos débats sont décalés par rapport au reste de l'Europe, et l'application des mesures visées, qui sont, il faut en convenir, souvent positives pour nos concitoyens, se trouve différée. D'une certaine façon, il en est ainsi des dispositions que nous examinons ce soir.

Au niveau de l'Union européenne, on compte plusieurs centaines de milliers d'entreprises coopératives, dont 21 000 pour notre seul pays, regroupant des millions de salariés, dont 700 000 en France. Au-delà du rappel de ces chiffres, nous devons aussi mesurer l'impact économique et social de l'action des coopératives qui va dans un sens positif indéniable. Aussi, au regard des enjeux, la création d'une nouvelle forme de société coopérative au plan européen est incontestablement un progrès, et le texte que nous examinons détermine certaines des modalités nécessaires à son fonctionnement et à son aboutissement.

Comme souvent sur le plan européen, ce texte est l'aboutissement de compromis entre différentes situations et différents droits nationaux à propos de l'implication des salariés dans le fonctionnement de leur entreprise, en l'occurrence des coopératives de droit européen. Cette directive est articulée autour de deux principes : éviter que la forme européenne d'entreprise coopérative ne soit privilégiée dans le but d'échapper à des règles nationales trop contraignantes, et ne pas imposer aux États des règles non compatibles avec leur système de relations du travail. Ce même souci avait déjà prévalu lors de l'examen de l'implication des travailleurs dans la société à statut européen, dont nous avons déjà transposé les dispositions dans notre droit national il y a plus de dix ans. Il s'agit ici d'adopter des dispositions permettant d'impliquer les salariés dans le comité de la société coopérative européenne sur le mode de ce qui avait été adopté pour le comité d'entreprise européen, transposé en novembre 1996.

Ces textes sont des compromis, ce qui peut expliquer leur relative complexité. Leur mise en oeuvre, à l'instar de ce qui se passe pour les comités d'entreprises européennes, fait souvent l'objet de difficultés, soulignées par la Confédération européenne des syndicats, telles que le peu de réunions des Comités en dehors des réunions à proprement parler statutaires, le manque de ressources endémique, le droit à la formation des salariés souvent bafoué, et le manque chronique d'information préalable pour les délégués salariés.

Ces difficultés sont connues et devraient faire l'objet d'une procédure de consultations des partenaires sociaux européens pour opérer la révision de la directive sur les comités d'entreprises européennes, et ce malgré l'opposition de l'UNICE, organisme représentatif du patronat européen, présidé par Ernest-Antoine Seillière.

Le texte que nous examinons ce soir, en cela qu'il reprend les dispositions relatives aux comités d'entreprises européennes dont j'ai rappelé les limites, entend préserver une sorte de statu quo en matière de représentation des travailleurs et de dialogue social, à la satisfaction première des organisations patronales, et dans l'attente pour les organisations salariales de meilleures dispositions, ardemment espérées.

Je rappelle que ces dispositions reposent sur trois piliers, avec les difficultés de mise en oeuvre pratique que je viens d'évoquer. Premier pilier, l'information des salariés par l'organe de direction de la société coopérative européenne des questions qui concerne la société elle-même, ses filiales éventuelles et tout établissement. Cette information devant se faire à un moment, d'une façon, et avec un contenu qui permettent effectivement aux représentants des salariés d'évaluer l'incidence des informations afin de préparer, le cas échéant, des consultations avec l'organe compétent de la société. Deuxième pilier, la consultation des salariés permettra à ceux-ci d'exprimer un avis, qui « pourra » être pris en considération – notez le « pourra », plutôt qu'un « devra » ! Le troisième pilier est la participation des salariés à la désignation de certains membres des organes de surveillance ou d'administration des sociétés coopératives européennes, selon des modalités propres à chaque État.

Ce texte de transposition en droit français s'adresse donc aux sociétés coopératives européennes ayant leur siège social ou des filiales en France. Aux termes du projet de transposition qui nous est soumis, les modalités d'information, de consultation et de participation des salariés, prévues, je viens de l'indiquer, par la directive, seront définies par accord entre les dirigeants et les représentants des salariés. En fait, par rapport au droit français qui prévoit des procédures précises en matière de négociations collectives, il faut y voir une sorte de compromis a minima, cher à un certain patronat et à notre gouvernement : les négociateurs qui auront toute latitude pour fixer les règles au cas par cas, lesquelles pourront sensiblement différer d'une entreprise à l'autre. Pour constituer cet accord d'entreprise, les dispositions prévoient qu'il doit être institué un groupe spécial de négociation, avec la mention très floue « dès que possible », porte ouverte à bien des abus. Différentes modalités relatives à l'assistance d'experts auprès du groupe spécial de négociation sont également assez contestables : on note du reste un repli par rapport au droit positif actuel en matière d'information des salariés. Toutefois ces dispositions s'appliqueraient en totalité lors de la création de nouvelles structures, car dans le cas d'une coopérative existante, simplement transformée en société coopérative européenne, l'accord conclu ne peut prévoir un niveau d'information, de consultation et de participation inférieur à l'existant. À défaut d'accord, un comité de la société coopérative européenne, calqué sur le comité d'entreprise européenne, pourra être créé, mais en cas d'échec répété des négociations, le texte prévoit qu'on demeure sous la réglementation en vigueur dans les différents États membres. Tout ceci, on le voit, est assez complexe et la directive aurait dû donner lieu à de meilleures avancées du droit social européen, éternel parent pauvre de la construction européenne – les difficultés de présentation de cette directive en attestent.

La seconde directive dont nous examinons ce soir la transposition est relative à la protection des salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur. C'est également avec beaucoup de retard sur le calendrier européen que nous examinons cette transposition d'une directive de 2002, qui aurait dû être transposée depuis octobre 2005 dans notre droit positif.

Cette directive complète des dispositions adoptées dès 1980, sous inspiration du dispositif français, à une époque où l'influence de la France semblait plus grande qu'elle ne l'est malheureusement devenue ces dernières années.

En 2002, cette directive a été complétée, principalement en vue de traiter des situations transnationales qui n'avaient pas été réglées en 1980, s'agissant notamment des salariés travaillant dans un pays de l'Union, mais dont l'employeur a son siège dans un autre.

La directive de 2002 précise que c'est le lieu d'exercice de l'activité de chaque salarié, et non la localisation du siège social de l'entreprise, qui détermine l'institution de garantie des salaires compétente. Elle fait suite à une jurisprudence de la Cour de Justice des communautés européennes et à une jurisprudence de la Cour de Cassation. Bien que la transposition dans notre pays de cette directive ne fasse que conforter la jurisprudence existante, elle présente toutefois un intérêt en ce qu'elle précise ou renforce les droits des travailleurs ainsi que les obligations incombant à l'organisme de garantie des créances des salaires – l'AGS. Ainsi le projet de loi de transposition prévoit explicitement que cette garantie s'applique de plein droit aux travailleurs transfrontaliers et qu'elle aura sensiblement le même champ de garantie accordé aux salariés des entreprises dont le siège se trouve en France. La question importante du délai de versement des indemnités de licenciement ainsi que celle des modalités simplifiées de son versement sont également couvertes par le projet de loi de transposition. Ces dispositions, qui sont de nature à rendre plus rapide l'indemnisation des salariés, ne sont que l'application de décisions jurisprudentielles. L'apport de cette directive restera donc des plus limités, sans toutefois pouvoir être qualifié de négatif.

Pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche, il n'y a rien de vraiment négatif dans ce qui nous est proposé, mais rien non plus de fantastique permettant d'assurer une meilleure protection des travailleurs. C'est souvent cela l'Europe : des petits, tout petits pas ! Alors ce sera un petit oui…

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