Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le présent projet de loi, adopté par le Sénat en première lecture et soumis aujourd'hui à l'Assemblée nationale, tend à transposer en droit français les dispositions de deux directives communautaires relatives respectivement à l'implication des travailleurs dans la société coopérative européenne et à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur. Ce texte a été complété au Sénat par un article additionnel destiné à tirer les conséquences, dans notre droit national, d'un arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes.
Je ferai trois remarques liminaires.
Tout d'abord, il faut se réjouir que ces deux directives soient enfin introduites dans le droit positif et souhaiter qu'à l'avenir, la France soit plus vigilante en ce qui concerne le respect des délais de transposition. Ensuite, on peut regretter la trop grande complexité des textes qui nous sont soumis, mais elle est due à la fois à la nature du travail d'élaboration de la norme communautaire et à la difficulté de rapprocher les points de vue en matière sociale en Europe. Enfin, la transposition de ces deux directives dans un même projet de loi nuit à la clarté de la discussion. Ce n'est pas ainsi que l'on suscitera l'intérêt pour le droit communautaire, y compris dans cette enceinte.
Ce texte n'en présente pas moins une certaine cohérence dans la mesure où il aborde tout à la fois la création, la vie et la disparition des sociétés. À cet égard, on peut se réjouir de voir apparaître une nouvelle forme sociale de droit communautaire. Par contre, si ce projet de loi traite d'un aspect important de la faillite des entreprises, il serait souhaitable que le droit européen s'intéresse davantage, à l'avenir, aux difficultés des sociétés et à leurs conséquences.
J'en viens aux trois volets du projet de loi.
La directive du 22 juillet 2003 complétant le statut de la société coopérative européenne pour ce qui concerne l'implication des travailleurs vise à établir le cadre juridique pour l'information, la consultation et la participation des salariés dans la société coopérative européenne, dont le statut a été établi par un règlement en date du même jour.
Cette transposition intervient, certes, avec retard, puisque l'échéance était fixée par la directive au 18 août 2006, il y a plus d'un an. Mais, au regard des attentes du monde coopératif et des avancées en termes d'harmonisations statutaires que cette transposition permet, il faut se féliciter que ce projet de loi vienne enfin en discussion dans notre hémicycle.
À la veille de la présidence française, il convient de rappeler que la France a joué un rôle important dans l'adoption de cette législation.
Compte tenu du poids des coopératives françaises en Europe, la transposition de cette directive revêt une importance particulière pour notre pays. Symboliquement, elle arrive au moment où nous célébrons le soixantième anniversaire de la loi du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération.
En France, le monde coopératif est composé de 21 000 entreprises qui emploient 700 000 salariés. Dans l'Union européenne à quinze, on comptabilise quelque 300 000 coopératives – sur un total de plus de 20 millions d'entreprises – représentant 2,3 millions de salariés. Ces quelques chiffres, qui montrent l'importance de cette forme sociale, doivent être accompagnés d'une appréciation plus qualitative sur l'impact économique et social de l'action des coopératives.
La loi du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération qui régit encore aujourd'hui le statut des coopératives en France, assigne ainsi aux coopératives trois objectifs principaux : la réduction du prix de revient et du prix de vente de certains produits ou de certains services ; l'amélioration de la qualité marchande des produits fournis à leurs membres ou de ceux produits par ces derniers et livrés aux consommateurs ; la satisfaction des besoins et la promotion des activités économiques et sociales de leurs membres ainsi que leur formation.
Au regard de ces enjeux, le statut hétéroclite des coopératives en Europe et parfois même au sein d'un seul État constitue sans aucun doute un obstacle à leur développement dans le marché intérieur. D'où l'intérêt de la création de cette nouvelle forme de société au plan européen.
Sur le plan juridique, le statut de la société coopérative qui nous est soumis s'inspire très fortement de celui de la société européenne, créée par un règlement du 8 octobre 2001, assorti d'une directive du même jour qui traite de l'implication des travailleurs. La coexistence de deux instruments juridiques, s'agissant de la société européenne comme de la société coopérative européenne, est liée au fait que la question de la représentation des travailleurs a longtemps constitué un point de blocage dans l'élaboration du statut de ces deux sociétés, en raison de la diversité des modèles de représentation des différents États.
La directive du 22 juillet 2003 sur la coopérative européenne vise donc à assurer la protection des travailleurs en favorisant leur implication dans une société dont les mécanismes de fonctionnement sont précisés dans le règlement du même jour.
Si l'objectif d'implication des salariés n'est pas nouveau au plan communautaire, ce dont témoigne par exemple la directive du 22 septembre 1994 concernant l'institution d'un comité d'entreprise européen, le modèle d'implication des travailleurs qui prévaut dans le cadre de la SCE est assez novateur, puisqu'il a été utilisé pour la première fois lors de la création de la société européenne en 2001. Dans ce cadre, on entend par « implication » le fait qu'il y ait à la fois information, consultation et participation des salariés.
La détermination des modalités de l'implication est fondée, dans la directive, sur la négociation et le dialogue social : un groupe spécial de négociation représentant les salariés doit être obligatoirement créé lors de la constitution d'une SCE. Il a vocation à engager une négociation avec les dirigeants de la société afin d'établir des règles d'implication des travailleurs. Au terme d'une procédure d'une complexité qu'il est difficile de passer sous silence, mais qui se justifie par la nécessité de trouver des compromis eu égard à la diversité des situations nationales en la matière, trois situations peuvent se présenter : ou bien le groupe spécial de négociation fixe avec les organes de direction ou d'administration compétents, par un accord écrit, les modalités d'implication des travailleurs dans la SCE et celle-ci est alors immatriculée ; ou bien les négociations ne conduisent pas à un accord et le groupe spécial de négociation décide d'appliquer la législation nationale existante, faute de quoi ce sont des dispositions « de référence » qui le sont à titre supplétif ; ou bien enfin le groupe spécial de négociation peut décider de ne pas engager de négociations et d'appliquer la réglementation en vigueur dans l'État où la société coopérative européenne emploie des salariés.
La directive transposée par le présent projet de loi reprend, de façon très proche, les termes de celle du 8 octobre 2001 sur l'implication des travailleurs dans la société européenne. Aussi les dispositions qui nous sont soumises aujourd'hui reprennent-elles souvent celles qui figurent dans le code du travail au sujet de la société européenne.
Il convient de noter que le volet juridique relatif aux règles de droit commercial applicables à la SCE est l'objet d'un second projet de loi, visant à adapter le droit français en vue d'une application effective du règlement du 22 juillet 2003 relatif au statut de la société coopérative européenne. Ce projet a été déposé sur le bureau de notre assemblée début novembre 2007.
Lors de la première lecture au Sénat, un certain nombre de modifications rédactionnelles ont été apportées au projet, afin d'en améliorer la cohérence globale. Le texte soumis à l'Assemblée nationale est aujourd'hui convaincant tel qu'il est. Tout au plus peut-on s'interroger sur la mise en oeuvre pratique de ces nouvelles dispositions, dont il faut, une fois encore, reconnaître la complexité. Quelle application effective en sera-t-il fait dans le cas français ? C'est là une question à laquelle il est difficile de répondre aujourd'hui.
Le deuxième volet du projet de loi est relatif à une directive du 23 septembre 2002 modifiant la directive du 20 octobre 1980 relative à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur. Là aussi, nous avons quelque retard, puisque le délai laissé aux États membres expirait au 8 octobre 2005.
Quel est l'enjeu ? Vous savez qu'il existe depuis 1974 dans notre pays un dispositif dit de garantie des salaires, géré par l'AGS, qui garantit les salaires et les indemnités de licenciement des salariés en cas de procédure de redressement ou de liquidation de leur entreprise. En 1980, une directive, inspirée notamment du modèle français, a fixé un certain nombre de normes minimales applicables aux institutions de même nature dans les différents États membres. En 2002, cette directive a été complétée, principalement pour traiter des situations transnationales – bizarrement oubliées dans le texte de 1980 –, c'est-à-dire des salariés travaillant dans un pays de l'Union et dont l'employeur a son siège dans un autre. La règle posée est que, dans le cas d'une entreprise communautaire défaillante, c'est le lieu d'exercice du travail de chaque salarié qui détermine exclusivement l'institution de garantie compétente et non la localisation de l'entreprise – laquelle détermine pourtant, selon le règlement du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité, le lieu où la procédure de faillite doit être conduite. Ainsi, par exemple, le salarié en France d'une entreprise britannique aura droit à la garantie de l'AGS française et non à celle de son équivalent britannique. Cette option ne fait d'ailleurs que confirmer la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes.
Étant donné que le droit français est déjà l'un des plus protecteurs des salariés en Europe, la transposition de la directive n'a pas, dans notre pays, les mêmes conséquences que dans d'autres États membres. Il en va ainsi, notamment, pour ce qui est des travailleurs concernés et pour le montant de la créance salariale pris en compte. Il n'en reste pas moins que la transposition présente un intérêt en ce qu'elle précise ou renforce les droits des travailleurs salariés ainsi que les obligations incombant à l'AGS. Le projet de loi prévoit ainsi que la garantie de l'AGS est étendue aux salariés transfrontaliers et qu'elle aura sensiblement le même champ que la garantie de droit commun accordée aux salariés des entreprises dont le siège se trouve en France.
Par ailleurs, afin de prendre en compte les délais éventuellement plus longs dans des procédures étrangères, il est également prévu de couvrir les indemnités de licenciement dès lors que celui-ci a lieu dans les trois mois suivant le jugement arrêtant le plan de redressement ou de cession ou ordonnant la liquidation. Il faut en effet rappeler que le droit commun a retenu des délais plus brefs – un mois ou quinze jours. C'est donc, là aussi, une évolution favorable aux salariés.
Par ailleurs, suite à un amendement du Sénat, il est prévu que l'AGS versera directement les avances aux salariés, sans transiter par le syndic de l'employeur défaillant, alors que le droit commun prévoit l'avance de ces sommes au mandataire judiciaire, qui les reverse ensuite aux salariés. C'est là aussi, un progrès proposé par le Sénat, que la commission a souhaité conserver.
Enfin, certaines obligations nouvelles sont instituées en matière d'échange d'informations : l'AGS devra répondre aux demandes d'informations en provenance des institutions comparables des autres États membres ; les mandataires ou liquidateurs français devront transmettre aux institutions de garantie des autres États membres les relevés de créances impayées leur permettant de rembourser les salariés. Il s'agit de l'hypothèse de procédures collectives contre des entreprises françaises ayant des salariés dans d'autres États membres.