Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, face au mouvement de complexification du droit, l'adage selon lequel « nul n'est censé ignorer la loi » n'est plus aujourd'hui qu'une déclaration de principe, une pure fiction. L'inflation législative, qui va de pair avec l'insécurité juridique et la dégradation de la qualité de la réglementation, menace l'État de droit.
La complexité croissante de notre système juridique constitue à juste titre une réelle inquiétude pour l'ensemble de notre société, des citoyens aux élus locaux en passant par les entreprises. Il revient au législateur de répondre à ce fléau en y apportant des remèdes probants. La représentation nationale doit se saisir de ce problème, même si le Gouvernement en est le premier responsable. Cette dérive est largement dénoncée.
Une étude approfondie de ce phénomène quantitatif a été présentée par le Conseil d'État dans son rapport public de 2006, le second rapport consacré au problème de la complexité du droit et aux conséquences de l'inflation normative. Il est édifiant : chaque année, entre 2000 et 2005, le nombre des lois a augmenté en moyenne de 70, celui des ordonnances de 50 et celui des décrets de 1 500. Une telle augmentation entraîne une instabilité de la norme puisqu'en moyenne 10 % des articles d'un code sont modifiés chaque année. Cette dérive quantitative prend des proportions inquiétantes. Rappelons, à titre d'exemple, que pas moins de sept lois dites « Sarkozy » sur la sécurité et la justice ont été promulguées sous la précédente législature.
Afin de prévenir de tels excès, l'idée de « simplifier » le droit s'est imposée d'elle-même. L'objectif de simplification se justifie également sur le plan politique. La multiplication des annonces et initiatives de l'Élysée se traduit en effet par une prolifération de textes illisibles et incohérents, qui participe au manque de lisibilité de l'action gouvernementale, au rejet de l'action gouvernementale.
Alors que nous sommes réunis aujourd'hui pour voter une quatrième loi dite « de simplification », nous devons nous interroger sur le point de savoir si ces lois simplifient vraiment notre droit. Hélas ! force est de constater qu'elles compliquent souvent plus qu'elles ne simplifient. Le professeur Bertrand Seiller note, à cet égard, que « la simplification [...] peut être paradoxalement elle-même une source de complexité. [...] La simplification elle-même est source de complexité parce qu'elle génère à son tour de nouvelles institutions et de nouveaux textes. »
Ainsi la simplification a connu une organisation institutionnelle particulièrement perturbée et complexe. Je regrette de ne pouvoir, faute de temps, retracer ici l'évolution institutionnelle de la réforme de l'État en France. La multiplication de structures spécifiques révèle le manque de cohérence de la politique de simplification. On crée des organismes à tout va, que l'on supprime ou fusionne peu de temps après, puis l'on recrée des structures spécifiques, sans que cela ne change rien. Dans ce contexte, la portée de l'article 26 de la proposition de loi, qui vise à réduire le nombre de commissions administratives, s'en trouve limitée.
La simplification apparaît aussi, paradoxalement, comme une source de complexification dans la mesure où elle participe elle-même à l'inflation normative. Les lois de simplification de 2003 et 2004 ont ainsi apporté des modifications aux codes rural et forestier, rendant ce pan du droit encore plus complexe.
En conclusion, hormis la correction des erreurs, les changements sans cesse apportés par les lois de simplification mettent en péril la clarté et l'intelligibilité des codes et contribuent à leur instabilité. La simplification, loin de simplifier, remet alors en cause l'effet de la codification. La forme même des lois de simplification du droit témoigne de l'étendue du problème ; il n'en ressort aucune vue d'ensemble. La proposition de loi dont nous débattons aujourd'hui balaye un ensemble de sujets n'ayant aucun rapport les uns avec les autres, puisqu'elle traite à la fois du droit des collectivités territoriales, du droit pénal, en passant par le droit de la sécurité sociale. Comptant soixante-sept articles, elle s'apparente, comme les précédentes lois de simplification, à un inventaire sans queue ni tête.
Nous regrettons que les réformes entreprises s'attaquent plus aux symptômes du mal qu'à ses causes profondes : la précipitation dans laquelle travaille le législateur, la surcharge de l'ordre du jour. Mieux vaudrait simplifier le travail législatif, moyennant une autre politique législative, plutôt que de rectifier périodiquement le dispositif d'empilement et de stratification des normes. Laissez les parlementaires exercer leurs prérogatives dans la sérénité, afin que les lois soient élaborées dans la plus grande sagesse : elles n'en seront que plus concises, plus claires et, par conséquent, plus compréhensibles pour nos concitoyens ! Aussi, bien qu'il contienne quelques articles intéressants, nous ne pourrons que voter contre ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)