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Intervention de Jean-Michel Clément

Réunion du 14 octobre 2008 à 9h30
Simplification du droit — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Michel Clément :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, cette proposition de loi de simplification et de clarification du droit et d'allègement des procédures est la seconde que nous examinons. A n'en pas douter, la tâche est utile et il nous faut sans cesse remettre l'ouvrage sur le métier. Les professionnels le savent qui ont largement contribué à inspirer le texte qui nous est soumis. Nos concitoyens en revanche s'étonnent de l'imprécision qui caractérise parfois les lois les concernant.

Si le juge est créateur de droit, alléger sa tâche – et j'ai cru comprendre que la déjudiciarisation des rapports sociaux conflictuels était une volonté du Gouvernement – constitue une exigence de qualité pour les textes que nous votons. Elle implique une approche nouvelle du temps utile de leur examen, une procédure législative cohérente après évaluation des textes déjà en vigueur et un ordre du jour fixé en tenant compte des priorités sociales plutôt du seul dogme de la réforme.

Toutefois, il est écrit que chaque année il faudra que nous reprenions nos travaux pour corriger les errements de dispositions qui proviennent, pour la plupart d'entre elles, de textes de nature essentiellement réglementaire. Le pouvoir législatif ayant été mis à mal ces dernières années, la troisième loi de simplification sera très certainement consacrée à des rectifications d'erreurs matérielles et d'approximations. Nos lois sont tuées par « l'excès de texte et le mauvais travail parlementaire qui en découle » comme le disait le président Mazeaud.

Dans cette proposition de loi, pas moins de vingt-neuf codes font l'objet de notre sollicitude, et je ne compte pas les lois spécifiques. Comment ne pas être indignés en examinant ce texte quand nous découvrons, en commission des lois, un nombre d'amendements tel que la proposition de loi initiale risque de s'en trouver dénaturée ? Ainsi, les nombreux articles modifiant les modes de décision et d'intervention des présidents des conseils généraux et régionaux auraient dû faire l'objet d'un texte spécifique, d'autant que la commission des lois vient d'adopter un rapport sur la clarification des compétences des collectivités territoriales – je salue le travail deJean-Jacques Urvoas – et qu'une mission vient d'être confiée à Édouard Balladur sur le sujet.

Les textes visés au chapitre III de la proposition de loi concernent en effet les règles de compétence, d'organisation, de décision et de contrôle des comptes des collectivités territoriales : autant d'éléments sur lesquels il nous faudra revenir si, demain, notre organisation territoriale est modifiée en profondeur.

Au-delà du souci permanent d'améliorer les textes, qui se traduit par des dispositions réellement simplificatrices, telles que l'assouplissement des conditions d'inscription sur les listes électorales – article 1er –, la réforme des procédures de recouvrement destinée à autoriser une compensation entre dettes et créances sur le Trésor – article 10 – ou la simplification des déclarations déposées par les travailleurs indépendants – article 13 –, certaines dispositions ne correspondent pas à l'objectif énoncé et mériteraient de faire l'objet d'une réflexion de fond. Il en va ainsi des règles relatives à l'indivision, notamment à l'aliénation des biens indivis – article 3 –, que ni la loi de 1976 ni celle de 2006 n'avaient remises en question. En modifiant ces règles dans une proposition de loi de simplification du droit – et Alain Vidalies nous dira pourquoi ce dispositif mériterait une autre approche –, on fait bien peu de cas des débats parlementaires.

Par ailleurs, certaines dispositions, apparemment anodines, peuvent être préoccupantes pour les libertés publiques. Ainsi l'article 35 permet la création de bases de données géographiques de référence par l'État et ses établissements publics à partir de données adossées au cadastre. Or une telle disposition peut faire l'objet d'interprétations divergentes si sa finalité n'est pas clairement précisée. Nous attendons donc des éclaircissements sur ce point.

La mise en place de bulletins de paiedématérialisés, évoquée par mon collègue Dominique Raimbourg, peut également s'avérer dangereuse à terme, même si cette dématérialisation se fait avec l'accord du salarié. En effet, quelle sera la marge de discussion de ce dernier lors de son embauche ? On peut également s'interroger sur la fiabilité du coffre-fort informatique quand on sait que les dispositifs des banques elles-mêmes ne sont pas sécurisés. Les systèmes informatiques sont en effet en constante évolution et ne sont pas forcément compatibles. Je crois d'ailleurs savoir que même Bercy connaît des problèmes de cette nature. Enfin, si, demain, un bulletin sur support papier est exigé du salarié, celui-ci devra-t-il en assumer la charge ? On voit bien d'où provient la demande de simplification en la matière, mais je doute que cette mesure corresponde aux objectifs que nous nous sommes assignés.

J'en viens maintenant à l'innovation que représentent, dans le cadre de nos travaux de clarification et de simplification, les amendements de la commission des lois qui trouvent leur origine dans le rapport Guinchard, lequel a été remis à Mme la garde des sceaux le 30 juin dernier.

La mission confiée à M. Guinchard était lourde, puisqu'elle faisait suite à la réforme de la carte judiciaire, décidée dans les conditions que l'on sait. Réfléchir à une nouvelle répartition du contentieux en tenant compte de l'articulation de la justice de première instance, d'éventuels regroupements de contentieux et d'hypothèses de déjudiciarisation, tant dans le champ civil que pénal ; telle était la feuille de route de cette commission, dont le rapport porte un titre évocateur : L'ambition raisonnée d'une justice apaisée. De l'aveu même de son président, ce rapport se veut global, « en ce qu'il envisage la répartition des contentieux dans une cohérence totale avec la refonte de la carte judiciaire, sans remettre en cause les mesures qui résultent du décret du 15 février 2008. »

Dès lors, c'est bien d'une double réforme qu'il est question : celle de l'organisation judiciaire et celle de la carte judiciaire. Or on nous propose de légiférer dans ce domaine par voie d'amendements à une proposition de loi de simplification du droit ! Après la refonte de la carte judiciaire sans concertation, voilà la réforme de l'organisation judiciaire par la voie simplificatrice, comme si la complexité était la source de ses maux ! Vous l'aurez compris, monsieur le secrétaire d'État, cette méthode n'est acceptable ni sur la forme ni sur le fond.

Mme la garde des sceaux n'avait-elle pas déclaré que la Chancellerie allait travailler durant l'été à l'élaboration d'un grand projet de loi qui s'inspirerait du rapport Guinchard ? Où en est ce texte ? Nous aurions aimé discuter de ces points lors de son examen. La réforme se résumera-t-elle à cette simplification ? Faudra-t-il attendre un prochain projet de loi pour que nos concitoyens accèdent à la justice, laquelle aura alors déserté les territoires ? Alléger les procédures ne doit pas conduire à éloigner les justiciables de l'accès au droit.

D'une loi de simplification bienvenue, nous sommes passés à un texte modifiant l'organisation judiciaire, ainsi que vingt-neuf codes. Pour cette raison majeure, le groupe socialiste, qui salue le travail de simplification de la commission, ne pourra s'associer à l'adoption de ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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