Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, face au réchauffement planétaire et à ses conséquences dramatiques, le genre humain serait en train de vivre un moment crucial de son existence. Au-delà des controverses, l'objectif immédiat commande de changer de base au plus vite, afin d'éviter une accumulation de désastres. Le problème étant global, la mobilisation doit l'être tout autant.
Dans cette perspective, les petits pays de la Caraïbe, parmi les plus exposés, les plus vulnérables, ont tenu un colloque en Martinique, les 11, 12 et 13 décembre 2006, sur le thème « Changement climatique, la Caraïbe en danger ». Ils ont rappelé que l'élévation du niveau des mers et des océans, la fréquence et l'intensité accrues des cyclones tropicaux, et la destruction des zones côtières auraient pour eux des conséquences inouïes. Ils ont constaté que le globe était devenu un vaste dépotoir où déchets solides, liquides et gazeux étaient déversés continûment et impunément.
La Martinique, condensé de tous ces phénomènes, a été frappée de plein fouet par l'ouragan Dean le 17 août dernier. Un mois plus tard, elle était montrée du doigt à cause des polypollutions engendrées par l'usage de pesticides dangereux, situation critique que l'on fait semblant de découvrir aujourd'hui. C'est vous dire que, pour les Martiniquais, la protection de l'environnement, la sauvegarde de la biodiversité, la réduction des émissions de gaz à effet de serre, le traitement des déchets, la dépollution de nos sols et de nos eaux, le développement des énergies renouvelables, ou encore l'amélioration du bâti sont des chantiers qui s'imposent avec la même acuité, la même urgence qu'ailleurs.
À propos de développement durable harmonieux et solidaire, voici un exemple aberrant : pour répondre à nos besoins croissants en énergie électrique, il est prévu d'utiliser comme combustible en Martinique 95 % de charbon et 5 % de bagasse. Est-ce cela le développement durable ? C'est pourquoi nous voulons un réel pouvoir de décision, pour appliquer les solutions les meilleures et les plus adaptées à notre situation, et pas seulement un statut écologique dérogatoire.
Malgré les difficultés à surmonter, le conseil régional de Martinique a lancé avec d'autres partenaires un programme de maîtrise de l'énergie, un programme de maîtrise des déchets et de l'environnement, ainsi que des actions visant à la préservation et à la valorisation du patrimoine naturel. Pour la seule année 2006, le montant des autorisations de programme s'élève pratiquement à 13 millions d'euros. Ces opérations sont intégrées dans le Schéma martiniquais de développement économique.
Concernant notre biodiversité, c'est dans cette enceinte que, le 28 février 2006, j'avais préconisé la création d'un pôle de compétitivité endogène couvrant l'ensemble Guadeloupe-Guyane-Martinique, pour corréler recherche et développement eu égard notamment à l'importance de l'enjeu. Monsieur le ministre d'État, c'était donc déjà une de mes propositions.
Quoique encore riche, notre biodiversité est fortement menacée : certaines espèces ont disparu, d'autres sont en voie d'extinction rapide.
Concernant la sécurité alimentaire et le problème des pesticides, tant décriés ces derniers temps, il faut déplorer le manque d'écoute du Gouvernement lorsque l'élu, quelle que soit sa sensibilité politique, l'interpelle sur des sujets épineux et dérangeants. Il y a toujours un retard à l'allumage !
C'est dans cet hémicycle que, le 10 mai 2000, je disais au ministre de l'agriculture de l'époque : « Il est souhaitable d'optimiser la vérification au titre du respect de la réglementation, d'approfondir substantiellement la législation sur la sécurité alimentaire, et d'instaurer un laboratoire d'analyse médical techniquement performant, afin de réaliser le maximum de contrôles sur place et de remédier à la faiblesse des données épidémiologiques. » Monsieur le ministre, c'était là une de mes propositions ; depuis lors, sept ans se sont écoulés.
En 2003, j'attirais à nouveau l'attention du ministre sur « les taux de pesticides présents dans les eaux et sols de la Martinique et de la Guadeloupe ». Je lui demandais, en outre, de déterminer les responsabilités liées à une défaillance des contrôles. Dans ce cas précis, le principe de précaution n'a même pas été respecté. Devant la gravité de la situation, on aurait dû prendre des mesures pour restreindre l'usage de produits dont la nocivité était avérée depuis longtemps. C'était là une de mes propositions ; depuis lors, quatre ans se sont écoulés.
C'est dans cet hémicycle que, le 11 mai 2006, lors de l'examen du projet de loi sur l'eau et les milieux aquatiques, j'interpellais le ministre de l'environnement de l'époque sur « une véritable politique de dépollution, sur l'institution d'un fonds dédié à cela, et sur l'indemnisation du préjudice causé ». Monsieur le ministre, c'était là encore une de mes propositions. Faudra-t-il attendre que la situation soit gangrenée pour qu'on en tienne compte ?
Concernant le problème de l'énergie, la Martinique dépend aujourd'hui encore à 97 % de l'extérieur pour son approvisionnement en énergie fossile. Il est donc urgent et indispensable de recourir à une exploitation plurale des sources d'énergie naturelles de substitution ; c'était là encore une de mes propositions. Et le conseil régional a participé à la création de la première ferme éolienne, dont la production – certes encore modeste eu égard aux besoins – s'élève à 1,1 MW.
Plutôt que de faire de longs discours, il est parfois préférable de rappeler des propos parlants et toujours d'actualité – comme celui-ci : « Nous nous sommes enrichis de l'utilisation prodigue de nos ressources naturelles et nous avons de justes raisons d'être fiers de notre progrès. Mais le temps est venu d'envisager sérieusement ce qui arrivera quand nos forêts ne seront plus, quand le charbon, le fer et le pétrole seront épuisés, quand le sol aura encore été appauvri et lessivé vers les fleuves, polluant leurs eaux et dénudant les champs. » Cette déclaration surprenante est de Théodore Roosevelt, ancien président des États-Unis d'Amérique ; elle date de 1909. Cent ans ont passé.
J'ai l'impression que l'actuel président américain ne donne pas le meilleur exemple en la matière : au nom de la croissance américaine, il préfère opposer le veto américain à toute proposition de changement réel. À cette allure, on risque d'attendre encore quelque temps – celui de maîtriser toutes les technologies du futur pour tenter de rester toujours maître de la situation.
Afin de se dérober, voire de se disculper, certains font pression sur les pays émergents au prétexte que leur développement thermo-industriel ajouterait aux difficultés de la planète. C'est vrai ; mais on oublie que l'effort doit venir de tous et en premier lieu des pays développés.
Le dérèglement prévu est tel qu'il est permis de se demander combien de temps on va encore rester dans le palliatif. Je laisse Michel Serres répondre à ma place : « Certes, nous pouvons ralentir les processus déjà lancés, légiférer pour consommer moins de combustibles fossiles, replanter en masse les forêts dévastées […] : toutes excellentes initiatives, mais qui se ramènent, au total, à la figure du vaisseau courant à vingt-cinq noeuds vers une barre rocheuse où, immanquablement, il se fracassera, et sur la passerelle duquel l'officier de quart commande à la machine de réduire la vitesse d'un dixième sans changer la direction. »
Concluons. Une ère semble s'achever : c'est le constat. Que faut-il faire pour changer de cap ? : c'est l'interrogation lancinante. Quels moyens mettre en oeuvre pour y parvenir ? : c'est la question posée aux climatologues, océanographes, économistes et autres experts, pour qu'ils indiquent au politique les choix les plus judicieux.
Les objectifs demeurant avant tout la réduction du déséquilibre social et écologique, la question du développement durable est l'affaire de tous. Les réponses doivent être plurielles et adaptées à chaque pays.