Monsieur le président, monsieur le ministre, permettez-moi de vous donner lecture de ce qui suit : « L'immigration familiale s'impose tout à la fois pour des raisons humanitaires et par souci d'intégration. […] Car comment réussir l'intégration paisible d'un homme vivant à des milliers de kilomètres de sa femme et de ses enfants ? Les étrangers, voulus et acceptés, devront l'être avec leur famille, au moins au sens de l'épouse et des enfants, car on ne peut vouloir une intégration réussie et penser qu'elle le sera pour un homme privé de sa femme et de ses enfants. Le regroupement familial est l'un des droits de l'homme sur lequel on ne peut transiger, sauf à se renier ! » Qui a écrit ces lignes ? Nicolas Sarkozy, en 2001, dans Libre !
Cet article 1er semble pourtant aller à l'encontre de tous ces principes édictés sur le regroupement familial. Il est symptomatique de l'approche biaisée de ce gouvernement sur les questions d'immigration.
Votre projet de loi n'a d'autre but que de restreindre l'immigration légale de famille par tous les moyens, y compris les plus contestables. Cette mesure sur l'évaluation de la connaissance de la langue française attente directement au droit de vivre en famille, alors même que le nombre de personnes concernées est en baisse. Cette nouvelle condition porte un coup gratuit au droit de mener une vie familiale normale, sans aucune raison rationnelle.
Vous développez votre argumentation à partir d'un semblant de constat : l'immigration économique serait trop faible par rapport à l'immigration pour motif familial. À l'appui de cette assertion, vous prenez les chiffres bruts de 6,6 % de titres de séjour accordés sur la base d'un contrat de travail. Mais l'honnêteté intellectuelle commande que vous précisiez également que 70 % des personnes qui entrent en France au titre de l'immigration familiale travaillent. Il ne s'agit pas comme vous le dites d'immigration « subie ».
Le respect de la vie familiale est un droit que la France a inscrit dans ses principes fondamentaux, afin que nul ne puisse, au gré de la conjoncture, de ses calculs politiques ou de ses intérêts électoraux, y porter atteinte. Mais ce n'est pas seulement un droit, c'est également un gage essentiel d'intégration, pour tous ceux qui aspirent à s'insérer dans la société d'accueil au-delà du cadre de leur travail. Ici encore, ce texte va l'encontre des objectifs qu'il est censé poursuivre.
Par ailleurs, en durcissant les conditions du regroupement familial par un empilement de tracasseries administratives sans fondement, il y a un risque réel de favoriser l'immigration clandestine, car on ne peut pas durablement empêcher des familles de vivre ensemble. En matière de politique d'immigration, il faut que les contrôles et les restrictions soient justes ; sinon, ils font exploser l'inégalité.
J'ajouterai que le risque d'arbitraire et de sélection économique va toucher plus durement encore les femmes, et ce d'autant plus grand que la nature, le contenu comme les effets du dispositif sur l'évaluation de la langue française sont extrêmement vagues. Le flou est en effet entretenu concernant le niveau de connaissances exigible, les conditions de formation et le réseau utilisé pour dispenser celle-ci.
Ce texte peu réaliste dans les faits n'a en vérité pour seul objectif que d'exclure un maximum de personne de l'accès à ce droit au regroupement familial, pourtant élevé en principe général du droit par le Conseil d'État.
Vous avez d'ailleurs conscience de la complexité et de l'absurdité de cet article 1er, discriminatoire pour les Français eux-mêmes.