Dans ses articles 2 et 3, la Convention européenne des droits de l'homme fait obligation aux États parties d'octroyer un recours effectif, c'est-à-dire nécessairement suspensif, à tous les étrangers demandeurs d'asile, y compris à ceux dont l'état de santé nécessite des soins dont le défaut aurait des conséquences d'une exceptionnelle gravité et dont ils ne pourraient pas effectivement bénéficier dans le pays où ils sont refoulés. Par ailleurs, le refoulement ne peut porter une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée et familiale, garanti par l'article 8 de la même Convention.
Il faut ajouter que, à l'heure actuelle, de très nombreuses procédures de référé-liberté déposées par des demandeurs d'asile ou des migrants sont rejetées par simple ordonnance, sans avoir fait l'objet d'une audience. Or cette disposition est incompatible avec les exigences de la CEDH. L'effectivité du recours devrait en effet prévaloir pendant toute la durée de la procédure, et non pas seulement en première instance. Mais ce n'est pas la seule disposition qui pose problème.
Pour saisir l'OFPRA, le demandeur d'asile doit remplir un formulaire spécifique dans un délai précis. Les dispositions réglementaires prévoient que la demande doit être rédigée en français dans un délai de vingt et un jours dans le cadre de la procédure normale, de quinze jours en cas de procédure prioritaire et de cinq jours si l'étranger est placé en rétention. Compte tenu de cette double exigence, le demandeur non francophone rencontre de grandes difficultés pour faire enregistrer sa demande, en particulier lorsqu'elle est faite en rétention où, depuis 2003, elle est strictement encadrée dans un délai de cinq jours. Les dispositions réglementaires limitent en outre la prise en charge des frais d'interprétariat par l'État aux seules procédures d'éloignement. La directive européenne sur les procédures d'asile prévoit pourtant dans son article 10 que les demandeurs d'asile « bénéficient, en tant que de besoin, des services d'un interprète pour présenter leurs arguments aux autorités compétentes ». Le Gouvernement aurait donc été bien inspiré de proposer un article transposant cette disposition européenne afin que l'État prenne en charge les frais d'interprétariat liés à la demande d'asile.
Ce gouvernement semble se jouer des normes européennes et internationales. Pourtant, la France dispose d'un siège de représentant permanent au Conseil de sécurité de l'ONU et notre nouveau Président lui-même a appelé au maintien de la tradition française de soutien aux persécutés du monde entier. Il conviendrait donc que notre État mette tout en oeuvre pour respecter ses obligations internationales.
Lors de la discussion sur le projet de loi relatif à l'immigration et à l'intégration, j'avais signalé que la politique dans laquelle s'engageait le Gouvernement était dangereuse. C'est encore plus vrai aujourd'hui. J'avais notamment souligné les manquements au respect de certains droits fondamentaux garantis par la Déclaration universelle des droits de l'homme, la Convention européenne des droits humains et le Pacte relatif aux droits économiques et sociaux et culturels. Il serait préférable que l'on suive les recommandations du Conseil européen de Tampere en faveur de l'élaboration d'une législation commune en matière de droit d'asile et d'immigration, qui définissent une base politique permettant à l'Union européenne d'harmoniser sa législation dans ce domaine. Ces principes sont les suivants : un traitement équitable pour tous les migrants, la mise en place d'une politique d'intégration et de lutte contre la discrimination et l'amélioration de la coopération – dans le cadre d'un codéveloppement élaboré à partir de mesures politiques équitables et durables – avec les pays tiers dont sont issus les migrants, afin de renverser le processus des flux migratoires.
Contrairement à ce que vous prétendez, monsieur le ministre, ce projet n'est pas ambitieux. Qu'on le veuille ou non, l'immigration, légale ou non, est la plupart du temps l'ultime recours d'hommes et de femmes qui paient cher des politiques économiques contraignantes et injustes et l'ouverture de leur pays à un marché mondial qui enrichit les nations riches. C'est pourquoi, au lieu d'être l'épouvantail brandi par des politiciens occidentaux qui manquent de mémoire et de vision, les migrations peuvent et gagneraient à être l'un des lieux privilégiés de l'indispensable renouvellement de la réflexion sur l'état réel du monde, sur les rapports de force qui le sous-tendent, sur les enjeux et les exigences d'une autre manière de vivre tous ensemble.
D'une loi à l'autre, nous sommes loin de ces objectifs. En revanche, nous sommes de plus en plus près de remporter l'Oscar de la violation constante de certaines conventions européennes et internationales. Il serait tout de même préférable que nous soyons remarqués pour avoir été le premier pays de l'Union européenne à signer et ratifier la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leurs familles.
Une fois de plus, ce projet de loi n'est qu'un répertoire de faux-semblants qui n'apporteront certainement pas de réponse à la question de la migration. Ce n'est pas grâce à lui que l'Europe se construira comme un lieu d'apprentissage de la paix et de la solidarité. Vous nous préparez un monde fermé sur lui-même, entouré des murs de l'identité nationale, régi par la maîtrise des flux et la gestion du chiffre. Vous nous enfermez dans une vieille Europe. Les citoyennes et les citoyens de ce pays aspirent à un monde ouvert, d'échanges et de rencontres. Même s'ils sont soucieux des problèmes sociaux actuels, ils n'en sont pas moins des citoyens responsables et solidaires.
Compte tenu de son non-respect des normes européennes, ainsi que du déni de droit et des discriminations qu'il instaure, je demande que ce projet de loi soit renvoyé en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)