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Intervention de Patrick Braouezec

Réunion du 18 septembre 2007 à 21h30
Maîtrise de l'immigration intégration et asile — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Braouezec :

De telles propositions d'amendement rappellent des heures ombres auxquelles je ne pense pas que vous souhaitiez que nous retournions. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Je voudrais m'arrêter quelques minutes sur ces immigrés dont on prétend qu'ils nous envahissent, qu'ils prennent conjoints Français et veulent travailler, s'éduquer, se soigner au détriment des citoyens français. Le dernier rapport de l'INSEE en recense quatre millions et demi. Parmi eux, deux millions ont acquis la nationalité française. Un quart d'entre eux vient d'un pays européen. En 2006, au titre du regroupement familial, 9 000 enfants sont entrés en France. Ces chiffres sont à rapprocher des quelque 1,2 million de français vivant à l'étranger. Sont-ils traités comme nous traitons les migrants ou les demandeurs d'asile ? Non ! Mais si tel était le cas, l'accepterions-nous ?

Concernant le regroupement familial, en moins de quatre ans, cette procédure a été modifiée par deux réformes législatives, deux décrets, trois circulaires et un arrêté. S'ajoutant aux restrictions précédentes, votre projet prévoit un nouveau durcissement du regroupement familial, que vous identifiez à de l'immigration « subie ».

Soyons sérieux : selon le rapport au Parlement établi par le comité interministériel de contrôle de l'immigration, le regroupement familial ne représentait en 2005 qu'un peu plus de 23 000 premiers titres de séjour, alors qu'en 2002 ce chiffre s'élevait à un peu plus de 30 000. Sur près de 200 000 titres de séjour délivrés en 2005, toutes catégories confondues, le regroupement familial ne représente donc que 11 % des titres délivrés !

Par ailleurs, ce même comité précise que le regroupement familial « est appelé à diminuer au cours des prochaines années en raison de l'attrition progressive de ses sources. Les demandeurs de regroupement sont en effet des personnes entrées en France de longue date ».

Que veut-on donc nous faire croire ? Ce qui est sûr, c'est que ces mesures sont régies par une politique d'immigration répressive, dont la logique est incompatible avec les normes internationales concernant l'obligation de respecter les droits humains. Non contents de nous avoir fait voter en juillet dernier le traité multilatéral visant à approfondir la coopération transfrontalière, en vue de lutter contre le terrorisme, la criminalité transfrontalière et la migration illégale, le Gouvernement veut maintenant encore un peu plus criminaliser les migrants et leur famille. L'amalgame dénoncé lors des débats est encore de rigueur : cette loi suit la même logique et s'ancre dans le processus des politiques qui, selon Jérôme Valuy, professeur de sociologique politique à Paris I, constituent « un phénomène d'institutionnalisation de la xénophobie ».

La mesure relative à l'évaluation du degré de connaissance par les ressortissants étrangers de la langue française et des valeurs de la République présentée dans l'article 1er ne présente aucun intérêt au regard de la finalité d'intégration : elle apporte seulement une réponse idéologique à la question de l'immigration présentée comme subie et donc constituant à vos yeux un problème, voire un fléau menaçant l'identité nationale. Le projet prévoit de tester les connaissances relatives à la langue et aux principes de la République en amont, dans le pays de résidence des membres de famille pour lesquels est sollicité un regroupement familial, sans que ni l'évaluation de ces connaissances, ni la formation éventuelle, ne conditionnent quant au fond le regroupement familial.

Le rapporteur insiste sur l'importance de cet article, qui « constitue un des apports majeurs du projet de loi ». Il précise aussi, pour se donner bonne conscience, « qu'un dispositif plus contraignant est déjà applicable aux Pays-Bas et depuis peu en Allemagne ». Sont-ce de bonnes raisons et en quoi est-ce une garantie que ces mesures respectent le droit fondamental de vivre en famille ? Je signale que cette disposition s'appuie sur des affirmations erronées car les « rejoignants » et les conjoints de Français bénéficient déjà à leur arrivée d'une formation portant sur la langue et les valeurs de la République dans le cadre du contrat d'accueil et d'intégration que vous avez voté.

Pour conclure sur cette disposition, je dirai qu'elle constitue une atteinte excessive au droit de mener une vie familiale normale et peut valoir à la France une autre condamnation de la part de la Commission européenne des droits de l'homme.

D'autres dispositions relatives à l'immigration familiale vont encore compliquer la vie des bénéficiaires du regroupement familial et des conjoints de Français.

Ainsi, la condition de ressources requises pour bénéficier de ce regroupement est renforcée et doit être modulée selon la taille de la famille. Je rappelle qu'une disposition similaire avait été introduite par l'Assemblée nationale en 2003 et avait été rejetée par le Sénat. La commission des lois avait alors estimé que « dans la mesure où le montant du SMIC mensuel est considéré comme assurant un niveau de vie suffisant pour les Français, il semble raisonnable – mais vous avez sans doute perdu la raison – de considérer que les étrangers atteignant ce niveau ont des ressources suffisantes ». Nouvelle tentative en 2006, que le Sénat rejette à l'unanimité, estimant qu'il « n'y a pas lieu d'établir de distinction, s'agissant des ressources, entre la situation des familles étrangères et celle des familles françaises. Par conséquent, s'il est considéré qu'un revenu égal au SMIC permet à une famille française de vivre dans des conditions acceptables, il en va de même pour une famille étrangère ». Pourquoi revenir sur cela et même en élargir le champ d'application puisque la commission des lois a adopté l'amendement n° 25 qui précise que cette exigence de revenus modulables vaut aussi pour les titulaires d'une carte de résident longue durée-CE qui souhaiteraient vivre avec leur famille ?

J'ajoute, et cela est assez consternant de la part de ce gouvernement qui parle sans cesse d'égalité et de respect de la diversité, que cette condition de ressources concerne aussi les personnes handicapées. Ce projet ne tient aucun compte d'une recommandation émise par la Haute autorité de lutte contre les discriminations en décembre 2006. La HALDE a estimé que la condition de ressources appliquée à des personnes handicapées constituait non seulement une atteinte au droit de ces personnes à mener une vie familiale normale, mais encore une discrimination indirecte et que « si la règle posée par l'article L. 411-5 répond à un objectif légitime, elle s'avère en revanche injustifiable dans le cas des travailleurs handicapés bénéficiaires de l'allocation adulte handicapé ». Le collège de la Haute autorité recommandait donc au ministère de l'intérieur d'initier une réforme du regroupement familial et d'adresser des instructions aux préfectures afin qu'il soit procédé, sans attendre, à un examen particulier des demandes faites par des personnes handicapées.

Il ne faut pas non plus oublier les populations particulièrement vulnérables comme les retraités, les malades ou les invalides, dont le niveau de ressources est bien souvent inférieur au SMIC et qui ont, encore plus que les autres, besoin d'être entourées de leurs proches.

La France va-t-elle accepter encore longtemps d'être la mauvaise élève en matière de respect des normes européennes et internationales et d'être montrée du doigt pour traitement discriminatoire ?

Mais votre projet ne s'arrête pas là. Il instaure aussi un contrat d'accueil et d'intégration pour la famille, qui comprend une formation sur les droits et les devoirs des parents en France et dont le non-respect sera sanctionné par la mise sous tutelle des prestations familiales. Les dispositions de cet article sont contraires au principe de non-discrimination largement consacré par la jurisprudence de la CEDH et reconnu par le droit international.

Avec l'article 3, le travail entamé depuis plusieurs années se poursuit : il consiste à jeter le soupçon sur les ressortissants étrangers, désignés comme de mauvais parents, dont le mode d'éducation ne serait en tout cas pas adapté à la vie sur le territoire français.

Si l'objectif du contrat d'accueil et d'intégration est, conformément à l'exposé des motifs, de favoriser la sacro-sainte « intégration » de la famille étrangère dans la société française, la différence établie entre les parents étrangers, selon qu'ils respecteraient ou non le contrat d'accueil et d'intégration, est sans rapport avec l'objectif prétendument fixé et viole de fait le principe d'égalité.

Saisie de cette question, la Haute autorité de lutte contre les discriminations, se fondant sur l'application combinée des articles 14 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, a qualifié cette distinction de discriminatoire. Quant à la défenseure des enfants, elle n'a pas manqué de souligner que cette disposition violait l'article 3-1 de la Convention internationale des droits de l'enfant. Ces deux autorités ont, en outre, rappelé la recommandation du 4 juin 2004 adressée à la France par le Comité de suivi des droits de l'enfant des Nations unies, qui se prononçait pour l'attribution de plein droit des prestations familiales pour les enfants dont les parents séjournent régulièrement en France.

Votre projet viole les dispositions issues de l'article 3-1 de la Convention internationale des droits de l'enfant. En effet, les prestations familiales sont versées pour l'enfant et participent aux conditions de son éducation et de son développement. Prévoir la possible suspension de cette allocation au seul motif que les parents ne respecteraient pas le contrat d'accueil et d'intégration contrevient indéniablement à l'intérêt supérieur de l'enfant. J'avais fait état des mêmes arguments lors de l'examen de la loi du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances, quand il s'est agi de légiférer contre des parents qui ne respecteraient pas l'obligation d'assiduité scolaire ou qui seraient responsables d'une carence éducative. Puisque le rapporteur se réfère à cette loi, je tiens à préciser que l'on ne peut mettre sur le même plan la carence éducative et le refus de signer un contrat d'accueil et d'intégration pour la famille. Le faire, c'est violer incontestablement l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.

La sanction du non-respect du contrat d'accueil et d'intégration révèle l'approche répressive, inquisitoriale et discriminatoire de votre projet de loi.

Par ailleurs, le Gouvernement revient sur un amendement voté par le Sénat l'année dernière, qui permet au conjoint de Français entré régulièrement – avec un visa court séjour – sur le territoire français et qui justifie de six mois de vie commune de demander au préfet un visa long séjour. Si votre proposition est adoptée, ce conjoint devra retourner dans son pays d'origine pour y solliciter un visa long séjour permettant de bénéficier par la suite d'un titre de séjour. Le rapporteur a expressément indiqué que le dispositif dérogatoire en place jusqu'à maintenant n'est pas compatible avec l'objectif affiché par le Gouvernement, qui souhaite que l'étranger commence le parcours d'intégration dans son pays d'origine.

Mais est-ce au Gouvernement de décider à quel moment un étranger va rejoindre son conjoint français, dès lors que l'acte est transcrit officiellement sur les registres d'état civil du consulat ? Au prétexte de simplifier un système trop complexe, le Gouvernement va rendre infernale la vie des couples et des familles et leur imposer un vrai parcours du combattant ! Il aurait été plus respectueux du droit à la vie familiale et privée, du droit à vivre en famille, de permettre aux étrangers mariés avec des Français de rejoindre leur conjoint ou leur famille sans visa ni formation linguistique. C'est à croire qu'un étranger ne sait pas penser et que la personne qui se marie avec lui n'a pas tous ses esprits.

Ainsi, ce serait pour éviter les erreurs que le Gouvernement, dans sa grande bienveillance, chercherait à protéger les 90 700 mariages mixtes – selon les chiffres de 2005 – célébrés en France et à l'étranger. Mais il n'avait pas spontanément pensé aux femmes violentées par leur conjoint avant la délivrance du premier titre de séjour ou avant le renouvellement du titre. Parce que la vie commune a été rompue par le conjoint ou par elles-mêmes – leur vie étant en danger –, ces femmes se sont vu refuser le titre et se trouvent ainsi sous le coup d'une obligation de quitter le territoire, sans aucun recours possible. Là encore, il faut remercier les associations qui les prennent en charge et leur permettent de trouver des solutions. Combien de fois sommes-nous intervenus, les uns et les autres, dans de tels cas ?

La seconde cible du projet de loi est le droit d'asile. Le texte introduit en effet une réforme majeure et hautement symbolique, puisqu'il transfère la tutelle de l'OFPRA au ministère de l'immigration. Cette disposition, qui est l'aboutissement d'une évolution initiée par le ministre de l'intérieur en 2003, s'inscrit, selon le Gouvernement, dans la tendance observée chez nos voisins européens. Pourtant, les exemples de ministères de l'immigration responsables de l'asile ne sont pas si nombreux. Dans la plupart des pays européens, celui-ci est en effet placé sous le contrôle du ministère de l'intérieur, ce qui n'est d'ailleurs pas forcément mieux.

Je rappelle que l'asile est une institution de droit international, largement reconnue par tous les États et régie par des normes de droit international. En tant que telle, elle devrait donc relever de la compétence du ministère des affaires étrangères. Lier l'asile à la maîtrise de l'immigration et à l'intégration reflète une approche répressive obsédée par les chiffres et témoigne d'une vraie dérive identitaire et sécuritaire.

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