…ni à une quelconque recherche d'efficacité dans la construction d'une politique d'intérêt partagé entre les pays d'où viennent les migrants et les pays d'accueil. Selon moi, il vise simplement des objectifs de politique intérieure.
Vous me permettrez d'abord de m'intéresser à la reconnaissance du droit des migrants.
Monsieur le ministre, dans la lettre de mission datée du 9 juillet dernier que vous a adressée le président de la République, un objectif a retenu mon attention : l'engagement de concertations pour l'élaboration d'un traité multilatéral définissant les droits et devoirs des États en matière de gestion des flux migratoires. Or, permettez-moi de rappeler qu'un instrument international adopté par l'ONU le 18 décembre 1990, et entré en vigueur treize ans plus tard, le 1er juillet 2003, existe déjà : il s'agit de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille. À ce jour, trente-sept États dans le monde l'ont ratifiée, dont l'Algérie, le Sénégal, le Maroc ou encore la Turquie, mais, malgré plusieurs interpellations du Parlement européen, aucun État membre de l'Union européenne n'a mis son paraphe au bas de ce traité.
Cette convention, dont l'objectif premier est de protéger les travailleurs migrants de l'exploitation et de la violation de leurs droits humains, institue un cadre propre à garantir des conditions équitables en ce qui concerne les migrations internationales. Le seul argument en faveur de la non-ratification développé par la France, en août 2005, par l'intermédiaire du ministre des affaires étrangères, dans une réponse à la Commission nationale consultative des droits de l'homme, invoque des dispositions fiscales contraires à notre droit, ce qui, à mon sens, ne devrait pas être un obstacle insurmontable.
La question des migrations oblige à s'arrêter quelques instants sur la situation des principaux pays dont sont issus les migrants. Aujourd'hui, les pays de l'OCDE fournissent l'équivalent de 100 milliards de dollars – 73,69 milliards d'euros – d'aide annuelle. Peut-être pensez-vous qu'un tel chiffre n'est pas négligeable. Mais il est à rapprocher des 360 milliards de dollars d'intérêts de la dette que les pays en développement remboursent chaque année. N'oublions pas que la France devrait consacrer à cette aide, selon la règle de l'ONU, 0,7 % de son PIB, ce qui n'est pas le cas. Si le Gouvernement voulait vraiment parler du codéveloppement, il faudrait d'abord qu'il mette fin immédiatement à la participation directe de l'État aux politiques imposées par des institutions financières internationales. Il devrait ensuite contrôler les sociétés transnationales et leur activité et enfin cesser de soutenir tout programme d'ajustement structurel imposé au pays pauvres. Par ailleurs, la France devrait être exemplaire et transparente sur la nature de son aide et abandonner les artifices comptables qui consistent à élargir l'assiette de l'aide au développement en y inscrivant certaines dépenses liées au DOM-TOM – c'est le cas pour Wallis-et-Futuna ou Mayotte –, au développement de la francophonie, ou au coût du dispositif national d'accueil des demandeurs d'asile.
Le codéveloppement ne peut se réduire à la question des investissements financiers des migrants dans des entreprises privées, telle que l'aborde l'article 1er de la loi relative à l'immigration et à l'intégration du 24 juillet 2006 ! Est-ce le secteur privé qui permettra de développer des pays pauvres ? Assurera-t-il l'éducation et la santé ? Permettra-t-il à chacun de recevoir de l'eau à des prix supportables par tous ? Heureusement aujourd'hui, les migrants sont là pour éviter que les leurs ne meurent de faim. Car aujourd'hui, c'est bien l'argent des migrants et non celui de l'aide qui constitue l'aide concrète la plus importante.
Dès lors, en tant que parlementaires, notre travail consiste à oeuvrer pour que les voies d'échange soient maintenues et à organiser la péréquation entre des espaces socio-économiques très inégalitaires. C'est assurément avec les migrants – et non pas sans eux ou contre eux – qu'il importe d'agir, notamment en les intégrant à part entière parmi les acteurs de la coopération et des échanges.
Monsieur le ministre, puisque les carences de notre pays sont déjà manifestes en matière d'aide au développement, nous avons tout à craindre de ce fameux codéveloppement, surtout depuis qu'il est tombé dans l'escarcelle de votre ministère. Il est vrai que ce gouvernement a la volonté de renforcer les murs entre les exclus, les pauvres, les marginalisés, les précaires d'un côté et ceux qui possèdent tout de l'autre. Écoutez la voix d'Édouard Glissant et de Patrick Chamoiseau : « Les murs qui se construisent aujourd'hui au prétexte de terrorisme, d'immigration sauvage ou de dieu préférable ne se dressent pas entre des civilisations, des cultures ou des identités, mais entre des pauvretés et des surabondances, entre des ivresses opulentes mais inquiètes et des asphyxies sèches. Donc, entre des réalités qu'une politique mondiale, dotée des institutions adéquates, saurait atténuer, voire résoudre. Ce qui menace les identités nationales, ce n'est pas les immigrations, c'est par exemple l'hégémonie étasunienne sans partage, c'est la standardisation insidieuse prise dans la consommation, c'est la marchandise divinisée, précipitée sur toutes les innocences, c'est l'idée d'une essence occidentale, exempte des autres, ou d'une civilisation exempte de tout apport des autres, et qui serait par là même devenue non humaine. C'est l'idée de la pureté, de l'élection divine, de la prééminence du droit d'ingérence, en bref, c'est le mur identitaire au coeur de l'unité-diversité humaine. »
Ces voix demandent à ceux qui veulent bien les écouter et les entendre – et j'ose espérer que, sur ces bancs, nous faisons partie de ceux-là – de ne pas se tromper d'ennemis. Le Gouvernement ne respecte en rien les valeurs de la République (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) et met en grand danger l'équilibre démocratique de notre société…