Monsieur le ministre de l'immigration, vous êtes, comme on disait autrefois, « à l'intérieur » : ministre de l'immigration, de l'identité nationale, que sais-je encore ? Vos objectifs sont de politique intérieure à visée strictement électorale pour une clientèle que vous ne cessez de flatter. Mais, avec ce projet, ce qui est compromis, terni, menacé, c'est tout simplement l'image de la France. C'est ce que nous pensons, nous, commissaires socialistes de la commission des affaires étrangères.
Aux yeux de très nombreux peuples de par le monde, la France des droits de l'homme, la France à la belle devise républicaine est devenue progressivement la France où l'on suspecte, où l'on chasse, où l'on rejette l'étranger – « étranges étrangers », écrivait déjà Jacques Prévert, mais il le disait joliment –, où l'on rejette l'immigré parce qu'il est étranger. C'est navrant, mais c'est ce qui apparaît inexorablement dans les pays du sud de la Méditerranée, où vous avez certainement, comme nous, l'occasion de vous rendre.
Le ministre de l'identité nationale nous demande de barricader l'Hexagone contre les plus faibles de ce monde, les réfugiés, politiques et économiques, victimes de guerres et du mal-développement. Cette approche n'est pas la nôtre. La maîtrise des flux migratoires n'est pas une simple affaire de police et de nostalgies coloniales.
Pour réussir, une politique de maîtrise des flux migratoires – objectif louable – ne peut être que concertée avec l'ensemble des parties concernées. L'époque des colonies est close. Celle d'aujourd'hui, celle de la mondialisation, repose sur le respect de la dignité et de la souveraineté des États. La mondialisation de l'économie et de la finance est porteuse de retombées profitables à notre pays, mais aussi de dysfonctionnements redoutables. Le déplacement des peuples est de ceux-là. Ayons le courage d'affronter les difficultés en concertation avec les autres pays sur un plan d'égalité, au sein des institutions internationales.
Vous avez fait état de projets de codéveloppement, d'accord bilatéraux, mais on sait que, pour le moment, ce sont des coquilles vides, ou presque. Ou alors il faudra qu'on nous explique la réalité concrète de ces projets.
La création insolite d'un ministère de l'identité nationale, identité prétendument menacée par « l'étranger », ou plutôt par « les étrangers », conduit à une autre approche du monde, dommageable pour la France et ses intérêts.
Mes chers collègues, si vous n'y prenez garde, en votant ce projet, vous allez mettre la France sur la voie d'une rupture morale et politique. L'application des conventions internationales sur le droit de l'enfant à une famille, signées et ratifiées par la France, est menacée de graves distorsions. Cette loi, sous couvert d'une intégration réussie, multiplie en fait les obstacles au regroupement d'enfants avec leurs pères et avec leurs mères, droit élémentaire, internationalement garanti.
Le droit d'asile, droit fondamental et jusqu'ici scrupuleusement respecté par notre pays, est désormais inclus dans la politique d'immigration. Le demandeur d'asile fait, à ce titre, l'objet d'une suspicion a priori. Il s'agit, nous dit le rapporteur de la commission des lois, « d'éviter les détournements de procédure ». Afin, sans doute, que le nouvel esprit des lois soit bien mis en musique, le ministère des affaires étrangères se voit ôter la responsabilité de l'OFPRA, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, responsabilité, il convient de le rappeler, qui était la sienne depuis la création de celui-ci en 1952. Le Quai d'Orsay a-t-il démérité ? Ou s'agit-il ici encore d'un détournement de principe, la défense du droit étant subordonnée à la nécessité de refouler le maximum d'étrangers au prix, éventuellement, de contorsions juridiques ?
Le ministère des affaires étrangères, ainsi réduit, a subi dès la constitution du premier gouvernement de Nicolas Sarkozy une seconde amputation, révélatrice de la régression et de la cantonalisation politiques en cours. La politique de coopération, rebaptisée « codéveloppement », est désormais gérée et encadrée par le ministère de l'identité nationale. Elle est conçue comme l'un des instruments permettant de contenir ceux qui, finalement, pour vous, à droite, apparaissent comme les nouveaux responsables de nos malheurs, devenus boucs émissaires de toutes les difficultés.
En évoquant un « homme africain » qui serait, comme par essence, différent des autres, à Dakar le 26 juillet dernier, le Président de la République a validé les conceptions poussiéreuses, paternalistes et raciales des relations entre les peuples et les hommes. Le Chef de l'État a-t-il évoqué l'« homme américain » à l'occasion de ses vacances aux États-Unis ? Il est dommage que cette rupture idéologique, cet abandon de nos traditions républicaines d'ouverture, de dialogue et de respect, ait été validé par celui qui en est pendant cinq ans le gardien suprême.
Mes chers collègues, la réalité du monde est ambivalente et complexe. Le rejet des autres, reflété par la nouvelle politique extérieure de la France, a sans doute offert quelques avantages électoraux, jugés il y a quelques mois très attractifs. Mais ce choix est, à terme, intenable sur le plan international.
La politique du chiffre entraîne inévitablement une politique d'intimidation, de rafles, de méthodes inhumaines, fort éloignées du droit.
J'ai été récemment témoin, à Roissy, des conditions lamentables dans lesquelles s'exerce la nouvelle mesure du double contrôle à la sortie d'un avion. Elles soulignent les graves carences de notre plus grand aéroport – ce n'est d'ailleurs pas nouveau – et donnent à beaucoup de gens qui découvrent cette mesure pour la première fois à l'arrivée sur notre sol une image consternante de notre pays.