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Intervention de Annick Girardin

Réunion du 26 septembre 2007 à 15h00
Accord france-canada sur les champs d'hydrocarbures transfrontaliers — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnnick Girardin :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, ce projet de loi autorise l'approbation d'un accord d'une importance capitale pour les intérêts français. Il ne se limite pas seulement à des considérations économiques, il pose aussi une question diplomatique et territoriale qui ne concerne rien de moins que la souveraineté territoriale de la France.

Notre collègue Yves Cochet a eu l'occasion de nous parler des enjeux écologiques de l'accord. Nous partageons cette préoccupation. Les futurs accords, qui constitueront la déclinaison au cas par cas de celui-ci, devront impérativement prendre pleinement en compte les impératifs écologiques.

J'aimerais pour ma part, de façon complémentaire, rejoindre l'avis sagement retenu par les membres de la commission, ainsi que par M. le rapporteur, dont je salue à cette occasion les travaux, et vous expliquer en quoi cet accord, au-delà de son importance primordiale pour la survie économique de Saint-Pierre-et-Miquelon, est inséparable de la question, encore non résolue à ce jour, de la délimitation des zones maritimes au large de nos îles.

Je voudrais aussi souligner l'intérêt indéniable de cet accord pour concrétiser les espoirs que nourrit la population de notre archipel dans le développement des activités liées à la recherche et à l'exploitation des ressources en hydrocarbures au large de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Saint-Pierre-et-Miquelon, faut-il le rappeler, traverse une crise d'ampleur sans égale depuis l'arrêt brutal des activités de pêche il y a quinze ans. Nous subissons encore aujourd'hui de plein fouet les conséquences de l'échec de la France face au Canada devant le tribunal arbitral international de New York. Depuis le verdict de 1992, la crise s'est installée dans la durée et le manque de perspectives a engendré un climat de morosité paralysant, qui prévaut encore à l'heure actuelle.

Notre archipel est caractérisé aujourd'hui par une économie en chute libre dans tous les secteurs : une inflation dite modérée, avec une augmentation annuelle de 5,7 %, après 8,1 % entre décembre 2004 et décembre 2005 ; une voirie délabrée, des équipements et des structures publics dégradés, y compris en termes de sécurité et d'hygiène, faute de moyens pour les entretenir ; une absence récurrente de prise en compte des spécificités de Saint-Pierre-et-Miquelon dans les dispositifs d'aide mis en place pour les outre-mer, dont, au premier rang, le fonds de péréquation, ou encore la continuité territoriale, tous deux construits sur des critères insensibles à la situation et aux contraintes propres à notre archipel ; enfin, des dotations aux collectivités manifestement insuffisantes au regard des coûts structurels incompressibles et du faible nombre de foyers fiscaux.

Il en résulte une situation de déficit chronique, accompagné d'une dette accablante pour ces collectivités et une impossibilité de dégager les marges de manoeuvre nécessaires à leur participation dans la relance de l'économie de l'archipel.

Dans de telles conditions, la perspective d'un développement lié aux activités d'exploitation des hydrocarbures se présente comme l'unique espoir de sortir du marasme, et cet accord constitue une avancée fondamentale dans cette perspective.

Cet accord est tout aussi important dans le cadre de l'intégration nécessaire de Saint-Pierre-et-Miquelon dans son environnement régional. Il fixe un cadre et constitue un précédent, ce qui oeuvre en faveur du maintien des excellentes relations franco-canadiennes que nous connaissons actuellement, et cela sans préjudice de la défense réciproque d'intérêts inévitablement contradictoires.

Cependant, et au-delà des mérites de son contenu, l'accord pose des questions territoriales qui doivent impérativement être abordées. À ce titre, les travaux de la commission reconnaissent, pour la première fois, le caractère abusif de la modification unilatérale apportée par le Canada en 1996 à ses frontières maritimes.

En effet, la sentence arbitrale du 10 juin 1992 laissait ouverte la possibilité d'un plateau continental français au large de Saint-Pierre-et-Miquelon, en établissant notamment pour la France une zone économique exclusive contiguë aux eaux internationales et au plateau continental en question.

C'est une décision unilatérale canadienne, prise par le biais de la loi sur les océans de 1996 et ses décrets d'application, qui a effectivement enclavé la zone française dans la zone économique exclusive canadienne.

À cette occasion, les autorités canadiennes ont pris comme nouveau point de repère pour le calcul de leur zone économique l'île de Sable, un haut fond émergé à 100 milles nautiques des côtes canadiennes les plus proches.

La nouvelle zone ainsi délimitée enclave entièrement la zone économique française au large de Saint-Pierre-et-Miquelon. Cet enclavement constitue de ce fait le meilleur argument canadien contre toute prétention française pour la défense de nos droits sur ce plateau continental.

Il n'est pas indifférent de remarquer que, dans ses écritures devant le tribunal arbitral de 1989 à 1992, le Canada a explicitement refusé d'évoquer l'île de Sable, de manière à empêcher que le tribunal ne se prononce sur une délimitation au-delà de 200 milles nautiques. Ainsi le Canada a-t-il déclaré : « L'île de Sable n'entre tout simplement pas en ligne de compte. Elle ne fait pas partie des côtes pertinentes, que ce soit comme point de base ou à un autre titre. »

Ces déclarations contentieuses sont évidemment à rapprocher de la loi et du règlement canadiens de 1996. On peut voir dans ces opinions successives une contradiction, pour ne pas dire une stratégie fondée sur la duplicité.

Cette modification unilatérale, qui lèse directement les intérêts économiques et territoriaux de la France, n'a jamais officiellement été mise en cause par celle-ci. Elle doit l'être aujourd'hui.

Cette modification doit être contestée car, en l'absence d'une telle contestation, et en dépit des garanties établies à son article 19, l'accord qui nous est soumis pour approbation risque de constituer une reconnaissance par défaut de cette situation par la France.

En effet, dans son préambule, cet accord précise que la France reconnaît « que les parties ont adopté des lois, des règlements et d'autres mesures de gestion, afin de conserver les ressources naturelles de leurs zones maritimes respectives ». C'est donc reconnaître implicitement la loi sur les océans adoptée par le Canada en 1996, et, par conséquent, la nouvelle délimitation à partir de l'île de Sable.

Je ne vous propose pas ici une opération vaine ou symbolique, car la modification unilatérale canadienne est en effet éminemment contestable en droit.

L'île de Sable est inhabitée, aux contours instables, et elle se situe à 100 milles nautiques de la côte canadienne la plus proche. Elle ne satisfait pas aux conditions posées par la jurisprudence de la Cour internationale de justice pour servir de base à une réclamation territoriale, comme le montre l'étude de l'arrêt « Qatar contre Bahreïn » du 16 mars 2001. La contestation qui s'impose est donc fondée et légitime.

Enfin, cette modification doit être contestée, car refuser d'agir reviendrait à nier aux habitants de Saint-Pierre-et-Miquelon un quelconque avenir pour leur archipel. Le maintien des conditions économiques de survie a toujours été la logique fondamentale des rapports territoriaux dans la région. C'est ainsi que la France a maintenu pendant longtemps des droits de pêche sur ledit french shore de Terre-Neuve, indépendamment de toute possession territoriale.

C'est ce principe d'activité et de survie économique que la France n'a pas su défendre lors du jugement arbitral de 1992, et c'est ce qu'elle doit absolument rectifier aujourd'hui.

Avec le développement prévisible de l'exploitation des hydrocarbures dans la zone en question, il serait incompréhensible que la France n'agisse pas pour préserver ses droits.

En conclusion, adopter cet accord sans aucune contestation ne laisserait à la France que deux options : soit abandonner toute prétention à faire valoir ses droits souverains sur le plateau continental au large de Saint-Pierre-et-Miquelon, hypothéquant ainsi toute perspective de survie à long terme pour notre archipel ; soit s'engager dans une procédure contentieuse lourde, plus complexe que nécessaire, davantage préjudiciable aux bonnes relations franco-canadiennes, au cours de laquelle la France souffrirait d'un sérieux handicap du fait de l'enclavement non contesté de sa zone économique exclusive dans la zone canadienne.

Aucune de ces deux options n'est pour nous, envisageable et nous refusons de nous y résoudre.

Nous soutenons l'accord lui-même. Il constitue, je me permets de le réaffirmer, un élément prometteur en faveur du développement économique de Saint-Pierre-et-Miquelon. Il renforcera également les liens économiques et les bonnes relations entre la France et le Canada, plus importants que jamais.

Toutefois, conscients du risque implicite que pose cet accord pour les intérêts territoriaux français, nous devons demander au Gouvernement d'adopter la seule position qui permette de conjuguer les deux impératifs que sont la défense des droits de la France et le respect de nos amis et partenaires Canadiens.

À l'occasion de la ratification de cet accord, la France doit se positionner clairement en contestant la modification unilatérale de la zone économique canadienne opérée en 1996. C'est une nécessité pour la survie économique de l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon. C'est aussi la condition du succès de la demande d'extension de la souveraineté française sur le plateau continental au large de Saint-Pierre-et-Miquelon, que le Gouvernement s'est engagé à préparer et à déposer avant la date limite de mai 2009.

M. le rapporteur, tout comme la commission, a rejoint cette position.

Au nom de la défense des intérêts français, au nom de la survie de l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon, je vous exhorte, monsieur le secrétaire d'État, à procéder sans délai à cette contestation, sans laquelle je serai, en tant que représentante de mon groupe, dans l'impossibilité de voter ce projet de loi, par ailleurs satisfaisant. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche, ainsi que du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

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