Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Bernard Perrut

Réunion du 29 février 2012 à 10h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBernard Perrut, président :

Quelle est la place des enfants dans la fin de vie, notamment au sein des services d'accueil qui leur sont dédiés ? L'approche est-elle différente avec eux ?

Docteur Régis Aubry. L'idée que l'on pourrait supprimer toute souffrance, qu'elle soit physique ou psychique, n'a pas de sens. Et l'on ne peut laisser penser que les soins palliatifs seraient le remède à la souffrance, car l'homme est doté à la fois d'une conscience et d'une capacité à souffrir. Certains messages, très réducteurs, confondant douleur et souffrance, peuvent de ce point de vue se révéler dangereux. On ne saurait reprocher à quiconque d'abandonner un homme à sa souffrance : le devoir de la société et de la médecine est non pas de se donner des ambitions inaccessibles, mais d'accompagner ceux qui finissent leur vie dans la souffrance.

Selon un sondage réalisé, il y a deux ans, par la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs, les trois quarts des Français ignorent que la loi prohibe l'acharnement thérapeutique. C'est dire que la méconnaissance de la loi ne concerne pas seulement les professionnels de santé. Plus généralement, notre société a un problème avec la mort ; c'est sans doute ce qui explique que la question de la fin de vie ait surtout été abordée, jusqu'à présent, de façon polémique. Vous avez raison, monsieur Hutin, de souligner l'expérience des médecins généralistes en matière d'accompagnement. Néanmoins, force est de constater que la médecine moderne a mis l'accent, pour des raisons qu'il n'y a d'ailleurs pas lieu de critiquer, sur l'aspect biotechnologique, au détriment de la dimension philosophique des soins, de l'attention portée à la souffrance de l'autre. La formation des médecins, dont on peut en effet craindre qu'elle s'éloigne de celle des infirmières sur ce point, doit donc être réformée en profondeur ; c'est ce à quoi nous nous employons avec le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, notamment dans la cadre de l'application des accords de Bologne ; mais cela n'est pas simple.

J'appelle cependant de mes voeux des états généraux, ou en tout cas une réflexion citoyenne sur la fin de vie. Aux Pays-Bas, je le rappelle, la dépénalisation de l'euthanasie a été précédée par un débat public qui a duré douze ans ! Des sujets aussi graves et aussi complexes ne peuvent être réduits à des caricatures ou à des approches binaires : ils appellent une vraie réflexion et des débats sereins.

L'offre de soins palliatifs est désormais satisfaisante du point de vue des structures, malgré quelques carences ici ou là et même si certains établissements de santé ont du mal à intégrer de telles structures. Cela dit, outre la formation, dont j'ai parlé, nous devrions peut-être envisager d'accueillir les patients en fin de vie dans des structures plus « démédicalisées », comme le font certains pays anglo-saxons, en particulier le Canada. En effet, les études de l'Institut national d'études démographiques montrent qu'il y a de plus en plus de personnes seules dans notre pays. Nous avons besoin, dès aujourd'hui, de lieux de répit pour les familles car les fins de vie sont de plus en plus longues et difficiles. Par ailleurs, certains patients n'ont pas d'autre lieu pour terminer leur vie que l'hôpital, et ce malgré le travail formidable réalisé par les acteurs à domicile, dont il convient de renforcer les moyens. Or l'hôpital, à ce stade où la question centrale est non plus le traitement, mais l'accompagnement, fait ce qu'il sait faire : il médicalise. Bref, tout cela mérite réflexion : ce premier rapport ne fait que pointer des besoins qu'il faut encore chiffrer.

Aux termes de la loi du 22 avril 2005, c'est le malade qui doit juger si l'obstination est déraisonnable ou pas. Et, contrairement à ce que nous pensions avant de faire ce rapport, l'acharnement thérapeutique vient moins des médecins que des malades. Dès lors, la question que nous devons poser est la suivante : comment, dans un contexte économiquement contraint, appréhender les conséquences du progrès qui permet à des patients atteints de maladies incurables de survivre longtemps ? Comment maintenir l'humain au coeur de nos politiques de santé ? L'Angleterre, par exemple, a fixé à 85 ans l'âge au-delà duquel tout traitement susceptible de maintenir le patient artificiellement en vie doit être arrêté. Faudra-t-il envisager des solutions aussi radicales, ou plutôt considérer, de façon plus intelligente et humaine, si vous me permettez l'expression, que l'état physiologique prime sur l'âge ? Quelles priorités fixerons-nous, et avec quels moyens ? Doit-on par ailleurs maintenir en vie, dès lors qu'on le peut ? Notre société devra s'emparer de ces questions dans le cadre d'un grand débat public et se confronter à l'idée de la mort, dont aucun vaccin ne prémunira jamais. Toute vision réductrice de ces questions complexes s'apparenterait à du populisme. On ne peut réduire le problème de la fin de vie à une approche binaire. Les médecins, il est vrai, perçoivent souvent la mort comme un échec, mais il faut précisément nous interroger sur ce sentiment de culpabilité, car tout se passe comme si nous avions oublié que nous étions mortels.

Quant aux enfants, il faut distinguer ceux qui sont atteints d'une maladie inguérissable de ceux dont c'est un membre de la famille qui est malade. La France, rappelons-le, est le seul pays au monde à avoir doté les services de soins palliatifs d'équipes spécialisées en pédiatrie – on en compte désormais une par région. Les situations d'enfants en fin de vie sont rares, certes, mais elles ont un impact considérable sur la fratrie et les parents. La création de ces services spécialisés est trop récente pour faire l'objet d'un bilan, mais elle est prometteuse, notamment au regard de cette question de fond qu'est l'accompagnement des enfants dont un membre de la famille est en fin de vie. C'est un véritable enjeu de santé publique, car un individu qui commence sa vie dans la souffrance ne la finira pas sans souffrir, surtout si l'idée de la mort lui a été occultée. C'est pourquoi notre société doit se réhabituer à considérer la vie comme relative. Ce faisant, elle développera des solidarités nouvelles, retrouvant par là même des valeurs qui la fondent.

Notre société, qui compte beaucoup sur la médecine, se tromperait en ignorant cette indispensable solidarité, que certaines associations prennent en charge, mais de façon encore insuffisante. C'est sans doute moins par la médicalisation que par l'accompagnement que l'on aidera le mieux nos concitoyens fragilisés par la maladie : rien n'est pire, dans la souffrance, que l'abandon. Notre société a-t-elle les moyens de mettre en oeuvre de nouvelles formes de solidarité pour accompagner les plus vulnérables ? Telle est, à mon sens, l'une des questions fondamentales à poser dans le cadre d'un débat sur la fin de vie.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion