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Intervention de Christian Kert

Réunion du 22 février 2012 à 21h30
Exploitation numérique des livres indisponibles du xxe siècle — Cmp

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristian Kert, suppléantM :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ayant dû regagner sa circonscription, Hervé Gaymard a prié le vice-président de la commission des affaires culturelles et de l'éducation que je suis de bien vouloir le suppléer. Je le fais avec grand plaisir.

Cette proposition de loi avait été déposée en termes identiques par Hervé Gaymard à l'Assemblée nationale et par Jacques Legendre au Sénat. Constituant le volet juridique d'un accord conclu le 1er février 2011 par les éditeurs, les auteurs, la Bibliothèque nationale de France, le ministère de la culture et le commissariat général à l'investissement, elle lèvera les obstacles à la mise en oeuvre d'un vaste plan de numérisation des ouvrages du XXe siècle reposant sur un modèle de financement public-privé et sur un respect scrupuleux des droits d'auteurs, contrairement à ce qui est parfois allégué. Grâce à cette proposition de loi qui tend à instaurer un système équilibré entre diffusion à grande échelle et respect de la propriété intellectuelle, notre pays fait figure de pionnier dans le domaine de la numérisation d'oeuvres dont la titularité des droits d'exploitation numérique est incertaine. Sa mise en oeuvre permettra d'entraver la politique du fait accompli menée par de grands acteurs de l'internet qui n'ont pas démontré une très grande considération pour les droits des auteurs et des éditeurs et la constitution de positions dominantes à leur profit.

Nos discussions avec le Sénat ont été animées, mais la rapporteure du Sénat, Mme Bariza Khiari, et l'ensemble de nos collègues sénateurs ont témoigné d'un état d'esprit constructif et se sont montrés soucieux d'aboutir à un texte susceptible d'être adopté par nos deux assemblées dans les meilleurs délais. Je croire que nous y sommes parvenus.

Les précisions apportées par le Sénat afin de renforcer le droit moral des auteurs ont été maintenues, de même que celles introduites par notre assemblée dans le but de garantir un accès libre et gratuit à la base de données des livres indisponibles.

La commission mixte paritaire a également confirmé la possibilité pour toute personne de demander à la Bibliothèque nationale de France l'inscription d'un ouvrage sur la liste des livres indisponibles. Nous avons toutefois supprimé la mention du refus motivé de la BNF, qui aurait représenté pour cette dernière une charge trop lourde.

S'agissant du fonctionnement et de la composition de la société de perception et de répartition des droits, notre assemblée avait supprimé la disposition introduite par le Sénat en vertu de laquelle l'obligation d'une représentation paritaire des auteurs et des éditeurs ne pesait que sur les sociétés représentant les auteurs et éditeurs parties au contrat d'édition. En effet, s'il ne nous paraissait pas illégitime que le texte comporte des garanties en faveur des auteurs des oeuvres visuelles reproduites dans les livres indisponibles, l'ajout auquel le Sénat avait procédé ne nous paraissait pas satisfaisant. En contrepartie de sa suppression, nous avons précisé que les sociétés de perception et de répartition des droits, les SPRD, seront agréées en considération du caractère équitable des sommes versées aux ayants droit, qu'ils soient ou non parties au contrat d'édition. Ces garanties ont été jugées suffisantes par la commission mixte paritaire, qui a adopté la rédaction proposée par l'Assemblée nationale.

Par ailleurs, la commission mixte paritaire a réintroduit la clé de répartition des sommes perçues par la SPRD : la rémunération perçue par les auteurs ne pourra être inférieure à celle perçue par les éditeurs.

S'agissant de l'obligation pour la SPRD de rechercher les titulaires des droits, la commission mixte paritaire a adopté une rédaction de compromis qui affirme l'importance des « moyens probants » que la SPRD se propose de mettre en oeuvre pour l'obtention de son agrément, sans référence à des qualificatifs qui auraient introduit une confusion avec la définition des oeuvres orphelines.

La commission s'est également ralliée à la solution proposée par notre assemblée s'agissant du contrôle de l'effectivité et du sérieux de ces recherches. Le Sénat avait proposé qu'un commissaire du Gouvernement participe aux assemblées délibérantes de la SPRD. Pour notre part, nous avons préféré que ce contrôle repose sur une instance qui a fait ses preuves : la commission de contrôle des SPRD. Cette commission de contrôle se verra investie de prérogatives renforcées, c'est-à-dire du pouvoir de formuler des observations et des recommandations.

Par ailleurs, nous avions un important désaccord avec le Sénat à propos d'une disposition qu'il avait introduite, selon laquelle la SPRD devait autoriser l'exploitation à titre gratuit et non exclusif des livres dont aucun ayant droit autre que l'éditeur n'a pu être retrouvé dans les dix ans qui suivent la première autorisation d'exploitation. Nous avions supprimé cette disposition. En effet, dans la mesure où elle ne reconnaissait aucune faculté d'appréciation à la SPRD, elle constituait une forme d'expropriation des titulaires de droit. Certes, les auteurs auraient, à tout moment, pu récupérer le droit d'exploitation numérique de leur oeuvre, mais, entre le moment où l'exploitation à titre gratuit aurait commencé et celui où un auteur aurait exercé cette faculté de retrait, ce dernier aurait été victime d'un préjudice puisque non seulement il n'aurait pas donné son accord à cette exploitation, mais il n'aurait perçu aucun droit et n'aurait pu réclamer aucune compensation a posteriori.

En outre, la rédaction proposée par le Sénat aurait totalement privé de leurs droits les éditeurs.

Par ailleurs, si la gratuité est un principe séduisant, c'est aussi un leurre. Prévoir l'exploitation à titre gratuit de certaines oeuvres, cela revient à faire financer par d'autres les coûts de gestion liés à la délivrance des autorisations d'exploitation par la SPRD et, surtout, les coûts de la poursuite de la recherche des ayants droit. En réalité, une telle disposition risquait de compromettre la poursuite de ces recherches.

Enfin, elle risquait de compromettre la réalisation des investissements nécessaires à la numérisation des livres indisponibles. Ce projet de numérisation à grande échelle doit être financé sur fonds publics, notamment grâce au mécanisme des investissements d'avenir. Le fait de rendre gratuite après dix ans l'exploitation des oeuvres orphelines, qui pourraient représenter environ 20 % des oeuvres indisponibles numérisées dans le cadre de ce projet, non seulement amoindrirait les revenus perçus par les ayants droit mais fragiliserait encore davantage le retour sur investissement et donc la faisabilité même du projet.

Une solution de compromis a été proposée par la rapporteure du Sénat, qui recentre le dispositif au bénéfice des seules bibliothèques. C'est un élément important, car cela exclut toute exploitation à des fins commerciales ; on évite ainsi de conforter le monopole d'une entreprise privée, par exemple du secteur de l'internet, qui rémunérerait l'exploitation de tels ouvrages par la publicité, sans aucun bénéfice pour les ayants droits.

Dans la rédaction de compromis à laquelle nous avons abouti, chaque mot a été pesé au trébuchet. Je veux insister sur deux points.

Le premier, auquel j'attache la plus grande importance, est la latitude laissée à la SPRD pour l'octroi des autorisations. Contrairement à ce qui avait été envisagé dans un premier temps, la SPRD pourra opposer un refus motivé aux demandes d'exploitation à titre gratuit des ouvrages concernés.

Le second point concerne le champ des oeuvres concernées. La rédaction initiale prévoyait une exploitation gratuite des livres orphelins d'auteur, mais pas orphelins d'éditeur. Ces derniers étaient donc particulièrement et injustement lésés. Pour pouvoir faire l'objet d'une exploitation gratuite, les oeuvres devront être orphelines d'auteur et d'éditeur. De la même manière, l'auteur et l'éditeur titulaire des droits de reproduction de l'oeuvre sous forme imprimée pourront à tout moment, s'ils venaient à être retrouvés, obtenir le retrait de l'autorisation d'exploitation du livre à titre gratuit.

Vous l'aurez compris, chers collègues, j'aurais préféré que nous ne nous engagions pas dans une voie qui, en dépit des garanties que nous avons introduites en commission mixte paritaire, autorise l'exploitation gratuite d'oeuvres sous droit sans autorisation des éditeurs et des auteurs. J'espère que la SPRD saura faire un usage éclairé et parcimonieux de la faculté qui est lui reconnue d'accorder de telles autorisations.

Je forme également le voeu que les bibliothèques sachent les solliciter de manière proportionnée à l'objectif de promotion de la lecture publique, objectif parfaitement légitime auquel je souscris pleinement.

J'en viens à un autre désaccord que nous avons réussi à surmonter. Il porte sur la définition des oeuvres orphelines introduite par le Sénat à l'article 1er bis. Dans la mesure où un projet de directive sur les oeuvres orphelines est en cours de discussion, une telle définition est peut-être prématurée mais, comme cet article est sans influence sur le coeur du dispositif de gestion collective que le texte se propose de mettre en place, j'ai estimé que nous pouvions le maintenir.

Enfin, la commission mixte paritaire a bien voulu confirmer l'article 2 bis, auquel j'étais particulièrement attaché. Cet article dispose que les organismes représentatifs des auteurs, des éditeurs, des libraires et des imprimeurs devront engager une concertation sur les questions économiques et juridiques relatives à l'impression des livres à la demande. Cette pratique est en effet appelée à se développer, comme en témoigne l'accord conclu en mars dernier par la BNF et Hachette Livre, qui va permettre l'impression à la demande d'ouvrages présents sur Gallica. Or l'impression à la demande soulève de nombreuses questions, relatives en particulier à la nature des droits en jeu. C'est la raison pour laquelle j'ai souhaité que cette pratique puisse être évoquée à l'occasion de nos débats.

Je vous invite donc, mes chers collègues, à adopter les conclusions de la commission mixte paritaire. Avec ce texte, notre pays fera une fois encore figure de pionnier au niveau européen et démontrera qu'il est possible de concilier la démocratisation de l'accès aux oeuvres et le respect de la propriété intellectuelle dans la révolution numérique. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

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