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Intervention de Dominique Raimbourg

Réunion du 20 février 2012 à 17h00
Reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des français rapatriés — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Raimbourg :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, chers collègues, la proposition de loi que nous examinons ce soir vise à réprimer les diffamations et les injures à l'encontre des supplétifs de l'armée française. J'y vois deux aspects : un aspect évidemment technique et un aspect beaucoup plus politique.

Sur l'aspect technique, tout a été dit : l'article 5 de la loi du 23 février 2005 qui prohibait l'injure et la diffamation à l'encontre des harkis n'avait pas été assorti d'une disposition pénale permettant de prononcer des condamnations à l'encontre des auteurs de ces diffamations. Cette carence s'est révélée de façon particulièrement criante lorsque le président de la région Languedoc-Roussillon, entre autres « injurieurs », a gravement insulté des représentants de la communauté harkie, qu'il a traités de « sous-hommes ».

Il n'a pas été possible de le condamner : la Cour de cassation a considéré qu'effectivement il n'y avait pas moyen de le condamner, faute de dispositions pénales. Les tribunaux, de façon générale – et la jurisprudence de la Cour de cassation a été fixée – ont considéré que la répression ordinaire de la diffamation ou de l'injure envers les particuliers ne s'appliquait pas, au motif que le groupe constitué des harkis était trop important pour que chaque particulier puisse faire état de son appartenance à ce groupe. Et la répression particulière de la diffamation ou de l'injure raciste ne pouvait pas davantage s'appliquer dans la mesure où, expliquaient les tribunaux, la communauté harkie n'est caractérisée ni par l'origine, ni par la race, ni par la religion, ni par le handicap, ni par l'orientation sexuelle.

L'article 30 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse prévoyant une répression renforcée de la diffamation et l'injure à l'encontre des forces armées, une solution technique a été trouvée, qui consiste à considérer que les forces supplétives, dont font partie les harkis, doivent être assimilées aux forces armées, ce qui permet d'organiser, de prévoir et donc de sanctionner les auteurs d'injures ou de diffamations à l'encontre de la communauté harkie.

C'est une solution techniquement au point, à une nuance près, qu'a soulignée tout à l'heure André Chassaigne : elle ne concernera que difficilement les descendants des harkis qui pourront éventuellement demander des dommages et intérêts.

Le texte prévoit également l'intervention des associations qui pourront se constituer partie civile, lancer l'action publique et obtenir la répression des injures et diffamations. Il est donc permis d'espérer que les diffamations et injures à l'encontre de la communauté harkie seront à l'avenir sévèrement réprimées.

Sur le plan politique, la solution trouvée est assez heureuse : elle s'étend à l'ensemble des forces supplétives, sans faire distinction entre les différentes formations supplétives qui, au fil de l'histoire, ont servi aux côtés des forces armées en Algérie.

En outre, elle permet aux associations de se constituer partie civile et d'obtenir réparation au nom de la communauté harkie.

Enfin, elle ne fait pas de distinction : elle fait rentrer dans la communauté de ceux qui se sont battus pour la France les harkis, comme l'ensemble des forces armées. Au-delà de l'innovation technique, c'est une marque importante de reconnaissance, et le fait de faire entrer les harkis dans le droit commun est sans doute l'hommage le plus vibrant de la nation à cette communauté.

J'en arrive à la conclusion de mon propos, mais vous aurez compris que nous allons appeler – comme l'a indiqué mon collègue Kléber Mesquida – à voter ce texte.

Cette proposition de loi engage un processus de cicatrisation d'événements extrêmement douloureux : une guerre civile qui, avec son cortège de massacres et d'exactions, a opposé les Français et les Algériens, mais aussi des Algériens à des Algériens, et des Français à des Français. Dès lors, toute action de cicatrisation est forcément bienvenue.

Néanmoins – si je poursuis dans la métaphore médicale – si la cicatrisation est utile et nécessaire, elle ne doit pas s'arrêter là. C'est un processus continu qui doit aboutir, notamment, à une cicatrisation complète avec le peuple algérien.

La cicatrisation ne signifie pas non plus qu'il faille persister dans la cécité sur l'origine de la maladie. Elle ne doit pas nous dispenser, au nom d'une reconnaissance bien tardive envers le peuple harki, de revenir sur des pages de notre histoire qui n'ont pas été glorieuses. Elle ne doit pas nous empêcher de nous demander pourquoi nous avons mis près de cinquante ans à intégrer complètement la communauté harkie, ces soldats, nos soldats, que nous avons particulièrement maltraités et envers lesquels nous nous sommes particulièrement mal comportés. Elle ne doit pas non plus nous dispenser de nous retourner sur notre histoire et de nous demander comment, par aveuglement politique, en 1945, après la Seconde guerre mondiale, nous n'avons pas su faire évoluer nos relations avec les peuples que nous avions colonisés et comment nous nous sommes lancés dans ces aventures désastreuses : deux guerres coloniales que nous avons perdues et dans lesquelles il y a eu beaucoup de morts, des morts qui ont ensuite obéré nos relations avec les peuples qui se sont libérés.

Aujourd'hui, il faut communier dans le respect dû à la communauté harkie, mais cela n'interdit pas de réfléchir, car il ne faut pas que l'histoire se répète.

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