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Intervention de Patrick Bloche

Réunion du 29 avril 2008 à 15h00
Archives du conseil constitutionnel archives — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Bloche :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le texte qui nous est présenté a fait l'objet d'une attente très forte des historiens et, au-delà, de tous les usagers des archives. En effet, depuis le rapport de Guy Braibant, qui avait permis d'élaborer, dès 1992, des propositions sur le sujet dans un large consensus, les années ont passé sans que rien ne vienne.

Pourtant, au regard des législations de nombreux autres pays européens, la France est considérée comme la lanterne rouge de l'Union en la matière. À l'heure où nombre de pays de l'ex-bloc de l'Europe de l'Est ouvrent largement leurs archives, il était temps de légiférer. Dès lors, l'annonce d'un projet de loi qui avait initialement vocation à assouplir l'accès aux dossiers, notamment en substituant à la période de trente ans en vigueur un principe de libre communicabilité des archives et en raccourcissant les délais pour nombre de catégories d'archives, a suscité un réel engouement.

La déception n'en est que plus forte quand on lit ce texte après son passage au Sénat. En effet, s'il reste posé, comme principe général, que les archives publiques sont communicables de plein droit sous réserve d'un certain nombre de dispositions énoncées dans le projet de loi initial, l'équilibre du texte a été profondément bouleversé lors du débat à la Haute assemblée.

Ainsi, alors qu'il prévoyait à l'origine un délai moyen de communication compris entre vingt-cinq et cinquante ans – avec naturellement des exceptions –, le texte voté par le Sénat revient sur ces avancées en appliquant des délais moyens compris entre soixante-quinze et cent ans. La seule question qui vaille aujourd'hui n'est plus d'essayer de comprendre comment le Sénat a pu être amené à modifier ce texte de telle sorte qu'il soit totalement dénaturé, mais de voir comment notre assemblée peut répondre aux légitimes attentes des chercheurs, historiens et de tous les usagers des archives.

À cet égard, nous avons noté, madame la ministre, votre souhait, exprimé dès l'ouverture de ce débat, de prendre en compte le travail effectué par la commission des lois de l'Assemblée nationale. Vous comprendrez cependant que, au stade de cette discussion générale, notre groupe continue à exprimer force réserves et critiques.

Reconnaissons-le, le principe de libre communicabilité permettra, en dehors de toute demande, aux administrations qui le souhaitent, de mettre à disposition du public, notamment par Internet, le patrimoine public que peuvent constituer les archives. Mais si, parallèlement, certains documents voient leur délai de communicabilité raccourci, les nouvelles restrictions créées par le Sénat ne peuvent que nous interpeller.

Ainsi, les documents « dont la communication porte atteinte à la protection de la vie privée, ou rend publique une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique nommément désignée ou facilement identifiable, ou fait apparaître le comportement d'une personne dans des conditions susceptibles de lui porter préjudice » ne seraient plus communicables avant soixante-quinze ans. Ces critères sont énoncés de manière tellement vague que l'on court le risque qu'un nombre indéterminé de documents puissent se retrouver inaccessibles durant trois quarts de siècle.

Comment écarter tous les documents faisant mention d'un jugement de valeur et dans quel but ? Pourquoi, au détour du texte, apporter une telle extension à la notion de vie privée et qu'est-ce qui justifie de restreindre aussi considérablement le domaine de la recherche ? Que vont devenir les archives sur lesquelles nombre d'historiens et d'étudiants travaillent déjà, et qui sont naturellement susceptibles de correspondre à ces notions d'appréciation si arbitraires ? Ceux-ci devront-ils mettre fin à leurs travaux ? Sera-t-on ainsi amené à refermer les archives du régime de Vichy ? Sincèrement, ce n'est pas sérieux !

Nous sommes passés d'un projet de loi présenté comme un texte d'ouverture, visant à libéraliser la loi de 1979 en permettant aux citoyens d'accéder avec plus de facilité aux sources de leur histoire, à un texte qui semble désormais dicté par le culte du secret.

La création, dès le projet de loi initial, d'une catégorie d'archives non communicables nous interpelle. Non seulement elle entre en contradiction avec les recommandations du Conseil de l'Europe visant à limiter dans le temps toute restriction à l'accès aux documents publics, mais l'extension de cette catégorie aux archives publiques dont la communication est de nature à porter atteinte à la sécurité des personnes nous laisse plus que perplexes. À nouveau, nous sommes face à une notion dont le périmètre nous paraît peu clair et donc totalement inadapté à la nécessité d'être très précis en ce domaine. Étudiants, historiens, chercheurs, usagers des archives publiques, syndicat des généalogistes, tous se mobilisent aujourd'hui pour nous dire leur incompréhension.

En outre, la disparition d'une direction spécifique des archives de France, que vous avez récemment annoncée, madame la ministre, risque de marquer la fin d'une politique nationale des archives cohérente et dotée de vrais moyens, et cela l'année même où nous commémorons le bicentenaire des archives nationales à l'hôtel de Soubise.

Ce texte nous fait d'ailleurs accomplir un pas supplémentaire vers la balkanisation des archives déjà dénoncée par Guy Braibant. En effet, outre la gestion par les administrations de leurs archives courantes et intermédiaires, la possibilité qui pourrait leur être octroyée d'en assurer la conservation et d'en gérer la communication nous fait craindre un dangereux morcellement des archives publiques.

De fait, le texte qui nous est présenté aujourd'hui, constitue, en l'état, une régression contestable du droit d'accès des citoyens aux archives publiques.

Notre groupe a déposé un certain nombre d'amendements qui peuvent permettre d'atteindre réellement les objectifs d'ouverture censés caractériser ce projet de loi. Il est du devoir de notre assemblée d'empêcher que soit « mutilé le récit historique», comme le craint Benjamin Stora. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

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