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Intervention de Philippe Cochet

Réunion du 8 février 2012 à 16h15
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Cochet, rapporteur :

Monsieur le Président, mes chers collègues, le 1er mars dernier, je vous avais présenté une première communication relative au brevet unitaire européen, sur la base d'une proposition de décision du Conseil autorisant l'amorçage d'une coopération renforcée. Ce texte ayant été approuvé par le Conseil compétitivité, nous sommes aujourd'hui saisis de deux propositions de règlement : la première tend à mettre en oeuvre concrètement cette coopération renforcée ; la seconde vise à fixer le régime linguistique du dispositif.

Rappelons tout d'abord que les deux systèmes de délivrance de brevets coexistant à ce jour répondent très imparfaitement à l'exigence de favoriser l'innovation.

D'un côté, une entreprise ou un particulier peut protéger ses découvertes dans un pays en effectuant des démarches auprès du service national de la propriété intellectuelle.

De l'autre, à partir d'une demande rédigée en anglais, en allemand ou en français, l'Office européen des brevets (OEB) peut délivrer un groupe de brevets nationaux. Ce second système reste toutefois complexe, source d'insécurité juridique et coûteux car les inventeurs désireux de déposer un brevet dans plusieurs pays restent tenus de le traduire dans chacune des langues nationales concernées.

Cette absence de dispositif unifié de protection de la propriété intellectuelle entraîne un surcoût important pour les entreprises. Le montant moyen des frais de validation, de traduction et de publication d'un brevet européen s'élève à 32 000 euros s'il est délivré pour toute l'Union européenne, soit environ vingt fois plus que pour un brevet déposé aux Etats-Unis ou au Japon.

Résultat, la plupart des inventions européennes ne sont brevetées que dans un nombre très restreint de pays, ce qui nuit à la compétitivité de l'économie européenne ainsi qu'à la diffusion de la connaissance, à l'innovation et à la croissance, objectifs figurant au coeur de la stratégie Europe 2020 et de la philosophie du marché intérieur.

Le projet de brevet unique, opposable dans tous les Etats membres, dont la France a toujours été l'une des promotrices, a suivi une genèse mouvementée. L'idée germe dès 1975, avec la signature de la convention de Luxembourg ; celle-ci n'entrera cependant jamais en vigueur et inaugure une série de tentatives avortées, qui échoueront toutes sur l'écueil du régime linguistique, rendant l'unanimité impossible.

La décision du Conseil autorisant une coopération renforcée dans le domaine de la création d'une protection par brevet unitaire enclenche donc une petite révolution.

En décembre 2010, douze Etats membres ont réclamé à la Commission l'instauration d'une coopération renforcée en vue de créer une protection unitaire par brevet. Ils ont rapidement été rejoints par tous les autres Etats membres, à l'exception de l'Italie et de l'Espagne, qui campent sur leur position critique vis-à-vis du régime linguistique envisagé. Le brevet unitaire remplit toutes les conditions juridiques imposées dans les traités pour justifier l'engagement d'une procédure de coopération renforcée – je n'y reviendrai pas car je les avais énumérées en mars dernier.

Voici les principes directeurs du nouveau dispositif : la protection unitaire sera facultative et coexistera avec les brevets nationaux et le brevet européen, ce qui permettra aux entreprises d'adopter la formule la plus adéquate en fonction de leur stratégie commerciale ; une fois enregistré, l'effet unitaire offrira une protection uniforme et aura une portée identique dans l'ensemble des Etats membres participants à la coopération renforcée ; un brevet unitaire européen ne pourra être délivré, transféré, annulé ou éteint que pour l'ensemble de ces Etats pris en bloc.

La gestion administrative des brevets à effet unitaire – traitement des demandes, inscription au registre européen des brevets, gestion des traductions, collecte et redistribution des redevances annuelles – sera confiée à l'OEB, qui a traité 235 000 demandes de brevet en 2010 et est régulièrement classé premier parmi les cinq principaux bureaux de brevets mondiaux dans les sondages réalisés auprès des professionnels à propos de la qualité des titres délivrés.

Le régime linguistique retenu est celui qui avait les préférences de la France. Il conciliera simplicité et bon rapport efficacitécoût, tout en répondant aux impératifs de sécurité juridique et en préservant la diversité linguistique, notamment l'usage du français : le traitement, la délivrance et la publication seront effectués dans l'une des trois langues de travail de l'OEB – anglais, allemand et français –, les revendications étant traduites dans les deux autres.

En outre, j'insiste sur le fait que cette coopération renforcée ne crée aucune discrimination entre inventeurs. La protection unitaire par brevet leur sera ouverte, qu'ils soient ressortissants de l'un des vingt-cinq co-contractants, ou bien d'Espagne, d'Italie ou de l'un des onze autres membres de l'OEB, ou bien encore d'un pays du reste du monde.

L'esprit est en effet de favoriser l'accès au marché intérieur en développant un raisonnement fondé sur la stimulation scientifique et la diffusion de la connaissance : le titulaire d'une protection par brevet bénéficie en effet d'un monopole des droits d'exploitation de son invention mais il consent, en contrepartie, à ce que celle-ci soit communiquée aux autres acteurs économiques par le biais d'une publication officielle.

Cette « accessibilité universelle », pourrait-on dire, est d'ailleurs un principe de droit international. Au demeurant, les premiers bénéficiaires de ce nouveau dispositif de brevet à effet unitaire seront évidemment les entreprises européennes, en particulier les PME, un inventeur ayant pour première préoccupation de se protéger sur son marché primaire, c'est-à-dire son marché domestique ou continental.

Le 20 décembre 2011, la commission des affaires juridiques du Parlement européen a voté en faveur du premier règlement et donné un avis favorable sur le second, ce qui semblait ouvrir la voie à une adoption définitive des deux textes sous présidence danoise, l'objectif étant que le dispositif soit opérationnel en 2014.

Reste cependant un obstacle de taille. Un accord international est en cours de négociation entre Etats membres en vue de bâtir un système juridictionnel unifié de résolution des litiges, ce qui s'avère nécessaire afin de réduire les coûts et l'incertitude juridique en cas de divergence des interprétations nationales.

Ce volet n'a pu faire l'objet d'un consensus lors du Conseil compétitivité du 5 décembre 2011 car l'hébergement de la juridiction centrale, qui générera des revenus conséquents, est revendiqué par trois villes : Paris, Munich et Rome. L'ensemble du « paquet brevet unitaire » s'en trouve bloqué, une synchronisation entre les trois véhicules juridiques étant indispensable.

Nous ne pouvons que soutenir la revendication française. Localiser le siège à Munich serait contraire à l'esprit européen puisque seraient alors concentrés dans une même ville l'organisme chargé de la délivrance des brevets, l'OEB, et l'instance juridictionnelle compétente pour juger de leur validité. Quant à l'option Londres, la plupart des praticiens y sont défavorables, en raison de la spécificité du droit britannique. Paris, en revanche, place juridique au coeur du continent, présente objectivement tous les atouts requis pour rééquilibrer la carte européenne du système de gestion des brevets.

Après le dernier sommet européen informel, au cours duquel le blocage a été confirmé, les négociateurs du Parlement européen ont décidé de reporter sine die le vote des trois rapports. Le 30 janvier, les chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union européenne ont toutefois manifesté leur volonté de donner un dernier coup d'accélérateur aux négociations, en fixant à juin prochain la date butoir pour parvenir à un accord.

Enfin, eu égard à l'esprit de la construction européenne et aux visées du marché intérieur, même une fois le brevet unitaire devenu opérationnel, il sera indispensable de redoubler d'efforts pour intégrer l'Italie et l'Espagne. C'est seulement alors que le dossier législatif du brevet européen à effet unitaire pourra être refermé.

Puis la Commission a adopté les conclusions suivantes :

« La Commission des affaires européennes,

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