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Intervention de Jean Leonetti

Réunion du 31 janvier 2012 à 16h30
Commission des affaires étrangères

Jean Leonetti, ministre chargé des affaires européennes :

Monsieur Souchet, la CJUE ne pourra être saisie que par les États – après une éventuelle alerte de la Commission européenne – pour non-transposition de la règle d'or. Indépendamment de l'amende prévue pour les pays qui n'auraient pas respecté cet engagement, je n'imagine pas que des États ayant signé un traité se refusent ensuite à le transposer dans leur droit interne !

Monsieur Guibal, le pilotage sous une forme fédérale de l'économie me paraît logique dès l'instant où l'on a une monnaie unique. Mais je ne suis pas pour des États-Unis d'Europe et je ne conçois pas un instant, compte tenu de l'histoire de la construction européenne, des différences et des richesses respectives des pays européens, que chacun ne garde sa spécificité. Certains pays font figure de modèle à cet égard : la France, par exemple, en matière de natalité et d'accès aux services de la petite enfance ; l'Allemagne pour avoir conduit des réformes particulièrement innovantes en matière de compétitivité ; ou bien le Danemark, pour avoir bien avant les autres donné la priorité au développement durable. Si chaque nation doit donc pouvoir continuer à se développer dans sa particularité et son identité, il existe aussi une identité et une civilisation européennes. Nous n'avons bien sûr pas à les imposer par exemple à la Libye ou à l'Inde, mais nous ne devons pas non plus nous laisser imposer une autre culture. Ce qui nous réunit est bien plus fort que ce qui nous divise : à Barcelone, à Londres, à Vienne ou ailleurs sur le continent, nous nous sentons en Europe, chez nous, dans la mesure où nous avons une histoire commune – même si elle est déchirée.

Je pense qu'il y a en effet une Europe à deux vitesses : lorsqu'on discute avec les Britanniques, ils vous disent qu'ils veulent moins d'Europe et moins de régulation de marché, alors que nous voulons plus des deux. Actons ces différences sans pour autant en faire des motifs de divorce ! Mais acceptons aussi que ceux qui veulent aller plus loin ensemble – comme le traité de Lisbonne le permet – le fassent, sans que les autres pays ne les y empêchent ! Telle est la conception de l'Europe défendue aujourd'hui.

On n'envisage pas que l'association des membres des commissions compétentes du Parlement européen et des parlements nationaux soit délibérante ni qu'elle vote une décision sanctionnant ou validant des décisions prises par les chefs d'État et de gouvernement. Pour autant, cette association est une étape, qui doit nous conduire à nous demander si, au-delà des missions de délibération et de vote, le parlement n'est pas surtout une instance de contrôle – l'indépendance d'esprit des parlementaires étant précieuse à cet égard ?

Concernant la dette, à partir du moment où la zone euro s'est confortée et dispose d'un mécanisme de stabilité qui fonctionne bien, que la BCE intervient à bon escient, que la règle d'or est appliquée partout et que la croissance revient, pourquoi ne serait-elle pas mutualisée ? Les eurobonds constitueraient alors l'étape ultime de la confiance que les pays peuvent avoir entre eux et de celle qu'ils inspirent aux marchés : en attendant, ils peuvent donner lieu à des opérations ciblées en faveur de la relance.

Monsieur Christ, la foi dépasse la religion ! Il faut renouer avec la confiance dans les pays européens. Si, face à un pays en difficulté, on se doute qu'il n'a pas fait l'effort nécessaire que d'autres ont effectué avant lui ou en même temps, comment peut-on être solidaire ? La discipline est la condition même de la solidarité.

Nous faisons tous un effort et voulons tous de la compétitivité, de la croissance et de l'emploi : cela impose qu'on en passe par la règle d'or.

Le MES sera alimenté, je le répète, par un capital de 80 milliards d'euros apporté par les États membres, avec la possibilité de donner 620 milliards additionnels de garanties. Des prêts aux États seront possibles à hauteur de 500 milliards d'euros parallèlement au recours habituel aux marchés. Les garanties sont accordées grâce à celles conférées par les États membres, notamment ceux jouissant d'une forte crédibilité sur les marchés – laquelle n'est pas nécessairement conforme à ce que décident les agences de notation !

Monsieur Myard, c'est parce que nous avons manqué de compétitivité que nous avons accru les déficits et la dette ; c'est aussi parce que des pays émergents sont apparus et ont été plus compétitifs que les pays européens ou occidentaux en général et que nous avons accepté de nous endetter pour maintenir notre niveau de vie !

Je n'accepte pas que l'on fasse un inventaire à ce sujet en fonction de la durée pendant laquelle les dirigeants de droite ou de gauche ont été au pouvoir, en leur attribuant les fautes. Qui les a élus ? Qui a discrédité un Raymond Barre lorsqu'il parlait de rigueur ou un Alain Juppé plaidant pour adopter des budgets en équilibre ? Le peuple n'a-t-il pas parfois écouté le chant des sirènes plutôt que la voix de la sagesse ? Les responsables politiques ont conduit les politiques pour lesquels ils ont été élus et, s'ils ont alourdi la dette, c'est parce que les Français s'imaginaient à tort pouvoir toujours travailler et produire moins tout en améliorant leur niveau de vie ! Il revient aux dirigeants d'aujourd'hui d'en tenir compte et de conduire ceux de demain à y réfléchir.

Si la compétitivité n'est pas un vilain mot, était-il satisfaisant que des pays dans la misère soient exploités par des États produisant peu, peu compétitifs et jouissant d'un niveau de vie maintenu artificiellement ?

Il ne faut pas mettre sous tutelle la Grèce, car on ne met pas un pays sous tutelle, lequel est un être souverain, une âme : or on n'enchaîne pas les âmes, notamment celle des peuples ! Si la France s'est opposée à une telle mesure, les peuples doivent faire preuve de responsabilité. Celle du peuple grec aujourd'hui est de mettre en oeuvre les moyens nécessaires pour retrouver à terme sa compétitivité et une capacité de reprendre pied sur le marché international. Notre devoir est de l'aider et le sien est de faire en sorte qu'il nous aide à le faire.

Monsieur Kucheida, je rappelle que le Président de la République est élu par le peuple français, ce qui lui confère une certaine légitimité pour négocier un traité ! En outre, les élections permettent au peuple de remettre éventuellement en cause le mandat qu'il a confié à ses dirigeants. S'il faut un contrôle démocratique accentué sur l'Europe et la zone euro, je n'accepte pas l'idée que ce sont les technocrates de Bruxelles, comme on le dit habituellement, qui décident des traités. Ce sont bien les chefs d'État et de gouvernement élus ! Et lorsqu'une décision est prise, elle est soumise au Parlement, qui peut s'y opposer.

La différence entre la France et l'Allemagne ne tient pas à ce que la France néglige son parlement, mais à ce que le système électoral allemand aboutit à des coalitions, dans lesquelles il peut y avoir des différences faisant, qu'à un moment donné, une fraction ne suit pas l'avis de la chancelière. La constitution allemande place celle-ci davantage sous le contrôle de la justice et du parlement, lequel est partiellement élu à la proportionnelle.

Dans notre système, quand le Président de la République engage la France de manière déterminée et raisonnable, comme il le fait aujourd'hui, il sait qu'il a derrière lui une majorité, alors que lorsque la chancelière avance sur les mêmes terrains, elle est obligée de consulter la sienne, qui est plus complexe. Si cela est pour elle une force à terme, c'est peut-être aussi une faiblesse dans l'immédiat. Dans les décisions prises entre la France et l'Allemagne, je vois bien que la négociation française est plus rapide que la négociation allemande : cela est simplement dû à la façon dont la démocratie est organisée dans chacun de nos pays.

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