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Intervention de Jacques Sapir

Réunion du 25 janvier 2012 à 16h15
Commission des affaires européennes

Jacques Sapir, directeur d'études à l'école des hautes études en sciences sociales, EHESS :

La crise de la dette, même si elle pose les problèmes les plus urgents, n'est que l'apparence d'une crise beaucoup plus profonde de la zone euro qui tient, elle, à la divergence des fondamentaux dans les économies depuis 2002. Et les écarts se sont aggravés de façon spectaculaire depuis 2006-2007, avant donc le déclenchement de la crise financière. Le dilemme est clair : soit nous arrivons à faire converger les économies, soit la zone euro est condamnée.

Or toutes les mesures prises ne font que fixer un cadre disciplinaire sans apporter de solution, c'est très grave. Sans aider massivement les pays à retrouver non seulement leur solvabilité, mais encore une pente de croissance acceptable par les populations, tous les mécanismes seront vains. On aura beau inscrire les règles dans le marbre, rien n'y fera.

À cet égard, la règle d'or est une pure folie. Elle a déjà été appliquée, en Autriche, au début des années trente. L'Autriche avait constitutionnalisé l'interdiction du déficit budgétaire. Confronté à la crise de la Kreditanstalt, le gouvernement préféra, et il avait raison, le déficit budgétaire à la faillite de la principale banque du pays. Il voulut dissimuler ce coup de canif à la Constitution, mais l'affaire s'ébruita rapidement et la crise de confiance qui s'ensuivit provoqua l'effondrement, et du gouvernement, et de la banque. Il y a d'autres exemples. Je le répète, la notion de règle d'or est un artifice politique mais, économiquement, elle n'a pas de sens.

Je m'inscris en faux contre une opinion qui fait de la Grèce le principal problème. Certes, la question du pourcentage d'abandon de créance – le haircut – est très importante, mais, aujourd'hui, le problème essentiel se trouve en Espagne. Les finances publiques espagnoles sont hors de contrôle à cause de la dépression dans laquelle le pays s'enfonce et de la montée inexorable du chômage. Les statistiques concernant le PIB sont sujettes à caution, c'est le moins que l'on puisse dire. Aucun des responsables que j'ai rencontrés n'y croit, que ce soit en Catalogne, au Pays basque, en Andalousie ou à la banque centrale espagnole. Il est notoire, en revanche, que le gouvernement espagnol a été incapable de contenir le déficit budgétaire à 6 %, car les recettes s'effondrent ; le chiffre de 8 % est attendu. Parallèlement, nous assistons à une explosion des impayés publics – salaires et fournisseurs –, qui, au 15 janvier 2012, représentaient 143 milliards d'euros, soit 13 % du PIB espagnol. Un tiers environ pourrait être consolidé sans problème ; mais le solde n'en représente pas moins 8 % du PIB, qu'il faudra à un moment consolider avec la dette officielle de l'Etat. Le déficit obtenu sera alors non pas de 8 % mais de 16 ou 17 % du PIB. La Grèce est un pays politiquement et culturellement important pour l'Europe mais, du point de vue économique, elle ne pèse pas très lourd. Il en va tout autrement de l'Espagne et l'on peut craindre que la consolidation des impayés n'engendre des défauts de paiement des acteurs privés, qui engendreront à leur tour des manques à gagner de recettes fiscales – c'est le scénario qui s'est déroulé en Russie de 1995 à 1998.

Je partage ce qui vient d'être dit à propos de la récession qui sévit en Europe. J'ajoute seulement qu'elle touche toute une série de pays, dont la France, et risque de s'aggraver très brutalement. Si nous n'y portons pas remède très rapidement, nous entrerons dans une logique de déflation, comme au début des années trente, et nous ne pourrons pas sauver la zone euro.

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