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Intervention de Dominique Launay

Réunion du 12 avril 2011 à 16h45
Commission d'enquête sur la situation de l'industrie ferroviaire française: production de matériels roulants voyageurs et frets

Dominique Launay, secrétaire général de l'Union interfédérale des transports CGT :

Militant depuis des années pour la reconquête d'une politique industrielle en France et en Europe, la CGT se félicite de votre initiative. L'organisation de cette table ronde est un acte important, qui donne une place aux représentants des salariés. Il est temps, en effet, de sortir d'un processus de réflexion et de décision limité aux seuls actionnaires, qui n'ont que faire de l'emploi durable et des besoins économiques, sociaux et environnementaux de nos territoires.

Les élus de la Nation ont une légitimité pour s'intéresser à ces questions. Ils en ont même le devoir : il faut assurer une réorientation de la politique industrielle dans la filière de matériel ferroviaire, tâche que les États généraux de l'industrie n'ont pu réaliser. On peut d'ailleurs penser qu'il ne pouvait en être autrement : cette opération, avant tout médiatique, faisait la part belle aux logiques de business financier, qui sont défavorables à l'emploi, à l'augmentation des salaires, à la reconnaissance des qualifications, à la promotion et à la fidélisation des capacités humaines et des savoir-faire, mais aussi à la recherche et à l'innovation ; elles s'opposent, en outre, à l'établissement d'un plan cohérent pour la prise en compte d'un développement humain durable en tant que finalité des productions et à la démocratie et à la promotion de droits nouveaux d'intervention pour les salariés, elles font donc obstacle à la création d'un pôle financier public susceptible de réorienter le financement des entreprises.

Alors que l'industrie du matériel ferroviaire est étroitement concernée par les défis que représentent la maîtrise de l'énergie et la réduction des émissions de gaz à effet de serre, les orientations retenues lors du Grenelle de l'environnement restent à mettre en oeuvre concrètement – il faudrait notamment réorienter les systèmes de transport au bénéfice du train, du tramway et du métro. Or, bien peu d'évolutions marquantes ont eu lieu. Il est donc urgent de passer des intentions aux actes. L'industrie de la construction, de la maintenance du matériel et des transports ferroviaires constitue la « boîte à outils » de cette réorientation.

Sans cette industrie, rien n'est possible. Mais, grâce à elle, nous avons un atout considérable dans notre pays, en Europe et aussi dans le monde entier : la filière a un avenir pour peu qu'on s'y intéresse et qu'on lui donne les moyens de répondre aux besoins. Des dizaines de milliers d'emplois sont en jeu sur plusieurs générations.

La CGT souhaite que la filière soit mise en situation de répondre aux besoins des transports qui évoluent considérablement du fait de la nécessité de lutter contre le réchauffement climatique.

En effet, il convient, en premier lieu, de s'engager dans un report modal massif de la route vers le rail, aussi bien pour le transport de personnes que pour celui des marchandises.

Il importe, en deuxième lieu, de développer les transports collectifs urbains, en particulier les transports en site propre et les transports guidés, suivant des techniques proprement ferroviaires.

En troisième lieu, il est indispensable d'élaborer un schéma national des infrastructures de transport multimodal, qui serait axé, pour prés des deux tiers des décisions et des investissements, sur le mode ferroviaire, et pour le reste sur les transports collectifs urbains.

Il faut, en quatrième lieu, engager la construction de 2 000 kilomètres de lignes TGV supplémentaires d'ici à 2020, et de 4 000 kilomètres supplémentaires à l'horizon 2030, ce qui offre des débouchés considérables dans le domaine des matériels pendant plus de trente ans.

Enfin, il est essentiel d'élaborer un plan prioritaire de régénération et de modernisation du réseau classique, priorité qui figure dans la loi Grenelle 1, et qui offre, elle aussi, des débouchés importants.

Ces orientations nécessiteront des engagements forts et concrets en matière de financement et de maîtrise publique. Il en résultera des besoins considérables en matériels d'infrastructure – rails, appareils de voies ou encore circuits électriques et électroniques – et en matériels roulants, à quoi il faut ajouter les besoins issus du renouvellement des équipements en fin de vie. Je pense, en particulier, aux wagons « fret », aux wagons technologiquement nouveaux pour le transport combiné, aux locomotives, aux rames de TGV, aux voitures pour voyageurs, aux rames TER, aux tramways et aux métros.

La partie « transport » du Grand Paris, qui manifestement fait l'objet d'un traitement à part, ouvrira aussi des débouchés importants.

La CGT avait chiffré assez précisément les besoins nécessaires lors des États généraux de l'industrie. Cette évaluation, qui n'a pas été contestée, reste d'actualité.

La France dispose d'atouts forts dans le domaine sur lequel portent vos travaux. Pionnière et leader à bien des égards, car elle se situe à la pointe de la technologie, elle doit maintenant pousser ses avantages.

Si nous en sommes là, c'est grâce à la coopération réalisée pendant des années entre les entreprises publiques, SNCF et RATP, et les grands groupes industriels, tels qu'Alstom, Siemens et Bombardier, mais aussi grâce à d'autres coopérations avec des PME comme Lohr, et à la dynamique impulsée par les collectivités territoriales, qui sont des autorités organisatrices de transport.

Le TGV est ainsi devenu une vitrine mondiale, les autoroutes ferroviaires « fret » ont vu le jour, le TER a connu un véritable succès grâce à ses matériels modernes, et des projets en site propre ont pu être développés, avec un cofinancement de l'État, en matière de transports urbains.

Alors que le marché domestique est porteur, nous sommes sur le point de ne plus pouvoir répondre aux demandes, faute de moyens, mais aussi à cause des pertes d'expérience et des délocalisations. Pour y remédier, nous devons renouer avec les grandes coopérations et les programmes que nous avons connus en matière de recherche, d'ingénierie, de conception, mais aussi d'assemblage et d'utilisation.

Dans cette perspective, nous avons besoin d'une véritable structuration en filière opérationnelle. Nous devons faire évoluer les pôles de compétitivité concernés en pôles de développement, notamment en matière d'emploi, de qualification, de formation et de fidélisation du salariat, et il importe de les mettre en réseau. Nous avons besoin, par ailleurs, d'une politique volontariste en matière d'emploi : c'est un levier essentiel dans la production – je pense notamment à l'embauche des intérimaires.

Il convient au surplus d'assurer une modernisation et une démocratisation du système en veillant à impliquer les salariés, les constructeurs et les utilisateurs, dont les éclairages peuvent être précieux.

Nous devons aussi faire en sorte que l'approche de la filière repose sur des critères sociaux, des critères environnementaux et des critères de qualité, afin de protéger l'emploi et les salariés, tout en responsabilisant les groupes industriels à l'égard des territoires et à l'égard des réseaux de sous-traitants. Il paraît également souhaitable de renforcer les coopérations européennes, non pour augmenter la marge des grands groupes, mais pour solidifier et ancrer la production grâce à l'élévation sociale des salariés du secteur.

Bien que le secteur soit en pleine croissance, probablement pour de nombreuses années, beaucoup de PME sont aujourd'hui au bord de l'asphyxie. Elles ont besoin d'un plan d'urgence reposant sur la création d'un véritable « pôle public financier » et d'un « fonds national pour l'emploi, la formation et le développement », avec des déclinaisons au niveau régional.

Ajoutons à cela que les commandes et les achats de matériels se font dans le cadre d'un marché mondial, par l'intermédiaire d'appels d'offres. Or le monde entier, et en particulier notre pays, s'est engagé sur la voie d'une réduction des émissions de CO2. Nous devons donc formaliser une responsabilisation des entreprises de transport, qui sont les donneurs d'ordres en matière d'achats.

Dans ce domaine, on peut s'interroger sur le bilan carbone de la délocalisation de la production de matériels. Elle a, en effet, pour conséquence une quantité de transport aberrante, alors que le commerce mondial est responsable de 30 % des émissions de CO2.

Cette question, qui intéresse au plus haut point le législateur, offre des leviers d'action en matière sociale et économique – je pense notamment à la réflexion que nous devons mener sur le développement des circuits courts de production, essentiels pour la ré-industrialisation de la France et pour l'aménagement du territoire.

Pour conclure, la CGT demande la mise en place de comités interentreprises dans les filières, l'institution d'un pouvoir suspensif au profit des comités d'entreprises face aux licenciements économiques, la représentation des salariés dans les conseils de toutes les entreprises cotées en bourse, l'évaluation contradictoire de toutes les aides, ainsi que le développement d'une politique volontariste dans le domaine de l'emploi, de la formation et de qualification.

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