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Intervention de Marc Girard

Réunion du 9 juin 2010 à 19h00
Commission d'enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination contre la grippe a

Marc Girard :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, à quel titre vais-je me présenter devant vous ? Simplement comme celui qui peut justifier avoir introduit dans le débat public la quasi-totalité des éléments qui ont alimenté la légitime défiance de nos concitoyens à l'égard de la gestion de la grippe porcine. Dès le 28 avril 2009, lors d'une intervention sur la chaîne France 24, j'ai avancé les arguments que vous trouverez dans le script de l'émission, – pièce n° 1 du dossier que je vous ai remis. J'y posais notamment la question des conflits d'intérêts, demandant pour finir : à qui cela profite-t-il ?

Fondées chaque fois sur les données de l'expérience, mes interventions ultérieures sont revenues, notamment, sur l'art de créer des alertes en santé publique et sur la régularité du processus d'autorisation de mise sur le marché (AMM). En octobre, j'ai publié le livre dont je me suis permis de vous remettre un exemplaire et qui vise à replacer la question de la grippe A(H1N1) dans un contexte très large – historique, sociologique, épistémologique et politique.

À l'évidence, les frontières ont bougé, avec cette affaire : c'est la première fois qu'un débat de fond sur les vaccinations a pu sortir de l'éternelle guerre des religions entre pro- et anti-vaccins. Tous mes correspondants, qu'ils viennent des académies, des instances ordinales ou de la médecine militaire, ou qu'ils soient même pastoriens – lesquels ne sont pas des anti-vaccinistes – m'en attribuent le mérite : je le dis sans forfanterie, mais avec gravité.

Pour comprendre, il est utile de rappeler brièvement au terme de quel processus je suis tombé dans la marmite des vaccins. Consultant pour l'industrie pharmaceutique, estimé et confortablement rémunéré par les leaders du marché, n'ayant aucun intérêt personnel à me brouiller avec mes meilleurs clients, qui s'appelaient à l'époque Pfizer, GSK, Aventis, Novartis, Roche, j'ai été chargé par la justice française, au tout début des années 2000, d'expertiser dans le cadre de grandes affaires de santé publique impliquant des médicaments, notamment celle concernant la vaccination contre l'hépatite B. Par rapport à une profession alors fortement contrainte par une réglementation pointilleuse, j'ai alors découvert le secteur vaccinal comme une sorte de sédiment de pratiques pharmaceutiques dont je n'envisageais même pas qu'elles pussent encore exister – comme l'illustre la pièce n° 2 du dossier : une récente offre d'emploi d'un leader du secteur qui ne craint pas d'assumer le fait que, pour diriger le développement d'un projet vaccinal, « une compréhension » – et non, notez-le, « une expertise » – « des aspects cliniques de l'infectiologie serait très utile, mais pas essentielle ». Je ne commente pas.

Ce précédent me permet aussi de revenir sur les allégations de mes collègues experts qui justifient leur discrétion sur leurs liens d'intérêt par le fait que ceux-ci n'altéreraient en rien leur indépendance. La pièce 3, qui présente l'évolution de mon chiffre d'affaire réalisé avec l'industrie pharmaceutique, illustre clairement, je crois, qu'il faut bien du courage – ou de la témérité – quand on veut garder son indépendance en dépit de ces liens.

La question qui vous est posée aujourd'hui n'est pas de savoir comment les Français réagiront lors de la prochaine pandémie, en validant implicitement du même coup la mystification, désormais confirmée par la toute récente enquête du British Medical Journal, qui a consisté à faire accroire que nous venions d'en traverser une. Car cette pseudo-pandémie s'est fondée sur une triple exagération.

Exagération, d'abord, du nombre de personnes touchées, quand il est parfaitement établi aujourd'hui que, lorsque la pandémie a été déclarée, moins de 5 % des personnes répertoriées comme atteintes étaient effectivement positives pour le virus et que, par la suite, le délire des chiffres a été alimenté par des critères sémiologiques dont l'indigence saute aux yeux du moins professionnel : fièvre à 38 ° C, toux… Tous les Français ont vu des gamines la goutte au nez sortir de chez leur médecin paniquées avec une pile de masques et du Tamiflu ; il y a même eu des diagnostics par téléphone.

Exagération, ensuite, de la virulence du virus, avec des critères d'imputabilité des décès extraordinairement lâches et, en contradiction avec la réglementation en vigueur sur la pharmacovigilance, un refus systématique de considérer que les décès après prescription de Tamiflu aient pu correspondre à une toxicité du médicament.

Exagération médiatique, enfin, évidemment.

L'autre fausse question serait d'examiner comment protéger nos concitoyens des sectes. L'argumentaire antivaccinaliste, qui n'avait quasiment intéressé personne jusqu'à présent, a effectivement été examiné par des millions de Français indûment alertés : tout le monde s'est rendu compte de son indigence – je dispose à ce propos de remontées extrêmement convergentes –, de telle sorte qu'il n'est pas excessif de soutenir que, même s'ils surfent naïvement sur la vague, jamais les anti-vaccinalistes n'ont été aussi décrédibilisés qu'aujourd'hui. Dans une démocratie, quand 80 % des citoyens se sont prononcés sans ambiguïté, ils méritent mieux qu'une inquiétude condescendante quant à leur capacité à faire de bons choix.

La question n'est pas non plus de pointer les incompétences avec une sélectivité partisane. Certes, il y a des « Diafoirus d'Internet », mais les experts consultés par le ministère ont été répétitivement démentis par les faits et les virologues, par exemple, n'ont jamais craint de se prononcer avec assertivité sur des questions de santé publique qui dépassaient clairement leur compétence. Sans qu'il s'agisse d'attaquer les personnes, c'est aussi l'occasion, parce que la question est importante, de se demander s'il est encore acceptable que, dans un grand pays comme la France, la direction de l'Institut de veille sanitaire soit confiée à une personne avec qui j'entretiens des liens professionnels fort paisibles depuis vingt-cinq ans, mais dont il est facile de montrer qu'elle n'a à son actif ni les titres, ni les travaux justifiant une telle responsabilité.

Permettez-moi donc de vous proposer un critère de crédibilité expertale dont je vous garantis qu'il ne vous laissera jamais dans la peine : le bon expert, c'est celui dont on peut se passer, celui qui saura exprimer les problèmes technico-réglementaires d'une façon qui vous permettra de vous réapproprier les éléments du débat dans l'ordre de votre propre compétence. Vous êtes des politiques : laissez-moi illustrer par trois exemples la façon dont vous pourriez reprendre en mains la situation.

Tout d'abord, vous avez voté l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, qui fait obligation à tout professionnel de santé s'exprimant dans la presse de faire préalablement état de ses liens d'intérêt : jugez-vous normal que, de tous les experts concernés que vous avez auditionnés jusqu'à présent, aucun ne se soit spontanément plié à cette disposition que vous avez pourtant voulue ?

Ensuite, jugez-vous décent que la politique préventive du Gouvernement ait été justifiée par le principe de précaution, quand la loi Barnier que vous avez votée en 1995 dispose sans ambiguïté que les mesures prises en son nom doivent l'être « à un coût économiquement acceptable » ?

Enfin, vous avez inclus le code de déontologie médicale dans le code de la santé. Jugez-vous normal que les Français aient reçu de leur ministre une circulaire leur certifiant que le vaccin était sûr malgré les allégations contraires de l'Agence européenne pour l'évaluation des médicaments (EMEA) – en contradiction, par conséquent, avec le principe déontologique sacré du consentement informé ?

Pour conclure brièvement, je proposerai une double lecture de la situation : l'une concernant le médicament et la santé publique, l'autre la politique.

Dans la vie d'un médicament, la phase de développement est incontournable. C'est le seul moment où l'on peut soumettre le nouveau produit à des évaluations contraintes par un minimum de rigueur : contrôle du processus de fabrication, tests chez l'animal, essais cliniques. Même si ces exigences peuvent être contournées, elles ne sauraient en aucun cas être remplacées par la promesse d'une pharmacovigilance qui serait assurée une fois le produit sur le marché. En l'espèce, alors que l'Agence européenne pour l'évaluation des médicaments reconnaissait sans fard que le rapport risquebénéfice du produit n'avait pu être évalué au cours du développement, l'administration sanitaire ne rougit pas de clamer, une fois le produit sur le marché, que les données de la pharmacovigilance « ne modifient en rien » le rapport risquebénéfice du produit, lequel n'avait justement pas été évalué. C'est dire, avec un certain cynisme, que ce rapport bénéficerisque n'a été et ne sera jamais évalué et que ces produits, pour lesquels on a un temps envisagé une obligation vaccinale, sont proprement défectueux au sens légal du terme. Or, cette séquence – développement bâclé sur la fallacieuse promesse d'une pharmacovigilance qui ne viendra jamais – est exactement celle qui sous-tend la proposition de directive modifiant la directive 200183CE, actuellement en discussion à Bruxelles : ce projet est proprement effrayant et la récente histoire des vaccins contre la grippe porcine est l'éloquent prélude de la caricature technico-réglementaire que les lobbies pharmaceutiques cherchent désormais à mettre en place.

Si j'ai maintenant l'audace de vous proposer une lecture politique, au sens étymologique du terme, je me tourne vers la préface à l'édition française, datée de février 2009, de l'ouvrage L'État prédateur, où l'économiste américain James Galbraith, digne fils de son père, admettait que sa réflexion portait d'abord sur les États-Unis tout en postulant qu'elle touchait à une dynamique bien plus universelle. Il n'aura pas fallu plus de deux mois pour le confirmer, car ce qui frappe le plus, dans cette histoire grippale dont les enjeux financiers ne sont même pas niés par ceux qui en profitent, c'est qu'à aucun moment on n'a entendu la voix promotionnelle des fabricants : la publicité de ces produits a été assurée par la voix du ministre et de ses conseillers, au moyen d'arguments qui, dans n'importe quelle autre situation, eussent été sanctionnés par la commission chargée du contrôle de la publicité et de la diffusion des recommandations sur le bon usage des médicaments. Bien pis : le Gouvernement n'a pas craint de recourir – et c'est là le plus important à mes yeux – à la réquisition, authentifiant ainsi de la façon la plus extrême une mystification sanitaire dont les déterminants lucratifs sautaient pourtant aux yeux. Se trouve dès lors illustrée de la façon la plus éloquente la thèse de l'Américain selon laquelle la déréglementation n'est pas la loi de la jungle au profit de lobbies, mais l'appropriation par les lobbies de l'autorité et de la puissance de l'État au bénéfice de leur prédation. En l'espèce, on les a donc vus capables de détourner à leur profit la plus extrême des prérogatives de l'État dans un pays qui a banni la peine de mort : son pouvoir de contrainte sur les corps – mais au seul bénéfice de la liquidation des stocks.

Mesdames et messieurs les députés, j'espère vous avoir convaincus que les Français n'ont nul besoin des sectes anti-vaccinalistes pour être légitimement inquiets.

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